Famille Rascalou-Montéty

1918 : janvier

LETTRE DE JOSEPH À SES PARENTS

Aux Armées le 5-1-18

Bien chers Parents,

Me voilà en ligne depuis hier au soir, aux environs immédiats de Nomeny, une partie de ma section est dans le cimetière. On est en rase campagne, presque pas de tranchées, beaucoup de fils de fer, et des blockaus.
Je suis logé dans une petite cagna, qui a 75 cent. du sol au plafond est couché sur un sommier métallique, nous y logeons 4 et il y a de la place que pour 3, il faut qu’il y est toujours un homme de garde dehors. Il fait toujours très froid, on commence à avoir le pain gelé et on souffre du froid au pied pendant les heures de faction. Heureusement qu’on peut faire du feu, on n’est pas vu des boches, et on ne se gêne pas. Les sapeurs du 9eg. sont en train de nous faire un abri aussi j’espère que d’ici quelques jours on sera mieux et un peu plus à son aise.
Le secteur est toujours très calme, il ne tombe que quelques obus sur le village.
J’ai vu Léonce avant hier il me prie de vous donner le bonjour.
Je n’ai pas reçu d’autres nouvelles depuis que Louise m’a écrit sa carte du 26, j’avais aussi reçu une lettre de Pierre du 26 depuis je n’ai plus rien reçu. Je pense qu’à l’occasion du premier de l’an les correspondances on du retard par suite de leur abondance. Lorsque vous m’écrirez n’oubliez pas de me donner des nouvelles d’Augustine, qui je l’espère doit aller de mieux en mieux.
Pour le moment je n’ai besoin de rien, il y a une coopérative au village.
Depuis que je suis revenu de perme je touche 15 sous par jour, et en plus j’ai touché 20 francs d’indemnité de voyage et le prêt de mes jours d’absence.
En attendant le plaisir de vous lire je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 9-1-18

Chers Parents,

Nous avons toujours le mauvais temps, aussi ce n’est pas bien agréable en tranchée. Le génie a fini notre abri et nous nous y sommes installés il y a un poêle qui ronfle jour et nuit; l’abri est en tole ondulée blindée, nous y sommes 9, on se croirait dans un four tant ca chauffe, ca fume un peu trop sans ca se serait parfait.
Dans la soirée du 5 un observateur a vu passer 300 boches à côté de leurs premières lignes, on a cru que c’était un détachement chargé de faire les coups de main.
On n’avait pas encore fini de manger la soupe du soir lorsqu’on nous dit, Alerte, Tout le monde à son poste de combat, il était 4h 1/2 et l’alerte a fini à 7h du matin il a fallu passer toute la nuit dehors par 10 degrés de froid (c’était la nuit du 5 au 6, je m’en souviendrai longtemps). Vers minuit on nous a servi un quart de thé chaud, et on nous a autorisé à allumer un feu dans une cagna, et à nous chauffer, on se relevé toutes les demi heures pour qu’on ne puisse pas dormir, et je vous assure que si les boches étaient venus on était bien disposé à les recevoir. La nuit suivante le vent du midi s’est mis à souffler ca a dégelé et il s’est mis à pleuvoir toute la nuit et le jour le soir le vent tournait et il est tombé 20 cent. de neige, il en tombe encore. Nous sommes chaussé de grandes bottes en toile imperméable et semelles en bois ce qui fait qu’on peut passer dans la neige sans se mouiller les pieds, et on n’a pas trop froid aux pieds.
Hier un de mes camarades a tué 3 merles à coups de fusil, nous les avons fait cuire pour les manger le soir même; ils n’étaient pas mauvais, mais il aurait fallu qu’ils soient un peu faisandés.
Au moment où je vous écris je reçois un colis recommandé je ne l’ai pas encore ouvert. On va faire la levée des lettres aussi je termine vous envoyant mon plus affectueux bonjour.
Joseph

Hier étant de garde à 6h du matin j’ai entendu une chose que je n’avais jamais entendu en pareilles circonstances, j’ai entendu sonner l’angélus à un clocher allemand on distinguait très bien 3 fois les 3 coups et la sonnerie

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 23-1-18

Bien chers Parents,

Nous avons fini nos 18 jours de première ligne et nous sommes au repos depuis ce matin. Nous sommes dans un petit village où il y a encore quelques civils. C’est là où j’ai retrouvé ma compagnie en rentrant de permission. Notre séjour en ligne s’est bien passé et nous n’avons pas eu de pertes.Pendant la nuit de la relève, la section franche a fait un coup de main sur un ouvrage ennemi situé en face de nous. Après une préparation d’artillerie la section a passé les réseaux ennemis et a attaqué l’ouvrage par derrière avec l’intention de ramener des prisonniers. Les boches se sont sans doute douté du coup et ils ont évacué les positions, aussi la section a trouvé les tranchées et les abris ennemis complètement vides se qui fait qu’ils n’ont pu ramener personne. Les boches ont déclenché un tir de barrage ce qui fait qu’il y a eu quelques blessés et un tué.
Je viens de recevoir une lettre de Pierre où il me dit qu’il est aux environs de Belfort, ce n’est pas bien mon secteur car je suis toujours aux environs de Nomeny.
Le lieutenant commandant ma compagnie vient de monter en grade en passant capitaine.
Nous avons toujours le vent du midi, et température très douce.
Etant au repos je pourrais peut-être voir Léonce un de ces jours.
Pour aujourd’hui je ne vois plus rien d’intéressant à vous dire et en attendant de vous donner d’autres nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 29-1-18

Bien chers Parents,

Nous avons été relevés du secteur, et comme on croyait aller au repos on a été un peu déçus car on vient seulement de nous changer de place. Nous sommes un peu dans le même secteur, mais plus à gauche. C’est à gauche de Pont à Mousson du côté du bois le prêtre.
Nous allons être employés à faire des travaux de défense; en prévision d’une offensive allemande.
Le secteur est assez mouvementé. Des deux côtés le canon gronde souvent. Les boches emploient beaucoup leur saleté de gaz, ils en ont de toutes les couleurs et de tous les goûts. Nous sommes logés dans une solide sape où l’on n’a rien à craindre des bombardements. La sape est toute neuve, et n’est pas encore complètement aménagée, d’ici quelques jours il va y avoir la lumière électrique ce qui économisera un peu les bougies car elles se font rares et chères.
Elle est très humide car l’eau suinte par toutes les parois.
Tant bien que mal cela pourra aller, nous ne savons pas encore quel genre de travail nous allons faire. Avant-hier j’ai reçu la lettre de Louise, le colis n’est pas encore arrivé, je pense l’avoir pour ce soir.
Je n’ai pas revu Léonce, je ne sais pas où est ca compagnie.
Nous avons le brouillard depuis quatre jours, il est très épais, les arbres et le sol sont recouverts de givre.
Les permissions vont normalement, on craint qu’elles soient suspendues.
A part cela tout va à l’ordinaire.
Je vais bientôt partir au travail aussi je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur. Le bonjour aux amis et voisins.
Joseph

1918 : février

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 3-2-18
7 h du soir

Bien chers Parents,

Nous devions avoir repos aujourd’hui dimanche. Mais pendant que nous mangions la soupe du matin il est venu un ordre de la division, disant qu’il fallait travailler aujourd’hui et que l’on aurait un jour de repos après 6 jours de travail, même que ce jour ne soit pas un dimanche. Ce qui fait qu’à 11 heures nous sommes parti à notre chantier jusqu’à 4h et demi. Nous mangeons la soupe du soir à cinq heures, ensuite on est libre jusqu’au lendemain matin. Notre chantier est à 1 kilomètre de notre cantonnement. Nous travaillons avec le génie et l’artillerie à la construction d’un P.C. de division. Le travail est assez facile aussi ca peu aller. A partir de demain on nous portera à midi, la soupe sur place. Le secteur n’est pas trop mouvementé, en ligne ca barde un peu plus, car on ne laisse pas les Boches tranquilles, et eux prennent leur revanche. Ils se vengent surtout avec leurs gaz qui deviennent de plus en plus mauvais. A cause de ces gaz nous avons des consignes très sévères. Nous devons avoir constamment le masque sous la main. Deux fois par jour on nous le fait mettre et garder le plus longtemps possible, afin de nous y habituer. La nuit un homme est toujours de veille pour ca, et lorsqu’on se couche il faut avoir le masque prêt à être mis sans avoir le temps de se lever. Les boches les envoient surtout par surprise et en grande quantité; 2 secondes d’attente pour mettre le masque peuvent être fatales, car il suffit d’en respirer 2 ou 3 gorgées pour être fini. Notre masque est très efficace à condition qu’il soit mis à temps. On en a vu d’autres il faut espérer qu’ils ne nous auront pas encore comme ça.
Aujourd’hui nous avons touché la 2è quinzaine de janvier j’ai touché 9 fr. et 6 fr. sur le pain et de pécule. Ici on touche la paye de tranchée ce qui fait qu’on va encore toucher un bon prêt le prochain coup. On est toujours bien nourris ce qui fait qu’on n’a pas besoin de s’acheter trop de supplément. Il y a une coopé. où l’on trouve tout ce qu’il faut, mais tout est cher. On vend le vin 21 sous le litre. Le beurre 48 sous la ½ livre. On peut avoir le pinard difficilement aussi il n’y a que les «soulographes» qui se dévouent pour en avoir.
J’ai reçu des nouvelles de Pierre il y a quelques jours, il me dit où il est, on est beaucoup trop loin pour se rencontrer.
Hier nous avons eu soleil comme c’était samedi, et le brouillard est revenu. A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 6-2-18
7 h du soir

Chers Parents,

J’ai reçu hier votre lettre. Dans une de mes dernières je vous disais que j’avais reçu le colis, tout est arrivé à bon port, j’ai reçu les chaussettes et les journaux, et le cou de canard a été excellent.
Hier il y a eu distribution d’effets, j’ai une paire de pantalons et une paire de molletières tout ca était déchiré par les barbelés en faisant les patrouilles. J’ai eu aussi une bonne paire de chaussettes de laine. Je vais suivre dans ma musette un mètre de fil de fer barbelé allemand, pour porter en venant en permission. Vous verez qu’avec un réseau de fil comme ca ce n’est pas commode de passer sans se piquer. Les permissions marchent très bien on vient de porter le pourcentage à 16 %.
J’oubliais de vous dire que nous avons encore déménagé une autre fois. On nous fait faire beaucoup de chemin tout en restant à peu près au même endroit. Nous sommes toujours comme travailleurs. Quelques gradés et soldats viennent de partir au A.A. pour apprendre le maniement d’un nouveau fusil. C’est le fusil Lebel transformé il se charge avec un chargeur à cinq cartouches (comme le boche) et on peut tirer les 5 coups sans recharger. Toujours du nouveau pour se tuer.
Je n’ai pas revu Léonce je pense qu’il doit être en perm, car ce doit être son tour.
C’est avec plaisir que j’ai appris que Jean C. était venu pour deux mois, je pourrais au moins le voir à ma prochaine permission.
J’ai reçu aujourd’hui des nouvelles d’un de mes camarades du 58e et qui est à Monastir.
On ne peut pas encore se voir avec Charles car je suis trop près des lignes et je ne peux pas quitter il faut attendre d’être au repos.
Un de mes camarades de la Meuse rentre de permission et il m’a dit que les Américains prennent position, sur le front de Verdun : en relevant les troupes françaises. De temps en temps nous voyons passer des officiers américains, qui viennent voir les travaux.
Dès que Jean aura passé le conseil vous m’enverrez le résultat.
A bientôt
Joseph

J’aurais besoin d’un petit calendrier de l’année, car il arrive qu'on facilement le jour où l’on n'est. Des fois on se croit au dimanche et ce n’est que jeudi.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 11-2-18
7h soir

Bien chers Parents,

Je ne sais pas si cette nuit je vais dormir tranquille, car à l’heure où je vous écris toutes nos pièces lourdes tirent tant qu’elles peuvent. Une grosse pièce est près de la baraque où je loge et à chaque coup qu’elle tire la baraque tremble de toutes ses planches. Le bombardement a commencé ce matin tout d’un coup. Le secteur était très tranquille, c’était rare si on entendait quelques coups de canon.
Et voilà que ce matin à un signal donné des centaines de canons se sont réveillés, et depuis ils tirent sans interruption. Que vont dire MM. les Boches de tout ça ? Pour le moment ils sont encore tranquilles, ils se demandent ce qu'il va leur arriver. Je pense qu’on va leur pousser une petite visite vous l’apprendrez par le communiqué. Nous nous attendons à la riposte et nos précautions sont prises. Je vous assure que je quitterai pas mes souliers cette nuit, et j’aurai mes deux masques sur moi en cas d’alerte.
Aujourd’hui comme travail nous avons construit un réseau de barbelés. Comme nous commencions le travail, le bombardement commençait, nous avons vu les corbeaux qui vivaient paisibles dans le bois, se rassembler et fuir le canon qui les réveillait subitement. Nous avons vu aussi cinq sangliers, qui déménageaient en vitesse, car leur petit coin n’était plus tranquille depuis cinq minutes. A leur passage il y en a qui ont pris leurs fusils, mais ils n’ont pas eu le temps de leur tirer dessus.
Malgré le vent assez fort un de nos ballons (saucisse) est monté pour réglé le tir, et l’observateur devait bien faire son travail car deux avions ennemis descendant des nues sont venus l’incendier. L’observateur a sauté en parachute, mais celui-ci n’a pas eu l’air de bien s’ouvrir et sa descente a été un peu trop rapide. Toute la journée nos avions ont volé réglant le tir, et montant la garde, ont n’a pas revu d’avions boches. Je pense que cette activité inaccoutumée sera de courte durée. Ca nous rappelle un peu Verdun, mais en plus petit.
L’autre jour au lever du jour les américains qui sont en ligne sur notre gauche, recevaient la visite des Boches, qui arrivaient tout doucement. Pour les recevoir, les américains ont lancé la fusée rouge et quelques secondes après un formidable tir de barrage leur tombait sur le dos (des boches). Sûrement que tous n’auront pas pu renter chez eux sans laisser des plumes sur le terrain.
Hier j’ai reçu le colis recommandé tout est bien arrivé j’ai goûté les fricandaux et sont bien bons.
Aujourd’hui j’ai reçu la carte de Louise. J’ai reçu des nouvelles de Ch. Caylus. Je vais écrire à Pierre. A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 14-2-18

Chers Parents,

Voilà le secteur redevenu calme, comme à l’ordinaire, le bombardement a fini comme comme il avait commencé tout d’un coup. Les boches n’ont presque pas répondu.
C’est un fort coup de main que nous avons fait. Ce sont des troupes de mon corps d’armée qui ont été engagées. On ne nous a pas officiellement communiqué les résultats. Il paraît qu’on a fait une trentaine de prisonniers, et que nos pertes ont été relativement légères. Ce que je sais c’est qu’on n’a pas épargné les obus.
Il paraît qu’en face de nous nous avons des troupes allemandes qui revenaient de Russie, et qui venaient de monter en ligne. Or là-bas ce n’était pas la guerre pour ces boches, et ils n’avaient pas entendu le canon depuis longtemps, alors pour leur remonter le moral, on leur a servi un bombardement de 24 heures, ils ont pu constater aussi que les obus français n’étaient pas moisis, et qu’ils étaient nombreux de famille. Les plus heureux de tous, ce sont ceux qui ont été «fait aux pattes».
Demain je vais encore faire un réseau, nous travaillons à la tâche, nous avons à faire 50 m. carrés de réseau. On nous porte la soupe de midi sur le terrain et on rentre vers les 2 ou 3h.
Nous travaillons pour le génie mais ce n’est pas la compagnie de Léonce. Si Léonce est en perme, dites lui que je travaille sous la direction de l’aspirant à lunettes, et que nous avons souvent la visite du vieux capitaine de 25/64.
J’ai reçu une lettre de Pierre, aujourd’hui, il me dit qu’il compte avoir sa perm. dans la 2e quinzaine de mars, je pense que mon tour arrivera à cette époque là. Naturellement il faut que tout marche bien. Car voilà les beaux jours qui arrivent et il faudra en donner encore coup, on nous le fait venir de loin afin de n’être pas trop surpris lorsque ce sera le moment.
Je n’ai encore rien reçu après la carte de Louise, je ne sais pas encore si Jean a été pris, je pense avoir quelque chose demain.
Pour aujourd’hui je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Le bonjour aux amis et voisins.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 20-2-18
6h soir

Bien chers Parents,

Je crois que je me suis mis un peu en retard pour vous donner de mes nouvelles. Aussi se soir je ne veux pas aller plus loin sans vous écrire.
Aujourd’hui je suis allé faire mes 50 mètres carrés de réseaux. Ce qui fait que j’ai encore versé quelques gouttes de sang pour la France, car on ne manipule pas tout un jour du barbelé sans se piquer : je compte au 12 piqûres ou égratignures à chaque main, une au visage. Puis on se fait les biceps pour enfoncer les piquets car on tape dessus avec des masses de 20 kilos, il faut que ca rentre ou que ca dise pourquoi.
Ce soir je ne vous écris pas sur mon genoux comme ca m’arrive souvent, je suis à table et éclairé à l’électricité. Une baraque du camp est transformée en salle de correspondance, elle est chauffée et tout le monde en profite.
Il y a 4 ou cinq nuits qu’il gêle très fort, les conduites d’eau sont gelées, c’est à peine si on en a pour la cuisine, hier et aujourd’hui j’ai réussi à me débarbouiller, et ce n’était pas par fantaisie. Le pain commençait à être gêlé. Nous avons eu la bise 2 ou 3 jours et je vous assure qu’elle n’était pas chaude, vous devez l’avoir eu là bas car elle prenait la direction du midi.
Nous sommes toujours bien nourris, à midi : j’ai mangé 2 pleines assiettes de rata, de p. de t. et de navets, c’était excellent, aussi je ne me suis pas fait prier pour aller au «rabiot». Ce soir il y a eu riz, j’en ai mangé aussi deux pleines assiettes aussi le ventre ne fait pas de plis. Au moment où j’écris les avions de bombardement commencent leurs tournées nocturnes, toute la nuit nous entendons le ronflement des moteurs et les éclatements de bombes. Les boches viennent sur L. et N. et sur l’arrière bombarder un peu partout. Les nôtres ne restent pas inactifs, vous devez vous en apercevoir par les communiqués. Le temps va très bien pour eux et ils en profitent. Il parait que les boches vont tenter une offensive sur notre front, d’après un nouveau système d’attaque. Qu’ils viennent nous les attendons, ils n’ont pas passé en 1916 à Verdun (suite page b.)
(suite) ils ne passeront pas en 1918. Nous pouvons avoir les journaux, ce qui fait que l’on est un peu au courant de la situation.
Il y a ici le 116erégiment d’artillerie régiment du 16e Corps, il y a des méridionnaux car j’entends parler patois.
J’ai reçu aujourd’hui votre lettre du 11 février, j’ai eu des nouvelles de Pierre il y a quelques jours je vais lui écrire ce soir. Pour le premier de l’an j’ai écrit à Riom, pour leur souhaiter la bonne année et je n’ai pas eu de réponse.
Pour aujourd’hui je ne vois plus rien à vous dire, et je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 25-2-1918

Bien chers Parents,

J’ai reçu hier la lettre contenant le petit calendrier. C’est ce que je voulais, car il y a tout ce que je veux savoir, et n’est pas encombrant. J’espère si les permissions continuent à bien marcher, me rencontrer avec Pierre, il pense avoir son tour dans la 2e quinzaine de Mars je ne crois pas avoir le mien avant. Ce serait un grand plaisir si l’on pouvait se trouver tous réunis avant le départ de Jean. Les permissions courent un grand danger elles peuvent êtres suspendues d’un jour à l’autre, et l’on ne peut être sur de venir que lorsqu’on arrive à la maison. Je tiendrai Pierre au courant de mon tour, je lui dirai qu’il en fasse de même, afin que chacun nous puissions faire notre possible pour nous rencontrer. Nous sommes toujours au même endroit occupés à faire des réseaux de fil de fer. L’autre jour nous avons eu la visite au travail du général commandant le Corps d’Armée. D’après certains bruits touts récents, il paraît que notre départ serait proche. On ne sait rien de sûr à ce sujet. Vous me dites que vous avez la misère de pain ici on nous fait aussi subir le régime des restrictions. Nous avons un jour par mois sans pain. Pour ne pas trop nous incommoder on nous donne une demi ration pendant 2 jours. On nous remplace le pain par des biscuits. La nourriture va bien nous mangeons des p. de t. haricots et riz, viande de cochon 4 ou 5 fois par semaine. On nous fait faire beaucoup d’économies au sujet des effets d’habillement et d’équipement.
J’ai reçu avant-hier une lettre de Tata, et elle me demandait si j’avais reçu une de ces lettres datée du 15 janvier et contenant 10 francs. Je n’ai rien reçu, aussi je vais lui écrire pour l’en informer.
Je ne vois plus rien d’intéressant à vous dire, je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur. A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

1918 : mars

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 11-3-18

Bien chers Parents,

Samedi dernier nous avons été comme d’habitude placer du fil de fer, et vers les 9 heures M.M. les Boches se sont mis à bombarder à côté de nous.
Les obus tombaient à 200m on continuait tout de même le travail, malgré que les éclats cassent les branches au-dessus de nos têtes. Plus ils tiraient plus les obus se rapprochaient de nous, si bien que les trois derniers sont tombés en plein dans le réseau en construction, on a évidemment évacué la position et ont est allé manger la soupe, car la roulante venait d’arriver. Pendant notre repas les boches n’ont pas tiré un obus, mais dès que nous sommes revenus sur le chantier, ils se remis à tirer, avec plus d’intensité, les obus arrivaient par 4 à la fois, aussi on a fait demi tour en principe et on est rentré au cantonnement, toujours suivis par les obus car ils allongeaient leur tir. Personne de chez nous a été atteint : 2 hommes du génie ont été blessés. Ce bombardement ne nous paraît pas normal. Les boches ne pouvaient pas nous voir.
Le matin en arrivant au travail quelques uns de mes camarades ont vu un officier d’artillerie, sans écusson, d’allure louche, qui rodait autour de nous, on se demande si ce n’est pas un espion. On la toujours signalé à nos chefs. Je vous assure que si c’était lui qui est la cause du bombardement, et qu’il tombe un jour entre nos mains, il passerait un mauvais quart d’heure.
Aujourd’hui nous sommes revenus sur le même chantier on y était au lever du jour, aussi on a eu fini de bonne heure, car on en a mis un coup, en cas que ca recommence.
Hier j’ai eu la visite de Léonce, il est à 3 kilom. à côté de moi, et il m’a donné de vos nouvelles. J’irai le voir dimanche prochain, car le dimanche d’après j’ai espoir que je serais au milieu de vous et que je pourrai passer la fête de Pâques à la maison.
A bientôt d’autres nouvelles, en attendant le bonheur d’être bientôt avec vous je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 16-3-18
8h au soir

Bien chers Parents,

Me voilà donc à la veille de partir en permission. Ce soir je suis le 4e à partir. Qu’il en rentre 4 seulement et je pars le lendemain.
Aujourd’hui il n’en est pas rentré, aussi je ne crois pas partir avant mardi ou mercredi. Hier j’ai reçu une carte de Pierre et il me dit que son tour arrivera vers le 5 avril. Nos dates de départ ne coïncident pas comme je l’aurais cru. Pierre m’avait dit que son départ probable serait vers le 25 mars, à présent il parle du 5 ou 10 avril. Son stage du D.D. le retarde toujours par rapport à moi. J’hésite à céder mon tour à un autre, car on s’attend d’un jour à l’autre à la suspension des perm. et je serais embêté si je laissai passer ainsi mon tour. Il y a plus d’un mois qu’on est ici, en réserve presque au repos, et l’on peut avoir besoin de nous d’un moment à l’autre. On fait aussi des difficultés pour ces changements ce qui fait que je vais partir à mon tour.
Je voulais demander une permission pour aller voir Léonce demain dimanche. Mais la place a été prise : il n’y a qu’un seul homme par comp. et par jour qui puisse avoir une perm. de la journée.
Il y a un de mes camarades qui est à 3 kilom. de son pays où il a tous ses parents c’est là où est Léonce, et ce doit être lui qui a demandé la perm. pour demain.
Léonce n’a pas besoin de perm. pour venir me voir aussi je tacherai de lui faire dire de venir de voir. Heureux sapeurs plus libres et moins embêtés que que le simple trouffion.
Nous avons un temps splendide, un vrai temps de printemps. Tous les matins les oiseaux nous sonnent le réveil, et les violettes vont commencer à fleurir. Par ce temps-là c’est dommage que ce soit la guerre.
Secteur toujours tranquille, sauf les matins où il y a quelques coups de main surtout chez les américains. Mais j’espère qu’à Aguessac il sera meilleur.
Donc à bientôt en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Verdun le 30 Mars 1918

Chers Parents,

Il a fait aujourd’hui un temps affreux. Hier il avait plu toute la journée pendant la nuit il a gelé assez fort et ce matin il tombait de la neige.
Toute l’après-midi j’ai été de service en ville, il a fait une petite éclaircie ce qui a permis à la musique du régiment de donner le concert habituel. Vers 4 heures le temps s’est subitement obscurci, et une violente bourrasque de neige est tombée elle tombait si épaisse qu’à 50m devant soi on ne voyait rien. Ca duré une heure, et il en est tombé 10 centimètres; après un moment d’accalmie ca se remet à tomber ca va sans doute tomber toute la nuit. On dirait que c’est l’hiver qui recommence.
J’ai reçu aujourd’hui votre lettre du 28. Je recevrais sans doute bientôt des nouvelles de Pierre de son nouveau régiment, j’espère qu’il n’y sera pas plus mal mais c’est toujours embêtant de changer ainsi. Je n’ai rien reçu de Jean de la semaine, je vais lui écrire ce soir.
Ici on fait toujours le même travail on est souvent en ville soit pour le service, soit pour des corvées, ce qui permet de la bien visiter.
Ici aussi on demande des soldats pour l’armée d’Orient d’abord des volontaires et s’il y en a pas on prend d’office parmi les plus jeunes. Nous attendons le renfort de la classe 19 je ne sais pas quand il arrivera.
Le 2e tour de permission va recommencer le 1er Avril. Je ne sais pas si j’aurais la mienne, si la démobilisation continue je serais démobilisé avant ce qui vaudra mieux. Pour ca on attend de nouveaux ordres.
Nous avons trouvé du changement depuis que notre ancien Colonel est revenu, il a commencé par retarder le réveil de demi heure, il a supprimé la gymnastique du matin, on est mieux nourri, le soir à 4h et demi on a du thé au rhum, etc il ne veut pas qu’on soit malade n'y qu’on attrape la grippe. Mais gare le "quinze dont huit" va remarcher.
Pendant mes sorties en ville je vais souvent à la gare, où se trouve une cantine de l’I.m.C.t. où l’on donne un quart de chocolat au lait bien chaud. Inutile de vous dire que les clients ne manquent pas et savent apprécier le chocolat américain.
A bientôt
Joseph

1918 : avril

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 6-4-18

Bien chers Parents,

Me voilà donc arrivé au c.i.d. depuis hier matin. Je suis descendu du train vendredi matin à 6h et demi. Le voyage a été un peu long, mais ca c’est bien passé. Je vous ai envoyé une carte de Lyon, où je vous disais qu’avec Gustave nous avions passé quelques heures à Avignon avec Jean C. que nous étions aller chercher à la caserne. Le soir à 3h nous repartions vers Lyon, et nous sommes montés au fort ou était caserné Pascal, il venait de partir pour le front la veille ce qui fait que nous n’avons pu le voir. Nous avons continué notre route avec G. jusqu’à Langres, là Gustave a pris une autre direction, tandis que moi je continuai jusqu’à Toul.
Je ne sais pas au juste où est le régiment, il n’est pas par ici. Les permissionnaires ont été remplacés dans les comp. par les hommes du c.i.d. (ancien d.d.) ce qui fait que l’effectif est complet. Ici on entend que tous les permissionnaires soient rentrés puis ont nous enverra chacun dans notre compagnie.
Dans le camp ou je suis il y a une division américaine au repos. Elle vient de passer deux mois aux tranchées et a reçu le baptême du feu. Hier je suis allé voir les Américains à l’exercice et j’ai assité au défilé de deux régiments musique en tête et drapeau déployé. Après le défilé on a remis des croix de g. f. à des soldats américains. Le tout a été cinématographié. Le soir ils ont repos et passent tout leur temps à la cantine à boire du champagne tant qu’ils ont de l’argent. Ils le boivent à la bouteille sans se servir de quart, ni de verre. Quand ils sont (!saoul) ils disent qu’ils sont ((zig-zag), et ca leur arrive souvent. Après la soupe du soir, je suis allé me promener avec un de mes camarades qui connaissait quelques mots d’américain, à force de geste nous arrivions à nous faire comprendre. Ceux à qui je causais étaient de la Nouvelle-Orléans. Demain ils remontent en ligne, sur le nouveau champ de bataille. Ils nous ont fait comprendre qu’ils voulaient lutter jusqu’au bout.
Tant que je ne serais pas à ma compagnie, je ne pourrais pas avoir des lettres, pour m’écrire attendez donc que je vous dise lorsque je serais arrivé. Pour aujourd’hui je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 13-4-18
1ère lettre
Chers Parents,

J’ai rejoint mon régiment hier soir, après un voyage de 20 heures en chemin de fer. En arrivant à la compagnie j’ai appris que j’avais été changé, et qu’on m’avait affecté à la compagnie hors rang comme bombardier. Je vais être comme Paul Rendu, je ne sais pas encore au juste a quoi va consister mon nouvel emploi. Je ne serais pas plus mal qu’à la compagnie où j’étais.
Ce qui m’embêtait le plus c’était de quitter mes camarades avec lesquels j’étais depuis un an. Ici j’espère être de nouveau bientôt habitué, on a bientôt fait des connaissances.
Nous sommes à quelques kilomètres des lignes et le secteur n’a pas l’air d’être des plus tranquilles. Je ne sais pas encore ce que nous allons faire.
En arrivant à ma compagnie on m’a remis les lettres qui étaient arrivées pendant ma permission. J’en ai eu plusieurs de Pierre, de Paul Rendu et une carte de Louise.
Je ne sais pas si le service postal marche bien, dès que vous aurez reçu cette lettre répondez moi, le plus tôt possible car je languis bien d’avoir de vos nouvelles, ainsi que de Pierre et des camarades d’Aguessac qui sont au pastis.
S’il m’est arrivé des lettres à mon ancienne compagnie on me les fera parvenir, mais elles ont toujours du retard par suite du changement. Voici ma nouvelle adresse :
Rascalou Hilarion
155e R. d’infanterie
C.H.R. bombardier
s.p. 206
Donnez-là à Pierre, et à Paul Rendu car je ne pourrais pas leur écrire peut être tout de suite.
Nous sommes dans un village où les civils viennent de partir devant l’avance allemande. Avant l’attaque c’était loin des lignes et occupé par les Anglais. Ceux-ci n’ont pas laissé une bonne réputation avant de partir. Je ne crois pas que l’on reste encore ici car nous somme division volante, et quoique l’on ne vole pas pour cela, on marche beaucoup.
Après que j’ai été parti en perm. il n’en ai parti que 3 ou 4 après moi vous voyez qu’il ne s’en est pas manqué de beaucoup, que je fasse comme Paul Rendu.
Ici il fait beau temps, aujourd’hui il fait du vent, et froid, l’essentiel est qu’il ne pleuve pas.
Hier à midi je passais près de la Courneuve, où a eu lieu l’explosion. On voyait très bien Paris. J’ai vu la basilique de Montmartre qui dominait la capitale; en la voyant ma pensée est allée jusque là-bas, aux pieds du Sacré-Cœur, auquel j’ai adressé une courte prière, pour la victoire et le salut de la France. A bientôt d’autres nouvelles. Toujours j’ai bon courage et bon espoir. Prions à présent plus que jamais, car Dieu seul peut nous accorder la victoire et la paix que nous attendons donc tant.
Joseph

J’ai vu passer des troupes du génie je n’ai pas pu voir s’il y avait Léonce, n'y si c’était sa compagnie. J’espère le voir bientôt.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 16 Avril 1918
2e lettre
Bien chers Parents,

Je vais enfin pouvoir vous écrire car jusqu’ici je n’avais pas d’enveloppes, mes camarades n’en avait pas n'ont plus et ne pouvaient m’en prêter. Heureusement que la coopérative vient de s’installer et j’ai pu acheter ce qu’il faut pour écrire. Le village où je suis est évacué par les civils, il n’en reste que quelques-uns qui vont partir car les obus ne tombent pas loin, et les boches pourraient bien y taper dedans.Avant-hier je vous ai envoyé une carte, j’espère que vous l’avez reçue, j’en ai envoyé une aussi à Pierre.
Je n’ai encore reçu aucune lettre depuis ma rentrée de permission.
On vient de nous donner notre carnet de pécule de 1917.
Un de ces jours je vais vous l’envoyer, car je ne veux pas le garder sur moi de peur de le perdre, il y a 75 francs de timbres dessus. Je le garde encore quelques jours pour voir si mes camarades ont touché en timbres la première quinzaine d’avril 1917, il y a un an. Car étant au dépôt divisionnaire, j’ai passé toute cette quinzaine à monter des torpilles en première ligne, et j’avais donc droit à l’indennité de combat. Je tiens à savoir pourquoi je n’ai rien reçu, et réclamer s’il y lieu. Je tâcherai de le recommander pour qu’il ne se perde pas.
Je vous envoie aussi la lettre que j’avais écrite le 13, et les aurez ainsi toutes les deux à la fois.
Je vais aussi écrire à Pierre, afin de lui donner exactement ma nouvelle adresse.
Pour aujourd’hui je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Le bonjour aux amis et voisins.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 20-4-18

Chers Parents,

Nous avons fait hier une marche de 25 kilom. nous avons eu un vent du nord très froid avec des giboulées de neige. La nuit le vent c’est un peu posé et ce matin en nous levant nous avons vu qu’il avait neigé, car tout était blanc. La nuit d’avant il avait gelé. Aux premiers rayons du soleil tout a fondu, il a fait beau temps jusqu’à midi et ce soir il a plu. Vous voyez qu’il ne fait pas un joli temps par ici. Ci à Aguessac il en est de même la végétation doit bien en souffrir.
J’ai reçu une carte de Pierre, il me dit qu’il est toujours en Alsace, et que le secteur n’est pas mauvais. J’ai eu aussi une carte de Gustave, d’après ce qu’il me dit nous ne devons pas être bien loin l’un de l’autre. Son régiment vient de monter en ligne, j’ai vu aussi des soldats du 311, même division que Gustave. Peut-être on pourra se voir.
Envoyez moi le plus tôt l’adresse de Fernand Masson car ici il y a du génie lance flammes surement que Fernand doit être par là. Il y a tellement de monde qu’il faut un hasard pour se trouver sans se chercher.
En face de nous on vient de faire 500 prisonniers, vous devez avoir vu au communiqué. On en fera d’autres mais patience, il faut attendre le moment favorable. Nous sommes prèt des grosses pièces aussi on entend bien le "tarabastouïre". Sur un obus qu’envoie les boches nous en envoyont cinq : c’est le tarif. J’ai vu des dépôts de munitions pires car Verdun.
Notre aviation a le dessus sur l’aviation allemande tous les jours on voit des avions boches descendu, ce matin 3 saucisses boches ont été descendu par un de nos "as" il faisait à peine jour.
Demain nous allons encore marcher, je ne sais pas dans quelle direction. On va sans doute bientôt monter en ligne.
Pour aujourd’hui je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

155e R inf
C.H.R. bombardier
s.p. 206

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 22–4–18

Bien chers Parents,

Je suis toujours au même pays, on devait partir hier, et à présent il paraît qu’on va rester quelques jours. Pour le moment on n’est pas mal tous les jours on fait un peu d’exercice puis on est libre. Hier dimanche, nous avons eu repos j’ai pu aller à la messe, l’église était pleine de soldats, l’après-midi, je suis allé me promener, dans les champs. Il m’est parti des pieds un gros lièvre, je n’ai eu que le plaisir de lui dire bonjour. Après souper je suis allé voir une batterie de marine qui tiraient, elle envoyait des obus à 20 kilom. chaque fois que le coup allait partir il fallait boucher les oreilles, de peur de se faire crever les tympans.
Les hommes de la comp. des lance-flammes, vont à la chasse tous les jours, il n’ont que ca à faire, aussi ils prennent beaucoup de lièvres. Ils dénichent les nids de corbeaux, et font de belles chasses, en deux jours ils ont pris 72 petits.
Nuit et jour il passe des camions autos chargés d’obus allant aux batteries si Ch. Humbert ne crie plus des canons, des munitions, ont m'est en pratique ce qu’il a si souvent répété, et je crois que ca vaut mieux.
Ces jours-ci, on entend un peu moins le canon, il y a un peu d’accalmie, hier soir et dans la nuit ca retapait un peu plus fort ca va peut être reprendre. Toutes les nuits, de part et d’autres l’aviation de bombardement fait des visites à l’arrière.
Pour le moment je suis logé chez le maire du village. Beaucoup de civils sont partis à l’intérieur, d’autres ne partent qu’à présent, tandis qu’il y en a qui reviennent. Il n’est pas rare de voir sur les routes, entre un convoi de munitions et un régiment en marche une file de charrettes et de voitures chargées de mobilier.
La plupart des civils qui restent sont nourris par l’intendance militaire et viennent chercher leur repas à la roulante.
Les blés et les avoines sont très jolis, et toute cette plaine immense ensemencée se trouve maintenant dans la zone de guerre, aussi une grande partie de la récolte sera perdue.
J’espère que se soir ou demain j’aurai une lettre de vous. Je pense que Jean est peut être incorporé. Je n’ai pas encore vu Léonce et je ne sais pas où il est.
Donc à bientôt le plaisir d’avoir de vos nouvelles en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Au moment de mettre la lettre à la boîte je reçois la votre du 18.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 23–4–18

Bien chers Parents,

Hier nous avons eu distributions de cartouches, de paquets de pansement etc, tout ca sont des indices de notre prochaine entrée en ligne.
En effet, notre départ pour les tranchées, ou plutot pour les premières lignes car il n’y a pas encore des tranchées, vient de nous être annoncé. Se soir nous faisons nos préparatifs et le départ sera pour demain mercredi.
Il parait que l’on va pour tenir les lignes, il pourrait se faire aussi qu’on nous fasse attaquer. Pour le moment on ne s'est rien de sur, on verra ça lorsqu’on y sera. Le secteur n’a pas l’air d’être des plus agités, ca ne bombarde pas tant qu’à Verdun.
L’arrière est très mouvementé, les munitions arrivent en masse, gare quand nous serons prêts.
Je monte en ligne avec bon courage et bon espoir avec la ferme envie de faire tout mon devoir.
Je crois pouvoir vous écrire même que je sois là haut. Je vous envoie mon carnet de pécule car j’ai peur de le perdre. Conservez le moi jusqu’à la fin de la guerre, pour que je puisse en toucher le montant.
Le beau temps paraît être revenu, aussi on n’aura pas la boue. Le plus embêtant dans ces pays c’est qu’il n’y a pas d’eau. Il n’y a que des puits de 50 à 60 mètres de profondeur.
Je joint un billet de vingt sous de l’Aveyron que j’avais dans ma poche au départ d’ Aguessac.
A bientôt d’autres nouvelles. Le bonjour aux amis et voisins.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 25 Avril 1917

Bien chers Parents,

J’ai eu aujourd’hui une visite aussi agréable qu’inattendu. J’ai eu la visite de Gustave alors que je ne m’y attendais pas du tout, aussi vous pouvez juger de ma surprise.
Je m’attendais tout de même à le voir un de ces jours car je le savais dans la région. D’autant plus que j’avais demandé des renseignements à des soldats de son corps d’armée, et on m’avait dit que sa division n’était pas loin. Nous avons fait ce matin une marche de 15 kilom. en montant sur la gauche vers Amiens.
Gustave étant cycliste et en tournée, a vu des hommes de mon régiment alors il s’est dit : ca y est, Joseph est par ici. De peur de se tromper il regarde une de mes lettres qu’il venait de recevoir, pour voir si c’était bien au 155 que j’étais. Lorsqu’il a vu qu’il n’y avait pas d’erreur, il a filé à la 10e Comp. mais là on lui a dit que j’étais à la C.H.R. et qu’on ne savait pas où elle était. Le voilà parti à la recherche de la C.H.R. finalement il la trouve et il me surprand en train de lire une feuille de livre que je venais de trouver par terre.
Nous avons passé une heure ensemble causant de choses et d’autres. Nous n’avons pu à notre grand regret, trouver un malheureux bibon de pinard pour trinquer ensemble. Mais il n’y a rien encore de perdu, je l’attends demain matin, et il portera ce qu’il faut, pourvu que je ne sois pas parti nous passerons un moment ensemble. Ca serait le coup que d’ici là je trouve Léonce et Fernand Masson. Enfin si demain nous pouvons nous revoir je vous l’écrirai.
Ce soir Gustave va aussi écrire et nous avons dit que nos lettres seraient peut être arrivées dimanche, et qu’elles seraient pour les deux Mamams une bonne occasion de faire la causette à la sortie de Vêpres.
Hier au soir nous devions monter en ligne, nos officiers étaient aller reconnaître le secteur et au dernier moment il y a eu contrordre le lendemain nous sommes venus ici à estrées. Il est probable que nous allons prendre un secteur.
M.M. les boches font toujours des leurs, mais on les arrose comme il faut, ce n’est pas toujours la fête. Beaucoup se rendent ne pouvant plus vivre la vie atroce que nous leur infligeons par notre bombardement qui ne s’arrête jamais. D’après ceux qui reviennent des lignes leur artillerie ne tire pas beaucoup. La nôtre tire nuit et jour, sans interruption.
Pendant que nous causions avec Gustave nous avons vu passer 300 camions d’obus à 60 obus par camion.
Je m’aperçois que j’ai rempli les 4 pages alors j’ai ajouté une cinquième.
Hier j’ai reçu une carte de Tata, avec un mandat de 10 fr. je lui ai répondu tout de suite pour lui en accuser réception et pour la remercier.
Je n’ai pas reçu d’autres nouvelles de Pierre je pense que ce sera pour bientôt. Jean ne m’a pas encore écrit, il ne doit pas encore être bien habitué à son métier. Dès que j’aurai son adresse je lui écrirai.
Avant hier je vous ai envoyé mon carnet de pécule je pense que vous l’avez reçu. Nous allons être engagés dans le pastis d’un jour à l’autre.
Avez-vous des nouvelles de Paul Rendu ? Dans quel secteur est-il. Marcel Forestier est peut-être par ici vous pourrirez me donner son adresse, ainsi que de ceux qui sont par ici donnez leur la mienne. Ca fait si plaisir de voir si loin du pays.
Je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 30 Avril 1918

Chers Parents,

Je profite d’un moment d’accalmie pour vous donner de mes nouvelles. Je suis toujours en bonne santé et je suis en ligne depuis 4 jours.
Une heure avant la relève j’ai eu la visite de Gustave, et nous avons passé un bon moment ensemble en buvant une bouteille de vin blanc. Nous avons donc fait la relève vendredi soir : nous avons fait une vingtaine de kilomètres en longeant le front, il commençait à faire jour lorsque nous arrivions à destination, par bonheur nous n’avons pas eu un obus pendant la marche. Le premier jour nous sommes restés dans des trous près du P.C. du colonel nous avons été bombardés toute la journée, personne de touché. Le soir nous montons à 200 mètres de lignes nous nous installons, dans un autre trou au bord d’une haie de jardin, nous travaillons toute la nuit pour aménager notre gîte. Le bombardement commence à 8h. et dure jusqu’à 3h du soir les obus tombaient à 7 ou 8 mètres, et pas des petits. A 7 heures les boches déclanchent un violent tir de barrage sur notre gauche, qui s’étend peu à peu sur la droite. Dix minutes à peu près nous étions en plein sous l’avalanche de feu et de fer. Ca duré plus d’une heure, et je croyais bien que le dernier jour de ma vie était arrivé. La nuit venue nous sommes allés chercher nos pièces pour les mettre en batterie. A 2 heures du matin nous étions de retour. Nous nous sommes installés dans une cour de ferme qui naturellement est toute démolie. Nous ne sommes pas trop mal puis les boches se sont calmés et ne tirent pas tant. Défense absolue de se faire voir dans le jour. La nourriture celle un peu à désirer on fait un repas à 2 heures m. lorsque arrive le ravitaillement et on mange tout froid. Vous pourriez m’envoyer un colis dans le cas où l’on resterait longtemps ici.
Avant-hier soir j’ai reçu deux lettes une du 21 l’autre du 25. J’en ai reçu une aussi de Pierre du 21 et une autre de Jean, je vais leur répondre à tous les deux vous pourriez quand même leur donner de mes nouvelles en cas que mes cartes tardent à arriver.
Le régiment commence à avoir des pertes car le secteur n’est pas trop tranquille. Il y a des bombardements comme à Verdun, et ce n’est pas le filon de rester là-dessous.
Vous me dîtes que vous m’envoyez l’adresse de Fernand M. vous devez l’avoir oubliée car je ne l’ai pas vue dans la lettre.
Je vous recommande de bien prier pour moi, et pour ceux qui se battent afin que la Ste Vierge nous protège et nous ramène sain et sauf.

Je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur. Le bonjour aux amis et voisins, sans oublier Monsieur Dornart.
Joseph

1918 : mai

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 3–5–18

Bien chers Parents,

Voilà le 7e jour de ligne, jusqu’ici ca ne va pas trop mal, pourvu que cela continue. Puis j’espère que quand nous en aurons fait autre 7 la relève ne sera pas loin.
Les trois premiers jours ont été les plus mauvais, car on n’était pas habitué à la dure vie de tranchées et puis les boches venaient de faire une avance dans le secteur, rien n’était organisé, et l’artillerie tapait. Depuis on a travaillé il y a des tranchées, des abris, ce n’est pas encore fameux mais c’est mieux que s’il n’y avait rien. Je suis toujours dans la cave. La nuit on travaille à la consolider, je crois que la voûte peut résister à un 105.Le jour on dort, et on passe le temps comme on peut, l’essentiel est que pour le moment ca ne tape pas trop, ils tirent beaucoup sur l’arrière, sur les réserves, sur les batteries etc. La nuit ils tirent sur le ravitaillement, hier soir des cuisiniers ont été blessés, et une barrique de vin pour une compagnie a été percée par un éclat. Nous allons chercher le ravit à 3 kl. à l’arrière. Pour y aller il faut traverser un grand village sur lequel les boches tirent très souvent, aussi il faut le traverser le plus rapidement possible. Ce village était intact il y a 5 jours, les boches l’ont démoli en 2 jours ils y ont tiré du 380, aussi à présent il n’y reste plus grand-chose.
Les civils ont du l’abandonner précipitamment car il y a encore tout le mobilier. A présent le tout ne forme plus qu’un amas de pierre de poutres, de meubles brisés, des lits etc. C’est triste à voir.
Dans une cave de ce village se trouve un poste de secours, les ambulances automobiles viennent chercher les blessés en plein jour malgré les obus. Plusieurs voitures sont démolies. Ce sont des Américains ou des Anglais qui les conduisait. Les Anglais sont sur notre gauche et ca tape plus chez eux qu’ici.
Hier j’ai reçu le colis, il est arrivé à bon port et au bon moment. On est un peu mieux nourris, on nous donne des p. d. t. en salade, et c’est plus appétissant qu’en rata.
J’ai reçu la lettre de Louise et une lettre de Paul R. Je pense que vous recevez régulièrement mes lettres, ici elles arrivent assez bien.
Savez où je suis ? et avez-vous reçu mon carnet de pécule ? Ici on n’a pas de journaux aussi on ne sait pas trop ce qui se passe, ca c’est un détail. Donnez de mes nouvelles à Pierre et à Jean, je leur ai écrit avant-hier.
A bientôt le plaisir de vous écrire en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Les permissions ont repris à 3 p. 100. Jugez de la joie de ceux qui partaient en perm. le jour que nous montions en ligne.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 14 mai 1918

Bien chers Parents,

C’est la crise du papier en plein, il ne m’en reste plus et je vous envoie la dernière enveloppe. Mes camarades aussi on tout fini, on ne croyait pas rester si longtemps en ligne aussi on n’en avait pas porté beaucoup. Nous passons donc le 18e jour de ligne et on ne parle pas encore de relève. Je pense qu’on ne restera pas encore longtemps et que nous aurons quelques jours de repos. Le secteur est toujours assez tranquille, on organise le terrain des deux côtés. En première ligne il ne tombe presque pas d’obus, tout se porte sur l’arrière batterie, réserve, ravitaillement etc.
Je suis toujours dans la cave, nous avons un peu aménagé l’entrée pour n’être pas vu aussi on peut dans le jour sortir pour prendre l’air. Nous n’avons pas le beau temps, le ciel est nuageux, et il ne fait pas chaud, c’est à peine si les arbres commencent à verdir. De temps en temps il fait quelques petites averses.
Pendant les jours où il fait beau, l’aviation marche à grand train, aussi l’on voit chaque fois des combats aériens. Nous avons appris que Fonck a abattu 6 avions dans une journée, il opère dans notre secteur.
Hier soir j’ai reçu votre lettre du 11, elle n’a pas mis longtemps à venir. J’ai reçu le 2e colis il y a 3 ou 4 jours, tout arrive assez bien et assez vite. Je n’ai pas reçu …….. nouvelles de Jean. Je lui ai écrit il y a quelques jours et je pense qu’il ne tardera pas à me répondre. Il doit être bien content s’il peut avoir une permission pour venir faire un tour à la maison. Et je pense que vous aussi vous serez bien contents de voir de jeune poilu en uniforme. Je n’ai rien reçu de Pierre depuis quelques jours mais vous dites qu’il est en bonne santé et, comme il est au pastis, il ne doit pas avoir trop le temps d’écrire. Je ne sais pas exactement où est Léonce, il y a du génie pas loin de nous, mais on ne peut pas se voir, il faudrait un coup de hasard en allant au ravitaillement. L’autre jour, je revenais du ravitaillement et je portais une pleine marmite de haricots, je marchais assez vite pour passer un endroit dangereux et, comme il ne faisait pas bien clair, il était minuit, je n’ai pas vu un trou d’obus. Aussi je partis mesurer la largeur de la route ! La marmite a roulé quatre ou cinq pas plus loin et l’anse m’est restée à la main, je me suis ramassé en vitesse et j’ai du porter la marmite dans mes bras, heureusement que je n’avais que 1500 mètres à faire ! A présent, il va faire lune le soir, aussi on y verra un peu mieux. J’ai reçu des nouvelles de Gustave, il est remonté en ligne pour une vingtaine de jours. Si on reste dans le secteur, on pourra peut-être se voir encore. Pour le moment, je n’ai pas besoin de colis, vous pourriez m’envoyer une chemise car j’en ai besoin, surtout si on reste encore quelques jours ici. Si vous pouvez, vous mettez dans le colis une petite bouteille d’huile et de vinaigre. Depuis qu’on est ici, on n’a rien mangé de chaud. Il y a deux ou trois jours qu’on touche de l’alcool solidifié et avec cela on peut faire chauffer le rata. On nous donne, de temps en temps, des p. de t. ou des haricots en salade mais c’est si peu assaisonné que ce n’est pas toujours bien bon ! Nous pouvons avoir de l’eau à une pompe, aussi on ne souffre pas de la soif. On peut aussi se débarbouiller mais on ne peut pas laver son linge. Pour aujourd’hui je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur. Le bonjour aux voisins. Joseph.

Lettre de JOSEPH à sa soeur LOUISE

Aux Armées le 26 mai 1918
27-5-18

Bien chère Louise,

Me voilà enfin relevé des tranchées après y avoir passé 29 jours consécutifs, et pour un secteur comme nous avons je crois que ca commence à compter.
Je suis donc au repos depuis ce matin et pour quatre jours seulement, ensuite on remontera, et on recommencera la vie de tranchée.
Cela n’a rien d’agréable cette vie là figure toi rester 29 jours sans manger de la soupe, sans faire un repas chaud, 29 jours enfermé dans une cave obscure et humide, 29 jours sans quitter ses souliers, 29 jours sans changer de linge. Lorsque je suis monté j’avais une chemise à peu près blanche a présent elle est couleur kaki.
29 jours sous le bombardement, et en continuel danger de mort, etc eh bien malgré tout ca on s’y habitue à cette vie là et on ne s’en fait pas plus que ca.
Pour le moment nous sommes dans un village à 5 ou 6 kilomètres à l’arrière des lignes, il n’a pas l’air trop démoli, mais il n’y a plus de civils, tous sont partis en emportant tout ce qu’ils avaient de plus précieux, et laissant tout le reste à la merci des obus, et du pillage.
Je t’écris assis sous un pommier, dans un jardin, j’ai cueilli quelques pensées et je te les envoie.
On est à proximité des batteries lourdes mais ca ne tire pas beaucoup, les boches répondent de temps en temps aussi nous sommes obligés de coucher dans une cave, pour dormir dans une sécurité relative.
Avant hier j’ai reçu une lettre de Jean où il me dit qu’il est à l’hôpital, il m’explique un peu sa maladie par une longue et bonne lettre.
J’ai reçu aussi des nouvelles de Pierre, il me dit qu’il va remonter en ligne, après un court repos.
Je crois que les troupes françaises n’ont plus beaucoup de repos depuis quelque temps.
Pendant ces quelques jours de repos et vais écrire un peu à tout le monde, afin de rattraper le temps perdu.
Pour aujourd’hui je ne t’en dis pas plus long, je te recommande toujours de bien prier pour ceux qui se battent et pour le salut de la France.
Un frère qui ne t’oublie pas et qui t’envoie ses plus affectueux baisers.
Joseph

Mes fleurs arrivent-elles en bon état ?

Exuse moi si ma lettre t'arrive aujourd,hui elle aurait t'arriver hier, je l'ai écrite dimanche et voila qu'aujourd'hui lundi je m'aperçois que je l'ai encore a la poche. Aussi je fais le sacrifice de l'enveloppe pour remplir la 4e page.
Aujourd'hui j'ai lavé mon linge et ma vareuse, je t'assure que cette fois je ne monterai pas en ligne sans linge propre. Depuis que je suis aux bombardiers je marche sans sac qui reste aux voitures. Ca des avantages et des inconvénients.
J'ai reçu le colis contenant la chemise et bouteillan, v. et h. le tout est arrivé à bon port. Aujourd'hui je reçois la lettre de Maman du 25. Vos lettres m'arrivent dans les 48h trois au plus tard. Ici nous sommes bombardés, on peut tenir quand même.
A bientôt
Joseph

1918 : juin

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 2 juin 1918

Chers Parents,

La division vient d’être relevée du secteur, ce qui fait que nous sommes au repos un peu à l’arrière. Nous sommes dans un grand village, logés dans une usine de tissus, on trouve tout ce que l’on veut, il y a tous les civils, tout est cher, surtout le vin vendu par les débitants, 55 sous le litre, alors qu’à la coopérative on l’a a vingt sous. Ce qui fait que c’est si cher c’est qu’il y a des Anglais, eux gagnent plus que nous, et ils ne regardent pas à quelques francs. Je ne pense pas que l’on reste longtemps ici, et nous allons prendre une direction encore inconnue. Hier j’ai pu acheter un journal, il y a plus de 20 jours que je n’en avait pas lu. La situation n’a pas l’air d’être bien brillante du côté de Soissons, et de Reims.
Nous nous demandons tous comment après quatre ans de guerre, les Boches peuvent faire ce qu’ils font. On sent bien maintenant les conséquences de la trahison russe. C’est nous qui avons à supporter tout le poids de l’offensive allemande.
Il faut espérer qu’on arrêtera l’avance ennemie à temps et que nous pourrons quand même faire la contr'offensive : ce sera alors la grande bataille décisive.
Au moment où je vous écris les Anglais viennent d’arrêter un espion, il y a encore des ces mauvaises bêtes qui paraissent inoffensives et qui sont la cause de tant de malheurs. Il faut bien faire attention à ce que l’on dit et à qui l’on parle au sujet des opérations militaires.
Le beau temps est complètement venu il fait très chaud aussi la végétation pousse très bien.
L’avant dernière nuit pendant la marche, nous avons fait une pause de deux heures de 11h à 1h du matin. Pendant ce temps nous avons vu passer les avions ennemis qui allaient bombarder l’arrière. Nous en avons vu un qui était pris dans les faisceaux lumineux de 10 projecteurs et malgré la nuit noire on le voyait comme en plein jour. Tous les obus éclataient autour de lui, sans pouvoir l’atteindre. Par ces belles nuits tous les avions de bombardement sont en marche tant les notres que les boches. En plein midi on ne voit presque pas d’avions il paraît que le grand soleil gêne beaucoup les aviateurs. Mais le matin et surtout le soir, c’est un véritable essaim qui bourdonne.
J’avais oublié de vous dire que lorsque nous étions en ligne un mitrailleur du régiment avait abattu un avion avec ça mitrailleuse.
Pour aujourd’hui je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux armées le 17 juin 1918

Bien chers Parents,

Avant hier soir j’ai quitté la ligne de ch. de fer où l’on était en réserve, et je suis monté 3 kilom. plus en avant. Ce soir je monte avec mon petit canon, tout près des Boches. Une pièce de mon équipe est montée en position hier soir, elle est justement là où se trouve mon ancienne compagnie, j’aurais bien aimé d'être là car j’aurais pu voir mes camarades. Je vais m’installer ce soir en avant du village de méry. Le secteur n’est pas des plus mauvais, mais il n’y a ni abris solides, n'y tranchées.
Pour le moment je suis dans un abri d’artillerie lourde, où se trouvais nos batteries lourdes avant l’attaque, lundi dernier les boches y étaient, mardi c’était nous. Nous devions être relevés sitôt après l’attaque, mais la division qui devait nous relever a été appelée ailleurs ce qui fait que nous restons ici jusqu’à nouvel ordre. Hier au soir j’ai reçu votre lettre du 12 juin, les lettres ont l’air de reprendre leur cours normal. Je n’ai encore rien reçu de Pierre, je pense que ca sera pour se soir, je viens d’apprendre officieusement que la division de Pierre est venue sur notre gauche, je n’en suis pas sur, et il faudrait que lui m’écrive pour savoir réellement s’il se trouve par là. Je n’ai rien reçu non plus de Jean depuis plus de 15 jours et en brûlant mes vieilles lettres j’ai perdu son adresse, vous voudrez bien me la donner de nouveau, et lui donner de mes nouvelles en attendant qu’il m’écrive bientôt.
Nous avons un temps tout à fait sec, il y a longtemps qu’il n’a pas plu. Nous sommes ici en plaine, on voit au moins à trente kilomètres à la ronde. Tous ces pays sont semés en céréales, fourrages etc et tout ca est perdu. On voit des champs de blé magnifique et immense, qui vont bientôt murir, et qui vont périr sur place. Il y a des villages qui il y a quelque temps étaient tous intacts avec leur population civile, à présent ils sont anéantis par le feu et les obus.
Pour le moment on est assez bien nourris, on touche 3 quarts de pinard, et presque tous les jours des haricots, rarement des pommes de terre. On fait un repas par jour à 11 heures du soir, le lendemain on casse la croûte avec des sardines ou du pâté. On n’a pas grand appétit cette vie la nous donne la fièvre.
Nous espérons que lorsque nous descendrons au repos, sa sera pour plus longtemps que la dernière fois, on commence à être réellement fatigué de cette vie là et l’on voudrait bien que ca finisse le plus tôt possible.
Le bonjour aux amis et voisins. Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 25 Juin 18

Bien chers Parents,

Il ne me reste plus que cette feuille de papier allemand continuez à m’en envoyer car ici on en trouve difficilement.
Il y a quelques jours que nous devions monter en ligne, et au dernier moment il y a eu contre-ordre et on est descendu en réserve en avant des batteries.
Toutes les nuits on allait travailler pour faire notre emplacement de combat, en allant ou revenant du travail on se promenait sur le champ de bataille pour trouver des souvenirs allemands. C’est là que j’ai trouvé les quelques feuilles que je vous ai envoyés. J’ai mangé du pain allemand, il n’est pas si mauvais que ca, c’est du pain noir, de seigle, salé et lourd, a la rigueur on s’y habiturait, mais j’aime mieux notre pain blanc. Nous avons trouvé aussi un colis adressé à un soldat allemand, c’était un colis de graisse de cochon, il était à peine entamé, nous l’avons achevé. Pour le moment le secteur est assez tranquille les boches ne tirent pas trop. De temps en temps on fait quelques coups de main.
A l’endroit ou je me trouve on vient de faire un cimetière depuis l’attaque, là sont enterrés les soldats de ma division tombés pendant l’attaque, il y en a environ cinq cents d’enterrés. Ce sont les mitrailleuses allem. qui nous causent le plus de pertes, et Dieu sait s’ils en ont.
Nous nous attendons à être relevés un de ces jours, car voilà qu’il y a 15 jours que nous sommes là, et après les dures journées que l’on vient de passer un peu de repos ne ferait pas de mal.
Hier j’ai reçu une carte de Pierre, il me dit qu’il est toujours dans le même secteur. Je crois que le régiment de Louis Héran est par ici, et que peut-être il nous relèvera. Je n’ai encore rien reçu de Jean depuis longtemps, je ne sais pas pourquoi il n’écrit pas. Ces jours ci nous avons eu la pluie aussi le temps c’était un peu rafraîchi, aujourd’hui il fait un temps magnifique aussi ca chauffe. Je suis logé au bord d’un petit bois, dans un trou, et recouvert de la toile de tente. On peut se promener, et aller prendre le frais à l’ombre, 4 hom. de mon équipe sont en ligne, de temps en temps on va leur porter des munitions. J’ai reçu le colis qui est arrivé à bon port, le fricandeau commençait à avoir chaud. Hier j’ai mangé des fraises sauvages. Les cerises ne sont pas encore mûre.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 30 Juin 1918

Bien chers Parents

Je viens de recevoir votre lettre du 28, vous voyez qu’elle est venue assez vite. Nous sommes relevés des lignes depuis avant hier et nous sommes en ce moment dans un petit village, en réserve, le pays n’est pas trop démoli, il n’y a plus de civils, et comme pourtout ils ont du s’en aller laissant presque tout leur mobilier. Les boches envoient quelques obus sur le village, ce n’est pas grand-chose. Pendant la nuit de la relève j’ai marché de 9h. du soir à 5h. du matin, aussi je commençais à être fatigué, c’est moi qui suis allé chercher la relève et je l’ai conduite en ligne, je suis redescendu avec mon équipe relevée ,puis on est parti à 3 kilom à l’arrière, sitôt arrivés on va toucher le ravitaillement et il m’a fallu remonter presque aux premières lignes pour porter le ravit. à des hommes qui étaient restés là haut, je suis rentré à 5h. du matin. La nuit suivante nous étions tous en train de ronfler lorsque vers minuit ou une heure il y a alerte. Tout le monde debout prêt à partir en ligne, on se lève, on plie ses bagages on casse la croûte et on attend les ordres, demi-heure après l’alerte était finie, on nous dit de nous recoucher et de dormir : et on ne se l’ai pas fait dire deux fois.
Nous ne savons pas pourquoi il y a eu cette alerte, ce n’était sans doute qu’un exercice.
Le secteur est assez tranquille, plus chez nous que chez les boches, car on tire plus qu’eux, c’est surtout le 75 qui les agace par les rafales qu’il envoie, surtout lorsqu’ils ne s’y attendent pas; les Boches nous font aussi des surprises comme ca, ainsi hier on mangeait tranquillement, à table dans une maison, on était au desert, pan un 105 tombe dans le jardin, puis un 2e et de peur qu’il en tombe un sur mon quart de café que j’allai boire, nous sommes descendus tous les deux à la cave pour être plus tranquilles. Hier j’ai reçu le colis, il est arrivé à bon port, j’ai goûté le jambon et je trouve excellent, ici de temps en temps on nous en donne mais il n’a pas de comparaison avec celui de la maison celui qu’on nous donne vient en boîte d’Amérique.
Nous sommes assez nourris, on touche 3/4 de pinard, aussi cela peut aller.
J’ai eu des nouvelles des camarades de mon ancienne section, ils n’ont pas été trop éprouvés il n’y a eu que des blessés légèrement. Il y en a un qui a reçu une balle dans le pied et se trouve à l’hôpital à Castelnaudary.
Un de mes camarades, de ma section fait prisonnier à Verdun, en août, vient de s’évader c’est lui même qui a écrit au sergent de ma section pour nous annoncer son évasion, il nous donne le bonjour à tous et surtout nous recommande de ne pas nous laisser "faire aux pattes" car il nous dit que ce sont les mauvais traitements de toutes sortes qu’il a enduré en Allemagne qui l’ont poussé à tout risquer pour s’évader. Nous connaissions tous le cœur et le tempéramment de ce soldat, aussi il faut qu’il fut rudement mal pour tenter une évasion.
Les perm. ont repris depuis quelques jours aussi je pense que Pierre sera bientôt à la maison.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

1918 : juillet

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 3-4 juillet 18

Chers Parents

Au moment où je vous écris nous nous attendons à une alerte et à passer la nuit dehors. On s’attend à une attaque ennemie dans le secteur aussi on prend ses dispositions pour parer le coup. Ce sont nos avions qui ont signalé des mouvements de troupe à l’arrière-front et ont vu parait-il des tancks. Tout ca n’annonce rien de bon pour nous, ca ne sera sans doute pas pour aujourd’hui, peut être aussi les Boches font voir des troupes et font de fausses manœuvres pour nous tromper. En tout cas il vaut mieux se tenir sur ses gardes.
Il y a une heure environ qu’un avion ennemi paraissait soudain au-dessus du village où nous sommes cantonnés. Le clairon sonne le "garde-à-vous" ce qui veut dire de ce cacher. On se cache mais on veut le voir quand même. Il était à 100 m. de hauteur, une douzaine de mitrailleurs lui tiraient dessus quelques obus de 75 éclataient autour de lui, il fuyait à toute vitesse tout à coup touché par les projectiles il tourne sur lui-même et vient s’écraser sur le sol à la satisfaction de tous les poilus.
Avant-hier nous sommes allé prendre une douche ce qui nous a fait du bien de nous nettoyer un peu.
Dans le jardin de la maison où nous sommes il y a une ruche, comme les nôtres du jardin de la gare et un de mes camarades qui se connaît dans le métier est allé retirer un cadre. Il était plein de miel. On la coupé en morceaux et on en a mangé et il était excellent. Puis l’idée nous vient de le faire fondre au soleil. Alors on le met dans un linge fin et on le suspend en plein soleil, quelques minutes après le miel commençait à couler clair on la recueilli dans une soupière, puis on en a mis dans des boîtes, et on en a mangé tant qu’on a pu. On la trouvé si bon que le soir on a entrepris de retirer plusieurs cadres, aussi le lendemain notre cantonnement ressemblait plus à une maison d’apiculteur qu’à un logement de soldats.
Nous avons fait chacun notre provision nous en avons au moins une livre chacun. J’en ai rempli la petite boîte de confiture et un ancien pot de moutarde que j’ai trouvé. Et je vous assure qu’il vaut bien celui du "marchandel". Ce soir nous avons remis les cadres et la ruche est de nouveau en bon état.
Dans le dernier colis le péral est arrivé en parfait état, et a été excellent, il faudrait peut-être qu’il fut plus salé. Je préférais les pérals au chocolat, car j’en ai assez pour le moment, attendez que je vous en demande pour m’en envoyer. Pour le moment je n’ai besoin de rien il y a des coopé ou l’on peut trouver quelque chose.
Je continue ma lettre se soir, car hier je n’ai pu la terminer il n’y a pas eu d’alerte ca sera pour une autre fois. A part la canonnade habituelle rien à signaler. A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 6 Juillet 1918

Bien chers Parents,

J’ai reçu hier au soir votre lettre du 2 juillet. Je suis bien content d’apprendre que Pierre est enfin arrivé en permission et qu’il est pu voir Jean en passant à Béziers. L’autre jour j’ai écrit à Jean pour lui dire de demander une permission lorsque Pierre serait arrivé, car je crois qu’étant au dépôt il a droit à une perm. pour aller voir un frère venant du front.
Je pense que Pierre passera une bonne permission, bien gagnée surtout si Jean peut en profiter, et s’il y a quelques autres permissionnaires à Aguessac.
Ici il n’y a rien d’anormal la grande fête nationale américaine a passé inaperçu. Le 4 au soir j’étais allé travailler à 9h. et demi un peu en dehors du village, lorsque à la tombée de la nuit nous avons entendu passer une forte escadrille de gothas se dirigeant vers le sud, nous avons pensé qu’ils allaient à Paris. Ce devait être de gros avions bien chargés car ils faisaient beaucoup de bruit et on reconnaissait bien le ronflement du moteur allemand. Lorsqu’ils furent passés d’autres vinrent et jetèrent leurs bombes quelques kilom. à l’arrière; nous avons appris qu’une bombe avait tué une trentaine de chevaux. Lorsqu’ils étaient de retour il y en a un qui a lancé une fusée éclairante, sûrement qu’ils nous ont vus car ils nous ont tiré dessus avec leurs mitrailleuses. Pendant ce temps nos avions allaient faire le même travail chez les Boches et on voyait bien le tir de barrage aérien.
Le secteur est toujours assez tranquille, on ne tire pas trop, hier la section franche a fait des prisonniers dans un coup de main.
Il y a une quinzaine de jours la s.f. prit un bout de tranchée occupée par une comp. allemande elle fit 35 prisonniers c’était les seuls survivants de la compagnie tous les autres avaient été tués par la préparation d’artillerie qui avait précédé l’attaque.
Hier soir je suis allé faire une corvée à 5 kilom sur la droite et j’ai revu des soldats du 24e inf. c’est le régiment de Louis Héran, nous ne sommes donc pas bien loin l’un de l’autre on pourrait par hasard, se rencontrer.
Je n’ai pas revu Léonce et je ne sais pas ou il se tient nous ne devons pas être bien loin, mais il faudrait savoir l’endroit.
J’ai trouvé à acheter du papier et des enveloppes ca fait que j’en aurai pour quelques jours.
Je ne vois plus rien d’intéressant à vous dire aussi je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux armées le 10 juillet 1918

Bien chers Parents

Me voilà de nouveau en position depuis deux jours, je ne suis pas en première ligne, mais à 1500 m. des lignes. Je suis logé dans une tranchée, peu profonde et sans abri, aussi toutes les nuits ont travaille à l’approfondir et à se faire des abris pour être au moins à l’abris de la pluie et des éclats.
Nous avons le vent du midi, et tantot il fait une chaleur étouffante tantot il fait presque froid, de temps en temps il pleut, avant hier soir nous avons eu un petit orage, mais il n’est pas tombé beaucoup d’eau.
Hier matin sur notre droite il y a eu une attaque française, de la ou nous étions on voyait très bien éclater les obus et on entendait bien le roulement de la préparation d’artillerie et du barrage. Il paraît qu’on a fait une soixantaine de prisonniers, et qu’on n’a pas eu trop de pertes. Pendant la journée les artilleries f. et al. ont été très actives dans ce secteur.
Ici c’est toujours calme notre artillerie surtout la lourde tire beaucoup et les Boches ne répondent presque pas. Nos pièces leur ont fait sauter un dépôt de munitions, le nuage de fumée montait au moins à 300 mètres de hauteur.
Hier soir j’ai reçu une lettre de Jean, il me dit qu’il va être complètement habillé, et qu’il croit bientôt monter dans la zone. Je ne crois pas qu’une fois arrivé ici il soit plus mal pour cà, il ne pourra plus venir en perm. de 24 heures mais il aura sa permission de 10 jours tous les quatre mois. Je ne sais pas à quel endroit il montera, je suppose qu’il sera bien à l’arrière et qu’il n’aura encore rien à craindre. C’est peut être à peine s’il entendra le canon de loin. Je pense que se soir j’aurai une lettre m’apprenant que Pierre passe sa permission dans de bonnes conditions.
En attendant le plaisir d’avoir de vos nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Le bonjour aux amis et voisins.
Joseph

Lettre de JOSEPH à son frère EUGENE

Aux Armées le 18 Juillet
8 heures du soir

Mon cher Eugène

Dans les 2 ou 3 dernières lettres que j’ai reçues de la maison Maman m’a appris que tu avais eu la grippe. Aujourd'hui je reçois celle du 16 et on me dit que tu vas beaucoup mieux et que tu recommences à reprendre ton service. Ce devait être un peu grave puisque tu as maigri de 10 kilos en 8 jours, comme me dit Maman, enfin j’espère que tu es tout à fait guéri et que tu es en train de te remettre complètement.
Pendant que tu passes ta convalescence, j’ai pensé à toi pour que tu me rendes un petit service. Je voudrais que tu m’envoyes dans un colis, quelques "Lectures p. tous" ou "Je sais tout" ou bien "Science et Vie" enfin quelques livres intéressants et instructifs afin que je puisse un peu lire car ici je m’ennuie beaucoup.
Ne t’occupes pas trop du prix je te rembourserai tout ce que tu auras dépensé, dès que j’aurais ma permission. C’est malheureux, ici, on a de l’argent et on ne peut pas s’en servir, on ne trouve même pas un journal d’un soir.
Figure toi que je suis dans une tranchée, où l’on ne peut pas sortir sans risquer de recevoir des obus. J’y est construit une "cagna" et c’est là que je vis. Voici comment est faite ma "cagna" un trou de 1m. de profondeur 0m.50 de large et un m. de hauteur, le dessus est recouvert par 4 piquet une couche de paille, une couche de terre, l’entrée est fermée par ma toile de tente.
Voici l’emploi de mon temps je me couche vers les 9h et 1/2 et c’est bientot fait puisqu’on ne retire pas ses souliers n'y son casque, je ne lève à 9 heures, (c’est aussitôt fait que le coucher) je bois un quart de café, je casse la croûte et je me recouche jusqu’à 11 heures. La soupe arrive, on mange, on fume une cigarette et à midi je me recouche jusqu’à 4 heures, je me lève de nouveau je vais voir les copains on cause cinq minutes, on écrit une lettre, etc la soupe arrive à 6h et 1/2 on mange, on fume on prend le frais et on se recouche et toujours comme ça. La seule distraction qu’on est c’est de prendre 2 heures de garde toute les 3 nuits, et d’aller au ravitaillement tous les 4 jours, et de recevoir quelques obus.
C’est pour me distraire un peu, et passer le temps un peu plus agréablement que je te demande de m’envoyer ses quelques livres. Je pense que tu trouveras ca à Millau et que d’ici quelques jours j’aurai le plaisir de les recevoir.
On ne parle pas encore de nous relever d’ici, c’est vrai qu’on n’est pas trop mal, mais on n’aime pas de rester trop longtemps au même endroit.
On vient de nous apprendre aujourd’hui une victoire française en Champagne, est-ce vrai ? on entend t"en de racontars.
Nous avons toujours le temps chaud et orageux. Les blés et les avoines ne sont pas encore murs, seuls les seigles commencent à jaunir. Et des champs immenses de blé vont être perdus. Que veux-tu, c’est la guerre. Je te quitte en te souhaitant bonne santé et à bientôt.
Ton frère Joseph

Lettre de JOSEPH à son frère PIERRE

Aux Armées le 26 Juillet

Cher Pierre

J'ai reçu avant hier ta lettre me donnant de tes nouvelles. Je t'ai écrit 2 ou 3 fois depuis que tu es rentré de perm, je pense que tu dois avoir reçu mes lettres.
Je suis toujours au même endroit entre MontDidier et Compiègne secteur tranquille. Quelques coups de main de temps en temps. Ce matin les boches en faisaient un sur une compagnie du régiment. Je crois qu'ils ont réussi à nous faire deux prisonniers. Il parait que nous allons être relevés un de ces jours pour aller quelques jours au repos et ensuite on remontera à moins que la division ne soit complètement relevée pour aller ailleurs.
Je ne sais pas exactement où tu te trouves mais ça doit barder de ce côté là des fois on entend le canon très loin sur notre gauche droite.
Je n'ai encore rien de Jean et je ne sais pas s'il est monté dans la zone. S'il était déjà arrivé il me l'aurait écrit tout de suite afin de me donner sa nouvelle adresse.
Pour le moment nous ne sommes pas mal nourris, nous touchons le ravit. deux fois par jour la C.H.R. est la seule comp. du rég. qui puisse faire ainsi. Pendant quelques jours nous avons touché 5 quarts de vin par jour, dont deux à titre remboursable à 11 sous la chopine nous n'avons pas la gnole, qui est remplacée par un quart de pinard. Les permissions viennent de reprendre, je pense qu'à présent ca ne t'interesse plus.
Aujourd'hui j'ai fait des frites, avec du beurre, et de l'alcool solidifié que l'on touche au ravitaillement il y a un champ de p. de terre près de la tranchée et c'estla qu'on va en arracher tous les soirs. Ca change un peu des fayots car on nous en fait manger très souvent.
Nous avons toujours la pluie et le temps couverts. Au mois d'avril j'ai envoyé le carnet de pécule à la maison et voilà qu'à présent il faut le faire revenir il parait qu'on doit y coller encore des timbres qu'on nous doit, en est-il ainsi chez toi.
Il parait du'on va gagner de bonnes journées à présent, on ne sait d'officiel car on n'a pas connaissance du rapport.
Je te quitte a bientôt de tes nouvelles
Ton frère qui t'embrasse bien fort
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux armées le 26 Juillet 1918

Bien chers Parents,

Je suis remonté en ligne avant hier soir après avoir passé 3 jours de repos. Dans 6 jours je redescendrai de nouveau a moins que tout le régiment soit relevé et aille au repos.
J’ai reçu hier au soir le Messager et les coupures de l’éclair, avant-hier j’ai reçu une lettre de Pierre, où il me dit qu’il a rejoint son régiment en Champagne. Il me donne aussi le compte rendu de sa permission, comme il me le dit les truites n’ont pas eu beau temps aussi, parait-il M.M. les rentiers n’étaient pas trop contents de voir tous ces permissionnaires faire de bonne pêches. Sûrement que chez le buraliste il n’y aura pas toujours eu du tabac pour eux.
Ici, comme d’ailleurs partout, les permissions viennent de reprendre à 8 pour cent, ce n’est pas beaucoup, il vaut mieux ca que rien.
La tranchée où je suis est à côté d’un champ de p.d.t. aussi hier soir à la nuit je suis allé en arracher quelques unes et ce matin avec un peu de beurre, et de l’alcool solidifié j’ai fait des frites. Je ne suis pas fort cuisinier, mais je les ai bien réussi, et je me suis bien régalé. Qui de plus heureux qu’un poilu lorsqu’il mange des frites, surtout faites par lui et en ligne.
Depuis le 10 juin que je suis en ligne je n’ai pas encore trouvé le moyen de me faire raser. Aussi j’ai le bouc, et lorsqu’on va descendre au repos M.M. les coiffeurs vont avoir du travail car je ne suis pas le seul.
Nous avons toujours la pluie, il fait de temps en temps quelques bonnes averses et le temps reste couvert. Nous avons le vent du sud-ouest, ou ouest.
Secteur toujours tranquille quelques coups de mains de temps en temps. L’autre jour un sous-officier allemand c’est rendu parce qu’il en avait marre du métier et il trouvait que ca se faisait trop long.
Il paraît que le moral des troupes allemandes commence à faiblir surtout depuis leur succès de la dernière offensive. Avec ce coup-là ils peuvent renoncer d’aller à Paris cette année.
Le bonjour aux amis et voisins je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Depuis 7 à 8 jours nous touchons cinq quarts de pinard par jour 3 de l’ordinaire et 2 en payant, ils coûtent 22 sous le litre.

Le 27 Juillet
Je n’ai pas fait partir ma lettre hier au soir aussi je continue ce matin car hier soir, j’ai reçu les vôtres celle du 22 et celle du 24.
J’ai bien reçu le Messager et les coupures de l’Eclair contenant les communiqués, mais il n’y avait pas de Pèlerin. Je pense qu’au dernier moment vous aurez oublié de le mettre. La photo
[note] de Pierre et Fernand est bien arrivée aussi. Ils ne sont pas mal. Je l’ai faite voir à des camarades et ils ont vite reconnu que le Caporal devait être mon frère car il me ressemblait.
Nous avons eu la pluie toute la nuit et il a fait une bonne saison. A bientôt
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 28 Juillet 18
8h du soir

Bien chers Parents,

Je fais ma lettre se soir afin qu’elle soit prête demain matin pour 10 heures.
Hier soir j’ai reçu les 2 colis ils sont arrivés en bon état, je recevais en même temps la lettre m’en annonçant l’arrivée. Aujourd’hui j’ai reçu le Pèlerin, l’enveloppe a été ouverte par le controle postal militaire elle était sans doute un peu trop volumineuse et l’autorité militaire a voulu voir ce qu’il y avait dedans. Ca lui a valu un ou deux jours de retard, l’essentiel est qu’il est venu. J’ai reçu aussi le carnet de pécule, et il n’a pas été long à faire le voyage puisque vous l’avez fait partir avant hier le 26. Les correspondances ont l’air de bien marcher il y en a pourtant qui sont sans nouvelles depuis 15 jours et ne savent pas d’ou cela provient.
Ce matin la section franche du régiment renforcée par des sections de campagne entre autres mon ancienne section a fait un coup de main. Le coup a été précédé d’une bonne préparation d’artillerie, destinée à adoucir M.M. les boches. Six se sont fait prendre et ont été ramenés prisonniers. Je ne crois que nous avons eu 1 tué et une douzaine de blessés.
Ce soir le régiment est relevé pour aller au repos un peu à l’arrière en réserve.
Les bombardiers ne le sont pas, aussi il va falloir rester la encore quelques temps. Heureusement que tous les 6 jours nous avons 3 jours de repos où l’on peut se remettre un peu en état.
Hier soir nous avons eu une bonne averse de 2 heures, les boyaux et la tranchée commencaient à se remplir mais le vent a tourné il s’est mis au clair. Ce soir le temps est de nouveau couvert, mais je ne crois pas qu’il pleuve.
J’ai mangé le morceau de pain qui était dans le colis, il ne vaut pas le nôtre qui est blanc et bien levé. C’est malheureux que vous en manquiez et que vous l’ayez si noir tandis qu’ici on gaspille par force du beau pain blanc. J’ai fait de nouveau des frites, et je me régale bien avec ça. Aujourd’hui je vais manger une salade de cresson.
A bientôt d’autres nouvelles. Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

1918 : août

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux armées le 3 Août 1918

Bien chers Parents,

Je suis descendu pour 4 jours au repos, je suis dans le même village ou j’étais il y a un mois. Je remonterai le 5 au soir, peut être pas pour longtemps, car il parait que nous allons être relevés du secteur. Il va bientôt y avoir deux mois que nous sommes ici, les premiers jours on aurait voulu être relevés tout de suite, espérant avoir du repos. A présent nous n’avons pas à nous plaindre d’être restés ici, car le secteur n’est pas des plus mauvais, et si on avait été relevé dès l’attaque on nous aurait envoyé dans l’Aisne ou en Champagne. C’est là qu’a été envoyé la division qui devait nous relever.
Il court ici un "tuyau" qui me parait si invraisamblable que j’ose à peine vous le faire savoir. Enfin je vous le dis quand même il parait que la guerre va être fini dans 28 jours. On ne sait pas de quel jour ça part. Alors vous voyez d’ici. Il faut bien dire quelque chose pour passer le temps.
Toujours est il que c’était hier le 2 août, 4e anniversaire de la mobilisation générale. Voilà 4 ans que la France entière prenait les armes pour entreprendre la plus grande et la plus terrible guerre qu’ait enregistré l’Histoire. Depuis 4 ans la France est soumise à de terribles épreuves et rien ne fait prévoir clairement que cela va bientôt finir. Malgré toutes nos misères et nos malheurs ayons toujours bon espoir et confiance en la divine Providence qui seule pourra arrêter le terrible fléau.
Toujours, et malgré tout, comme au 2 août 1914 que le même élan patriotique nous anime et nous donne la force de faire courageusement notre devoir. Plus que jamais plus haut et plus fort qu’au 2 août 1914 : Vive la France.
A bientôt d’autres nouvelles en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

J’ai reçu hier la lettre de Louise et une de Pierre.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux armées le 9 Août 1918.

Bien chers Parents,

J’ai reçu hier soir la lettre du 3 elle a mis un peu plus de temps que les autres pour venir. Je suis content d’apprendre que Papa va mieux, et qu’il va être bientôt à la maison ou sûrement il sera mieux.
Je n’ai encore rien reçu de Pierre, se sera peut-être pour se soir. Je vais toujours lui écrire.
Depuis 2 ou 3 jours on entend le roulement du canon sur notre gauche, il parait qu’on avance de ce côté là. Demain la bataille va s’étendre sur la droite. Mon régiment va attaquer et je vais monter avec un bataillon d’attaque, affecté à une pièce de 37.
Car avec nos canons à air comprimé on ne peut pas faire grand chose, alors on portera des obus pour le 37.
Jusqu’à présent le secteur est assez tranquille, nos pièces ne disent rien, mais lorsque le signal sera donné des centaines de pièces de tout calibres ouvriront le feu les tancks se mettront en marche, et des milliers de poilus attaqueront les boches qui surpris et battus devront reculer. Nous espérons tous que nous réussirons.
Nos aviateurs ont commencé leur travail, hier ils faisaient la chasse aux saucisses boches j’en ai vu une descendre en feu, tout aujourd’hui ils montent la garde dans le ciel, car il ne faut pas, à tout prix qu’un seul avion ennemi passe les lignes.
Ce soir je vais voir si je vois Léonce, lui aussi sera du pastis. J’irai voir mes camarades de mon ancienne compagnie, eux vont être en première vague. L’autre jour je suis allé voir les tancks, qui demain nous ouvriront le chemin dans les positions ennemies.
J’avais oublié de vous dire que j’étais relevé des tranchées depuis hier matin.
Demain, c’est le 4e anniversaire de mon baptême du feu. Comme toujours c’est avec bon courage et bon espoir que je monte.
A bientôt d’autres nouvelles en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

le 11 Août

Chers Parents,

J’ai reçu hier deux de vos lettres et une de Pierre elles étaient au régiment et c’est de là qu’on nous les a fait parvenir. Je suis toujours au c.i.d. et jusqu’à nouvel ordre. Samedi et dimanche nous avons marché pour nous rapprocher du front, car par suite des dernières avancées ont se trouvait trop à l’arrière. Les civils reviennent et se remettent à travailler leurs champs ici ca n’a pas encore trop souffert mais plus loin il ne reste plus rien des villages il faudra les reconstruire entièrement pour les habiter. La division a de nouveau avancé et doit se trouver en face de la fameuse ligne Hindemburg.
Pierre me dit qu’il est en Lorraine ça va sans doute barder aussi de son côté, car les américains vont agir.
Je n’ai pas encore de nouvelles de Jean, à présent que j’ai sa nouvelle adresse je vais lui écrire au plus tôt.
L’autre un de mes camarades a pris un lièvre et nous l’avons mangé en civet le lendemain.
Depuis quelques jours vous avons la pluie et le vent du midi, je pense que là bas il en est de même ici les cultivateurs ne perdent pas de temps pour charruer. Je tâcherai se soir d’aller voir un tracteur auto, qui traîne une charrue à 3 socs. Je l’ai vu arrêté mais pas encore en fonction.
Je pense que Papa va toujours de mieux en mieux et que bientôt, il sera complètement rétabli. Je pense que je ne tarderai pas à rejoindre le régiment, bien content d’avoir passé quelques jours de repos.
A bientôt d’autres nouvelles. En attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 27 Août 1918.

Bien chers Parents,

Me voilà au milieu de mes camarades depuis hier, lorsque j’ai rejoint le régiment je ne les y ai pas trouvé ils étaient partis au C.i.d. faire un stage du nouveau canon de 75 de tranchée, et c’est là que je les ai rejoint pour faire le même stage avec eux.
Mon voyage de retour c’est fait dans de bonnes conditions et assez vite. En passant à Séverac j'ai vu Charles B. qui revenait en permission. A la gare régulatrice qui est au-dessus de Paris j’ai eu l’occasion de voir une pièce de canon américaine elle était remorquée par une machine améri. M.M. les Boches ne vont plus avoir le monopole des bombardements à longue portée, car cette pièce peut lancer un obus de 350 à plus de 100 kilom. Jamais je n’avais vu de si longues pièces que celle là. Je pense qu’elle allait en position et qu’elle n’y sera pas seule, avec une douzaine comme ça on peut faire quelque chose.
Je vais rester au C.i.d. jusqu’au 4 septembre, et puis je reviendrais au régiment je croyais le trouver relevé et il est monté en ligne hier soir, après avoir reçu du renfort.
Je suis dans un village à l’arrière près de Beauvais, l’on y bien et l’on peut trouver tout ce que l’on veut chez les civils, surtout du lait et des œufs, aussi je vais en profiter.
Ici il ne fait pas si chaud qu’à Aguessac, avant hier soir il a fait un petit orage et depuis le temps est couvert. Lorsque je suis rentré de perm. le fourrier a trouvé que pour 3 j. : j’étais resté trop longtemps dehors et il ne voulait pas croire qu’il fallait 6 jours de voyage aller et retour. Je n’ai pas été puni, mais ca n’avait pas l’air de plaire a cet embusqué là.
Pour aujourd’hui je vous quitte car ca va être l’heure de l’exercice.
J’espère que Papa va toujours de mieux en mieux et qu’il continura ainsi.
A bientot d’autres nouvelles. Je vous embrasse tous de tout mon cœur.
Joseph

1918 : septembre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 2 Septb. 1918

Bien chers Parents

Je reviens aujourd’hui de faire un tir d’instruction avec nos nouveaux canons. Pendant toute la semaine nous avions 6 heures d’instruction par jour aussi je me suis mis un peu en retard pour vous écrire. Je vous ai écrit la semaine dernière vous disant que j’étais au c.i.d. (centre d’instruction divisionnaire) le stage fini mercredi, et je vais aller rejoindre le régiment.
Pendant le stage la division est remontée en ligne, j’espère qu’à l’heure qu’il est elle relève et qu’on aura un peu de repos car on l’a bien gagné.
Hier dimanche je suis allé à la messe, c’est le lieutenant de la compagnie qui la dite car il est prêtre missionnaire.
Nous sommes logés ici chez un boucher, aussi ce soir nous allons manger une tête de veau que nous avons acheté et que la bouchère nous fait cuire.
Ce matin en nous levant nous avons eu la surprise de voir de la gelée blanche, le temps était très frais, il y a à peine 8 jours qu’il faisait une chaleur torride et voilà qu’il commence déjà à geler.
La canon dont nous allons être armé est destiné à accompagner l’infanterie et servira a détruire les mitrailleuses et a faire les premiers barrages. Il nous parait pratique et pas trop lourd 50 kilos, il lance un obus de 75 de 500 à 1 100 mètres. Ce soir nous avons tiré avec 6 pièces et à 12 coups à la minute aussi il n’aurait pas fait bon être sous les obus.
Je pense qu’en arrivant au régiment j’aurais des lettres car je n’ai encore rien reçu depuis ma rentrée de perm.
A bientôt d’autres nouvelles, en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 19-9-18

Bien chers Parents

Je suis toujours au c.i.d. bien que le stage soit fini depuis plus de 15 jours. Nous avons encore changé de place samedi dernier, et nous sommes à l’arrière aux environs de clermont (oise).
Nous sommes assez bien parce qu’on ne fait pas grand chose, mais on est assez mal nourris, aussi a ce point de vu on languit de revenir au régiment. Je pense que ce retour ne sera tarder. Hier deux de mes camarades sont allés à la compagnie, car le régiment est relevé : voir ce qui se passait. Le régiment a embarqué cette nuit destination inconnue, j’espère me rapprocher du secteur de Pierre et de Ch.Caylus, mais il faut attendre d’être arrivé pour savoir au juste où l’on va.
Le 154 et le 287e régiments de la division ont la fourragère jaune le 155 doit l’avoir aussi, a ce sujet des pourparlers sont en train.
Vous avez vu par les journaux, le raid des Gothas sur Paris ces jours derniers, ici nous les avons très bien entendus passer puisque nous sommes sous leur route. Ils ont même daigné nous saluer en passant en laissant tomber une vingtaine de bombes dans les environs la plus près est tombé a 100m. de la maison ou nous logeons, on ne s’est pas dérangé pour si peu. Près du village ou je suis se trouve un champ d’aviation, c’est une école ou les futurs "as" s’entrainent à l’acrobatie aérienne. Je suis allé plusieurs fois visiter le camp et assister aux départs et aux arrivées de nos "Spad" vrais chefs d’œuvre de locomotion aérienne.
Etant a proximité de Clermont je vais tous les soirs avec deux de mes camarades, nous allons au "Foyer du soldat" maison de 1er ordre pour la distraction des soldats. Il y a des salles d’écriture, lecture, bibliothèque, musique, cinéma, etc, tabac à volonté. Mes deux camarades prennent des leçons d’anglais, car l’un est écossais et a servi dans l’armée Britannique et le 2e a habité Londres plusieurs années. Le foyer est tenu par des demoiselles anglaises qui font partie d’une association catholique, aussi dans les salles on voit le Christ et la statue de la Se Vierge. C’est regrettable que ces foyers soient peu répandus et trop à l’arrière car le vrai poilu du front ne peut pas en profiter il faut des occasions except. comme celle que j’ai pour pouvoir en profiter un peu. Ce soir j’i vais pour la dernière fois. Ce matin je suis allé visiter l’église et la ville de Clermont.
Je reçois régulièrement vos lettres avec un peu de retard car elles vont au régiment et puis elles nous sont adressées au régiment. J’ai été très peiné d’apprendre la mort glorieuse du pauvre Fernand, et celle de Marcel Forestier. Encore une fois Aguessac est bien éprouvé.
J’ai reçu des nouvelles de Pierre et de Jean je vais leur répondre tout de suite car je crois que je suis un peu en retard dans ma correspondance. Par suite du déplacement les lettres vont avoir en retard, mais ca reprendra vite. Hier on nous a annoncé une bonne nouvelle au sujet des permissions il parait quelles vont être à 50 pou 100, ce qui fait que la moitié de l’effectif va partir. On est beaucoup en retard, par suite des dernières opérations, quelques uns nont pas eu de perm. depuis le mois de février. Il est probable que je serai des premiers à partir, mais il n’y a encore rien de sur.
Pour aujourd’hui je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Je n’ai pas besoin de colis j’espère venir le chercher sous peu de temps.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 22-9-18

Bien chers Parents,

Nous voilà arrivés à destination après un voyage en chemin de fer de près de 400 kilomètres.
Nous avons embarqué vendredi à 11 heures et sommes arrivés samedi à 3 heures du soir. Le voyage s’est bien passé. A Meaux nous avons eu un petit accident, le train marchait assez vite tout à coup le chauffeur voyant sans doute le disque fermé bloque les freins tout d’un coup. Le train s’est arrêté instantanément comme s’il avait été tamponné par un autre. Plusieurs hommes sont tombés sur la voie sans se faire de mal, des brancards de voitures ont été brisés, et tout le monde a eu une bonne peur surtout ceux qui étaient montés sur le toit des wagons.
Nous étions 40 par wagon aussi on était trop nombreux pour se coucher à l’aise, alors on est monté sur les plates formes ou sont les voitures et c’est la que j’ai fait mon voyage. Aussi j’ai couché à la belle étoile, on s’était bien couvert et on n’a pas eu froid.
Je suis actuellement près de Nancy, il paraît que le régiment est cantonné dans les casernes de la ville. Je suis toujours au C.i.D. et je ne sais pas quand on nous fera rejoindre notre compagnie. D’après les derniers tuyaux il faudrait que tous les hommes qui n’ont pas eu leur 3e tour de permission l’aient avant le premier octobre. Si cela est vrai vous voyez que mon tour n’est pas bien loin.
J’ai pu aujourd’hui a la messe, car on dit une messe spéciale pour les soldats a l’heure où l’on est libre.
Près du village où nous sommes il y a de grandes usines métallurgiques qui travaillent jour et nuit, la nuit on voit la flamme sortir des hauts-fourneaux et éclairer tout le pays. Les avions boches viennent souvent y lancer des bombes. Il y a aussi quelques vignes qui ne sont pas fameuses.
Si j’étais au régiment je pourrais peut être voir Ch. Caylus, je ne sais s’il est toujours au même endroit.
Je pense que Pierre doit être par là aussi mais je ne sais pas exactement dans quel secteur. Je pense qu’on ne va pas rester longtemps ici et qu’on montera bientôt en secteur.
En attendant de vos nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à sa soeur LOUISE

Aux Armées le 24-9-18

Bien chère Louise

Je suis arrivé au régiment hier soir et à mon arrivée j’ai reçu ta lettre ainsi qu’une de Pierre et je vous réponds a tous les deux.
Ca m’étonne que vous vous fassiez du mauvais sang comme je n’écrivais pas souvent, comme j’étais au C.I.D. j’étais en sécurité et je voulais profiter de quelques occasions, pour passer quelques moments intéressant, et c’est pour ca que je me suis mis un peu en retard dans ma correspondance. Ainsi dimanche après avoir assisté à la messe, je suis allé passer toute l’après-midi dans une usine métal. ou j’ai visité les hauts fourneaux en activité et j’ai pu voir comment se faisait l’acier qui allait devenir des obus. Toutes les fois que je peux profiter d’occasion de me distraire ainsi je le fais car on s’instruit toujours et ca fait passer le temps.
Je suis donc à Nancy mais pas pour longtemps on est arrivé hier à 3 heures et on repart aujourd’hui à 10h. vers les lignes. J’ai seulement pu faire un petit tour dans la capitale de la Lorraine. Nous allons remonter sans doute dans le secteur de l’hiver dernier. Pierre doit être par là je lui ai écrit plusieurs fois pour le prévenir. Les permissions ne marchent pas comme on disait au c.i.D. cela va quand même. Comme repos il n’y en a pas, on se reposera en ligne, si le secteur est assez tranquille.
Je suis content d’apprendre que Papa a fait l’ouverture, preuve que ses forces reviennent et qu’il sera bientôt complètement guéri.
Je vais faire les préparatifs du départ aussi pour aujourd’hui je te quitte en t’embrassant de tout mon cœur.
Ton frère Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 29-9-18.

Bien chers Parents,

J’ai reçu hier votre lettre du 25 parti d’Aguessac le 26 arrivée le 28 vous voyez qu’elles ne mettent pas longtemps pour venir.
Ce matin j’ai pu aller à la messe, et se soir nous avons l’après midi de libre.
Je suis monté en position pendant 48 heures, on nous a relevés pour venir un peu à l’arrière afin de former définitivement le peloton d’accompagnement d’infanterie avec le nouveau canon de 75 de tranchée.
Pendant que j’étais en position j’ai vu des camarades de Léonce car sa section travaillait près de nous et on ma dit qu’il était en perm. S’il est encore là bas dites lui que sa section est au même village où il était au mois de janvier.
Le secteur est assez tranquille, l’autre nuit étant de garde j’ai du mettre à l’abri en vitesse car M.M. les Boches se sont amusés à faire un tir de harcèlement dans le bois où nous étions. Toutes les cinq ou six minutes ils tiraient 3 ou 4 obus à tout hasard, histoire de nous embêter. Trois obus sont tombés à 5 mètres de la porte de l’abri ou j’étais logé. Ils ont tiré comme ca pendant 5 heures. Il parait qu’ils on peur qu’on les attaque dans ce secteur et ils se tiennent sur leurs gardes.
Ce sont toujours les Américains qui leur font peur. Car quelques jours avant qu’on soit dans le secteur les Améric ont fait un simulacre d’attaque, ils sont venus en ligne en plein jours et avec les tancks. Pendant ce temps ils attaquaient du côté de Verdun et remportaient une victoire de plus.
L’autre jour j’ai trouvé une proclamation boche destinée aux Américains et que des avions ennemis avaient laissé tomber. Mon camarade va me la traduire et je vous l’enverrai. Sur notre gauche nous entendons le bombardement continuel se sont les Améric qui sont là.
Je crois que cette fois les Empires Centraux prennent ce qu’il leur faut et sur tous les fronts. Foch disait vrai lorsqu’il disait qu’il ne les lâcherai pas comme ca. Il faut espérer que nos succès continueront et que nous aurons bientôt la victoire définitive.
Je pense avoir se soir quelque chose de Pierre pour savoir où il se trouve. A part cela plus rien d’intéressant à signaler. A bientôt d’autres nouvelles. Le bonjour aux amis et voisins.
Joseph.

J’ai appris officieusement que j’avais une 2e citation au régiment.

1918 : octobre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 2 octobre 1918

Bien chers Parents

J’ai reçu avant hier une lettre datée du 19 après en avoir reçu une du 26, elle doit s’être égarée en route pour qu’elle mette si longtemps à venir. Je voulais écrire hier mais j’ai du prendre la garde pendant les 24 heures ce qui fait qu’il m’a fallu attendre à aujourd’hui.
Il vient d’arriver un renfort au régiment, et plusieurs de mes camarades de mon ancienne compagnie qui avaient été blessés ou évacués par les gaz viennent de revenir. Aussi c’est avec grand plaisir que nous nous sommes revus.
Avant hier j’ai reçu une lettre de Pierre ou il me dit l’endroit ou il se trouve nous sommes à peu près dans le même secteur mais trop loin pour pouvoir se voir. Nous devons être à peu près à 50 kilomètres l’un de l’autre.
C’est avec plaisir que nous recevons tous les jours les bonnes nouvelles venant de tous les fronts. La Bulgarie a poussé les armes, ca commence à sentir bon. Sur notre front comme partout les boches se font battre. A quand l’écroulement complet ? Sans être trop optimiste j’ose espérer que se sera bientôt, et que la victoire finale viendra couronner tous nos efforts et toutes nos peines de cette terrible guerre.
Ici le secteur est toujours assez tranquille mais j’ai bien peur qu’il ne le soit pas longtemps et nous foulerons bientôt la terre allemande car la frontière n’est pas loin.
Les permissions vont toujours comme il faut. Je suis toujours en bonne santé, le moral est bon aussi ca peut aller.
J’ai reçu hier une lettre de Jean.
A bientôt d’autres nouvelles. En attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 10 Octobre

Chers Parents,

J’ai reçu hier la lettre du 7, j’ai aussi reçu le colis qui est arrivé à bon port, je n’ai pas encore ouvert la boîte ca sera pour un de ces jours.
Je croyais partir en perm. aujourd’hui, je suis un peu retard pour la régulirasition des tours d’ici deux ou trois jours, des permissionnaires vont rentrer alors je pourrais partir. Mais voila qu’un nuage se lève, toujours à propos des perm, il parait qu’il y aurait quelques cas de grippe au régiment et les permissions seraient suspendues, ce n’est qu’un bruit qui circule et il n’y a rien de sur.
J’apprends à l’instant que le régiment a la fourragère jaune ce n’est pas encore officiel, mais il y a beaucoup de chance pour qu’on l’ai.
J’espère bien venir vous aider à vendanger, car vous me dites que les vendanges vont commencer la semaine prochaine, je serais toujours la pour goûter le vin nouveau.
Ces jours ci je suis allé arracher des pommes de terre dans un champ militaire. Nous en arrachons environ 600 kilos par jour qui sont mangés le soir même.
Dernièrement on nous a averti que nous mangerions souvent du riz, alors on a organisé un concours entre les cuistots pour savoir quel était celui qui ferait le meilleur riz. Les prix ont été gagnés et le riz du concours était excellent. Depuis on en a mangé et il était comme il a été toujours et il sera toujours ainsi.
Aujourd’hui nous avons beau temps, après plusieurs jours de pluie.
Le secteur est toujours tranquille, quelques coup de canon de temps en temps. L’aviation marche bien, surtout la nuit on entend passer les avions de bombardement. Hier une vingtaine de nos avions ont passé en plein jour pour aller bombarder chez les Boches.
A bientôt le plaisir d’être des vôtres.
En attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

1918 : novembre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux armées le 2 novembre 1918

Bien chers Parents,

Je vous ai écrit avant-hier une courte lettre vous annonçant mon arrivée à destination. Aujourd’hui je suis plus libre aussi je vais vous écrire un peu plus longuement.
En arrivant à Rodez avec Gustave, nous avons rencontré Mr Laurens, sergent de service à la gare, nous avons bu un coup ensemble et on nous a appris que l’Allemagne avait capitulé sans conditions, c’était officiel et tout le monde en parlait. La dépêche venait d’arriver à la préfecture. De Vierzon à Chauny nous avons voyagé avec 6 sénégalais qui allaient passer l’hiver à Nice. J’ai voyagé avec Gustave presque jusqu’à Nancy. Le voyage a été un peu long car les trains avaient du retard. Arrivé à la C.H.R. j’ai appris que l’on m’avait changé de compagnie tous mes camarades sont dispersés dans les bataillons. C’est un nouveau règlement qui nous a ainsi changés. Je suis à la compagnie de mitrailleuses du 3eme Bataillon. On y est mieux nourris qu’à la Compagnie HR et pour les perm. on ne sera pas si en retard.
Nous sommes montés avant hier en position, nous sommes logés dans un four de tuilerie, un four sert de chambre à coucher, un autre de salle à manger, on y est tout à fait bien. Nous prenons la garde dans une maison ouvrière à 150m. de la tuilerie. La aussi on n’est pas mal, car on peut faire du feu à volonté.
L’autre jour mes camarades jouaient à la manille dans cette maison, tout à coup les boches y envoie dessus comme atout un obus de 105 qui a éclaté un grenier. Panique parmi les joueurs, pas de victime. Les boches sont un peu plus méchants que de coutume, ils tirent un peu plus. Nous touchont ici l’indemnité de combat.
Nous avons appris hier la capitulation de la Turquie. Que l’Allemagne se dépêche d’en faire autant et que se soit fini pour toujours.
Donnez ma nouvelle adresse à Pierre et à Jean. Je vais leur écrire se soir. Pour le moment je suis de garde et n’ai pas trop le temps.
Pour aujourd’hui je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph.

155e R Inf. 3ème C. M. canon de 37 s.p.206

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 10 Novembre 1918

Bien chers Parents,

J’ai reçu hier au soir votre lettre du 9, en même temps qu’une lettre de Jean.
Comme vous le pensez j’ai été très surpris d’apprendre la mort de la pauvre Hélène, je ne m’attendais pas du tout à cela. Aussi cela m’a fait bien de la peine d’apprendre cette triste nouvelle.
Ici pour le moment, rien n’est changé, nous nous attendons à de grands événements. Depuis ce matin 2 heures nous sommes debouts prêts à partir à l’avant. Pendant toute la nuit nous n’avons presque pas enttendu le canon, par T.S.F nous avons appris l’adication du Kaiser.
Ce matin de bonne heure les Américains déclanchaient un fort bombardement sur notre gauche. Nous nous attendions à partir à la poursuite, mais il y a eu contre ordre. Dans la matinée les boches bombardent le secteur du régiment, ils ont sans doute peur qu’on les attaque.
Nous attendons avec impatience la réponse allemande. Cèderont ils oui ou non ? Nous verrons ca demain de cette heure ci, encore 24 heures.
S’ils acceptent nos conditions et qu’on arrête les hostilités nous partirons surement occuper le territoire. Et je crois que c’est ce qu’ils ont de mieux à faire.
S’ils n’acceptent pas, nous irons quand même, par la force, alors gare à eux. Tout est pret, les tanks sont arrivés, l’artillerie aussi, l’infanterie attend avec impatience. Un seul mot et tout ca se mettra en mouvement.
Avancerons nous librement ou en combattant nous n’en savoir rien. Nous sommes prêts a marcher à la première heure.
En général nous espérons que l’Allemagne acceptera nos conditions et signera l’armistice. Surtout qu’il parait que cela va mal chez eux. On ne peut pas avoir trop confiance en eux, aussi il faut attendre les événements.
Tout ce matin nous avons eu le brouillard, a présent il se lève et il a l’air de vouloir faire soleil. Nos aviateurs ne vont pas être en retard pour aller faire un petit tour de l’autre côté voir ce qui se passe.
Je pense que Pierre est en permission de cette heure-ci. Les permissionnaires qui rentrent disent que le moral des civils est bon, tous croient que la guerre est terminée.
Depuis quelques jours tout le monde ici est nerveux, on attend avec impatience les événements, les "canards" plus ou moins invraisemblables circulent de toutes parts. Tout le monde languit d’être à lundi pour savoir si c’est la fin ou la continuation à outrance.
Si nous faisons mouvement les lettres auront peut être un peu de retard. Ne vous en faites pas pour ça; urtout si vous apprenez la fin du pastis. Le "Cessez le feu" général sur tout le front.
A bientôt d’autres d'autres nouvelles en attendant je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 11 Novembre 1918
midi

Bien chers Parents,
Il est enfin arrivé ce jour tant attendu où l’on n’entendrait plus tonner le canon, et qu’on pourrait considérer la guerre comme terminée.
Nous avons appris ce matin la nouvelle vers 5 heures, lorsqu’on a reçu le message du Maréchal Foch, aussi vous pouvez juger de notre joie. D’abord personne ne voulait croire que ce fut vrai, car on entendait trop de canards depuis quelques jours.
Les cloches se sont mises à sonner à toute volée, la musique jouait la Marseillaise. Tout le monde était content comme aux plus grands jours de fête. Ce jour, 11 novembre, sera désormais inoubliable pour les poilus. Car c’est aujourd’hui qu’est couronnement de toutes nos peines et souffrances endurées depuis plus de 4 ans, et le résultat de toutes nos attaques, de nos batailles et de nos victoires.
Nos ennemis qui voulaient nous écraser vont en fin recevoir le juste châtiment qu’ils ont mérités.
Nous allons occuper leur pays dès que leur délai d’évacuation sera terminé.
Pendant la nuit dernière les soldats allemands devaient s’attendre à la cessation des hostilités car on les a entendus faire la foire toute la nuit. Ils jouaient de l’accordéon, chantaient (leur défaite sans doute) ils ont fait partir toutes leurs fusées, aussi ca semblait un vrai feu d’artifice.
Se soir la musique va jouer dans un village lorrain reconquis.
Le Colonel passera en revue en première ligne un bataillon du régiment, et rendra un premier hommage à nos Morts.
C’est hier matin que nous avons eu nos derniers soldats tués en patrouille en plein jour.
Les Américains ont bombardé jusqu’à la dernière minute, maintenant c’est fini.
Il fait beau temps le soleil brille, il veut lui aussi faire resplendir ce beau jour de gloire.
A présent notre pensée est de se tourner vers Dieu et de le remercier de nous avoir délivré de ce terrible fléau.
Se soir on va faire des préparatifs de départ.
A bientôt le plaisir de vous lire. Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 13 Novembre 1918

Chers Parents,

J’ai rejoint hier ma compagnie l’instruction étant terminée.
Je crois que ce soir nous allons faire une marche d’entraînement, en prévision des étapes que l’on aura à faire.
Le secteur est très tranquille c’est le calme absolu, pas tout à fait pourtant car on entend les détonations que font les boches en faisant partir les mines qu’ils avaient placées. Ils détruisent des réseaux et évacuent le territoire.
Le soir ils font partir des fusées éclairantes de toutes les couleurs, signe de réjouissance. Nous aussi nous en avons fait partir et les stoks doivent commencer à s’épuiser.
Les soldats allemands sont dans la joie la plus complète de voir finir la guerre. Nos patrouilles ont été en contact avec quelques heures la fin des hostilités ils leur ont payé des cigares et cigarettes et tous disaient : finich guerre ! ils reconnaissent qu’ils sont vaincus, et que leur pays sera bien petit, alors qu’on leur avait dit tant de fois que l’Allemagne serait la première nation du monde. Leurs officiers étaient partis ils n’étaient commandés que par des sous-officiers.
Nous avons eu quelques connaissances sur les conditions de l’armistice. Je vois qu’on n’a pas l’air de les épargner. Il parait qu’ils reconnaissent que nous avons été raisonnable et loyaux.
D’ici quelques jours nous allons partir en Lorraine, en passant par Metz ou sans doute nous défilerons.
Hier je suis allé à l’enterrement du dernier soldat du régiment tué à l’ennemi. Il était à la 10e compagnie et a été tué dimanche matin. C’est bien malheureux pour lui et sa famille il était depuis le début et revenait de Salonique pour venir se faire tirer ici et le dernier jour. On l’avait toujours dit que jusqu’au dernier moment il en tomberait.
Cette nuit il a gelé assez fort, et aujourd’hui il fait une belle journée, ca sèchera un peu la boue, car il m’en manque pas. A présent que la guerre est fini on commence à parler de démobilisation. Tout le monde voudrait être dans l’armée territoriale, pour partir plus tôt.
Enfin le point essentiel est arrivé : c’est fini et le retour est certain. Que ce soit un peu plus tot ou plus tard, ca n’a pas d’importance. Cela viendra peut-être plus tôt que l'on croit, et c’est dans la joie du prochain retour que je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Le 15 Novembre 1918

Bien chers Parents,

J’ai reçu avant-hier votre lettre du 11 novembre. Je suis peiné d’apprendre que la grippe a fait deux nouvelles victimes dans Aguessac. Ici on ne s’en plaint pas, tout le monde se porte bien, d’après les journaux on voit que l’épidémie de grippe décroît il serait à souhaiter qu’elle soit complètement enrayée, et que le temps normal du temps de paix revienne bientôt.
Hier je suis allé travailler à nos anciennes premières lignes. On était occupés à dégager les routes qui avaient été barrées par des barricades et des réseaux de fils de fer. Nous étions à 500 mètres des lignes allemandes. Plusieurs de mes camarades y sont allés, les soldats boches étaient encore là. Ils attendent que leur délai d’évacuation soit terminé pour s’en aller pour toujours. C’est incroyable de voir comme ils sont contents que la guerre soit finie. Ils en avaient complètement marre. Ont a causé avec eux et ils nous ont appris de droles nouvelles. D’après eux, Clemenceau et le maréchal Foch auraient été assassiné par les soldats français, ils nous annoncent la révolution en France etc etc, ils reconnaissent toutefois que nous leur avons fais une sacrée pile. Ils croient toujours que c’est la France qui a déclaré la guerre à l’Allemagne. Ils disent aussi qu’ils nous donneront tout le matériel demandé, quant aux milliards à payer ils ne veulent rien donner car ils prétendent qu’ils nous pas le sou.
On voit par ces conversations jusqu’à quel point on leur a bourré le crâne.
Et c’est avec un joyeux sourire qu’ils répètent : Finich guerre ! Nous avons rencontré hier dans nos lignes deux officiers allemands accompagnés par leur chauffeur d’auto portant le drapeau blanc; ils venaient paraît-il rendre compte du travail fait chez eux.
A la jumelle on voyait les voitures chargées qui s’en allaient vers l’est. La, nous sommes allés travailler nous étions à 500 m. de la frontière. Mes camarades sont allés de l’autre côté dans un village encore occupé par l’ennemi. Ils ont vu des civils qui revenaient du fond de la Lorraine voir leur pays, ils portaient des cocardes tricolores et des drapeaux français ils étaient contents de revoir les Français, et disaient qu’ils nous attendaient avec impatience.
Dans les secteur de la division des prisonniers ont été conduits et rendus à leur pays, ils disaient que les boches ne pouvaient plus les nourrir.
Sur le chantier j’ai rencontré Léonce, il m’a appris la mort de sa sœur, et m’a dit qu’on lui avait refusé une permission exceptionnelle. Il parait, d’après les règlements, qu’il n’y aurait pas droit. Nous avons passé toute l’après-midi, ensemble, c’était sous sa direction qu’on travaillait. Son cantonnement n’est pas loin du mien aussi on pourra se voir de temps en temps.
Aujourd’hui nous avons reçu des instructions sur la tenue et la discipline à observer en traversant l’Alsace-Lorraine, et en pays ennemi.
Dans le pays annexé et reconquis nous serons sans doute bien reçus, surtout par les vrais patriotes. Mais de l’autre côté du Rhin, les relations entre militaires français et civils ne seront pas la même chose. Nous serons là bas en vainqueurs et non en libérateurs. Nous languisons tous de nous mettre en marche vers l’Allemagne. Si vous saviez comme les poilus sont contents d’être victorieux et de penser qu’un jour ils passeront le Rhin pour défiler la tête haute dans les villes ennemies.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Wainwalz le 20-11-18

Chers Parents,

J’ai reçu le colis avant hier, juste comme je venais de faire partir la lettre vous en demandant un. Il est arrivé à bon port, et les tourdres ont été excellent.
Hier et aujourd’hui nous n’avons pas marché, mais demain nous reprenons la marche en avant. Avant Hier nous avons traversé une petite ville lorraine, auparavant le Général de division nous a passé en revue. Ensuite il est allé devant la mairie, ou étaient réunies toutes autorités civiles, sociétés, avec leurs bannières, toute la population était réunie, la ville entièrement pavoisées. Tous les civils portaient des cocardes tricolores, les femmes les jeunes filles portaient le ruban tricolore sur les cheveux et tout le monde avait mis les habits du dimanche.
La musique a joué ses plus belles marches, pendant que tout le régiment défilé, salué et acclamé par tous les spectateurs. Pendant le défilé, une escadrille de chasse, volait au-dessus des maisons, et les aviateurs faisaient des acrobaties aériennes à l’admiration de tout le monde.
Nous sommes allé cantonnés un peu plus loin. Hier soir dans cette même ville, Remilly, ou Remelach (en boche) a eu lieu une magnifique retraite aux flambeaux. Notre musique y prenait part, une fanfare de cavalerie c’était impressionnant, tous les lorrains y assistaient : il y avait tellement de monde qu’on était entrainé les uns les autres et on suivait la foule malgré soi.
Ce soir la musique vient faire concert au village ou je suis.
Tous les soldats lorrains sont libérés et rentrent dans leurs foyers nous en voyons venir tous les jours. Et a présent nous causons familièrement avec ceux qui il y a quelques jours étaient dans les tranchées allemandes.
Les trains circulent comme si rien n’était, seulement les employés de gare chefs de gare, etc sont de vrais boches. Aussi ils font une drôle de tête en nous voyant passer et surtout en sachant qu’ils travaillent pour les Français.
Hier un saxon, vrai boche, revenait de permission, et en arrivant au village où il croyait trouver son régiment et les copains, ca était des Français qui l’ont reçu, ca nous a fait un Kamarade de plus.
Nous avons a nous servir de monnaie allemande, et ce n’est pas une petite affaire pour apprendre les nouvelles monnaies et nouveaux billets, on ne parle que de marks et de pfennig, afin ca viendra avec un peu d’habitude.
Hier j’ai bu dans un café une limonade un mark, 1f25. Un cigare 10 sous, une cigarette 4 sous. C’est un peu cher.
Au pays ou nous allons aller demain on ne parle pas le français ou très peu, on parle le patois lorrain, ou le boche, malgré ça la population est française et attend notre arrivée avec impatience.
Je ne sais pas trop comment l’on fera pour s’expliquer, surtout lorsque nous serons chez les Boches, pur sang, je languis d’y être pour rire un peu.
A présent le moral est bon, ce n’est plus la guerre, on n’a plus le cafard on dirait une autre vie qui a commencé pour nous.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

J’ai reçu hier la lettre du 16. J’ai vu Léonce, en marche lundi.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Le 22-11-18

Bien chers Parents,

Me voilà en bochie depuis hier midi nous avons fait notre entrée en ville hier soir a 4 heures musique en tête. Qu'elle différence avec la Lorraine il y a un contraste comme la nuit et le jour.
Dès que l’on se rapprochait de l’ancienne frontière, avant 70, on était de mieux en mieux reçus et acclamés. Dans le dernier village lorrain où nous avons cantonnés nous avons été reçus comme des rois. Tout le village était pavoisé drapeaux, guirlandes, arcs de triomphe etc Malheureusement, la population ne parlait pas le français et il était difficile de se faire comprendre.
Nous avons cantonné dans une maison un peu en dehors du village. Sitôt arrivés la patronne nous fait rentrer dans sa maison et nous sert une bonne tasse de café au lait. Puis elle a descendu, dans la remise où on devait coucher, des sommiers des matelas, couvertures oreillers, et nous a préparé un bon lit. Après la soupe elle nous a donné une pomme à chacun, comme desert. Le patron devait s’être libéré de l’armée allemande et était très heureux de revenir français et d’en avoir fini avec les boches. Ces gens nous ont mis à notre disposition leur salon pour écrire et passer la veillée le lendemain au départ, ils nous ont payé le café au lait se privant de leur petite ration de sucre pour nous. Nous leur avons offert du pinard, le patron en a bu un quart de bon cœur, il en a fait boire à son enfant qui avait à peine trois ans. Sa femme et ses deux fillettes n’ont pas voulu en boire. On comprenait qu’ils étaient heureux de loger et de recevoir des soldats français. Impossible de dire une phrase en français on se comprenait par les quelques mots de français qu’ils savaient et par le peu de boche que nous connaissons. Vous voyez que ce n’était pas facile. Jamais on n’avait été si bien reçus pas même en France.
Mais lorsque nous avons passé la frontière et rentré en vraie Allemagne ce n’était plus la même chose. Plus de drapeaux aux fenêtres personne sur la route pour nous voir passer, nous entrions en vainqueurs. Les fenêtres étaient fermées les volets aussi, quelquefois on entrevoyait derrière un rideau qui se levait doucement une femme en pleurs, ou un poing menaçant. Les civils qui étaient dehors nous regardaient de travers, et si leurs yeux étaient des aiguilles ils nous auraient traversé de part en part. Seuls les soldats libérés étaient contents et nous saluaient.
Nous sommes donc dans une ville je ne sais pas son nom, elle est sur la Sarre près de Sarrelouis. Nous l’avons traversé en défilant devant le général de division en grande tenue. Un service d’ordre était formé par les policiers allemands et des cavaliers français. Nous sommes logés dans une grande usine métallurgique, dans un ancien camps de prisonniers. Comme logement nos prisonniers n’étaient pas mal comme nourriture, je suis sur que vous n’auriez pas osé la donner aux cochons, je l’ai vue de mes yeux et je ne sais pas à quoi ça ressemblait. Des prisonniers français évadés sont avec nous, et nous racontent leurs misères endurées chez ces sauvages depuis 4 ans. C’est incroyable les mauvais traitements que leur ont fait endurer les boches. A présent ils sont libres ils sont heureux, et c’est la tête haute qu’ils regardent ceux qui hier encore les oppressaient. La troupe boche quittait la ville hier à midi et nous nous rentrions à 4 heures. Avant de partir les soldats allemands avaient dit aux civils que les français allaient venir dans la ville pour la piller, assassiner les femmes, et puis y mettre le feu. Voilà la mentalité de ces gensl à. Les civils le croyaient et c’est pour ca qu’ils nous accueillaient si froidement.
J’ai entendu causer un civil, c’était un ancien français, il nous a averti que nous étions mal vus, et de nous méfier, surtout des officiers libérés. Nous sortons en ville armés et par groupe d’au moins 4 soldats.
En Allemagne c’est la famine complète, ils crèvent de faim, si en France on savait réellement dans quel état se trouve la bochie surtout dans les villes on ne se plaindrait pas. Tout est hors de prix.
Hier lorsque notre ravitaillement est arrivé la voiture à pain et légumes a failli être prise d’assaut par les gosses. Tous les civils ont mauvaise mine ont voit qu’ils souffrent et ils ont faim.
Je ne m’arretai pas d’écrire si je voulais tous vous raconter de ce qu’on voit depuis quelques jours. Ca sera pour plus tard lorsque la paix sera venue et que je serai au milieu de vous.
Nous sommes ici en vainqueurs, M.M. les boches n’ont qu’à bien se tenir gare si la patience nous échappe. Hier un gamin a craché dans la direction de mon capitaine et celui-ci s’est retourné et lui a administré une paire de gifles dont il se souviendra toute sa vie. Pendant la nuit des traits de chevaux ont été coupés, des byciclettes volées, des soldats menacés du poing. Les femmes sont mauvaises, et ont des yeux de vipères même les belles gretchen.
Après avoir tant chanté victoire et souhaité notre écrasement ca leur en coûte beaucoup, et ils en ont gros sur le cœur de nous voir ici. Enfin nous tâcherons de les aprivoiser, de les dompter s’il faut, nous ne sommes pas si méchants que se qu’ils croient. Ils n’ont que le juste châtiment qu’ils méritent.
La révolution est aussi en Allemagne ainsi on voit revenir des soldats portant le ruban rouge à la boutonnière et disant : République : Kaiser capout
Ce soir nous avons prise d’armes, et sans doute aussi de décorations.
Il fait beau temps, mais les nuits sont froides.
A bientôt le plaisir de vous lire en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Avant de mettre ma lettre à la poste je reçois celle de Louise.
Lorsque vous m’enverrez un colis vous y mettrez ma Croix de Guerre, avec deux étoiles au ruban. J’aimerais avoir un dictionnaire franco-allemand, si à Millau vous en trouvez un vous pourrez me l’envoyer. En fait d’argent nous gagnons au change. Le mark vaut 14 sous au lieu de 25.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Wölklingen le 29 Novembre 1918

Bien chers Parents,

J’ai reçu aujourd’hui votre lettre du 25, en même temps qu’une lettre de Pierre du 25 également. Nous n’avions pas de lettres depuis 2 ou 3 jours le service postal n’allait pas régulièrement. Ma dernière lettre était je crois du 23, j’ai attendu que ca marche normalement pour vous écrire. Je suis toujours à Wölklingen sur la Sarre; j’ai appris le nom du pays depuis, nous ne sommes pas mal.
On n’a presque rien à faire aussi on se languit un peu.
On peut sortir en ville, mais ca n’a rien d’intéressant. Dimanche je suis allé au cinéma civil, le cinéma par lui même n’avait rien d’épatant pour nous car on ne comprenait pas l’écriture. On entendait parler boche tout autour de nous, et nous on ne se gênait pas pour parler des Boches. On trouve quelques personnes civiles ou anciens soldats causant le français.
Depuis 8 jours que je suis ici j’ai a peu près visité toute la ville. Je n’ai pas vu une seule épicerie ni boucherie, les seuls magasins de consommation sont les cafés où l’on boit de la limonade et de la bière détestable. Dans les devantures de boulangerie on installe le pain noir, le blanc n’existe plus. Chez les jardiniers on voit des choux, raves, poireaux, carottes (légume de luxe choux fleurs) et c’est tout. Les autres magasins sont des magasins de nouveautés, ferblanterie etc. Le tabac boche est fait avec des feuilles d’arbres séchées et pillées vendues 3f.75 les 80 gr.
Lundi dernier une boucherie était ouverte on distribuait 250 gr. de viande par personne pour toute la semaine. Plus de 50 femmes attendaient à la porte. Depuis deux ans les civils n’ont plus de savon, chocolat disparu depuis longtemps.
Il faut voir tout ça pour le croire on n’aurait jamais cru qu’ils fussent si bas.
Vous pouvez juger de la tête que font nos ennemis lorsqu’ils voient arriver notre ravitaillement, ils voient des quartiers de bœuf à volonté, du pain blanc, légumes, confitures, vin tabac, ils regardent tout ca avec des yeux d’envie, tout en serrant la ceinture d’un cran de plus.
Beaucoup de civils sont en extase devant nos roulantes, et cassent la croûte en respirant l’odeur du rata.
C’est incroyable le nombre de gosses qu’il ya ici, surtout dans une ville ouvrière, en moyenne il y en a 8 par ménage. Les 9/10 ont comme coiffure, le calot du soldat all. et tous sont dressés à coup de baton et coup de botte dans le ...
Depuis 2 ou 3 jours la population n’est pas si sauvage, ils commencent à habituer les français, les gosse nous disent en passant dans la rue : ponchour miasieu.
Nous sommes toujours logés dans l’usine, le travail y marche avec intensité et au lieu de faire des obus on fait des rails, des poutres etc pour la France et les Alliés. Nos avions sont venus s’y promener au dessus et y ont laissé tomber leurs cartes de visite, à présent on en voit les effets.
D’après les derniers tuyaux on repartirait dimanche pour aller vers Mayence. Ce n’est pas encore sûr.
Le nouveau règlement sur les permissions va rentrer en vigueur le 1er on a 20 jours, ce qui en vaudra la peine, le voyage sera un peu plus long mais il ne compte pas sur la perm.
J’oubliais de vous dire que j’avais reçu le colis qui est arrivé à bon port, il tombe bon car ici on ne trouve rien à acheter, les coopératives ne sont pas encore installées.
Dans ma dernière lettre je vous disais de m’envoyer ma croix de Guerre et un dictionnaire français allemand, si vous pouvez vous en procurer un.
Depuis le 17 nous n’avons pas vu un journal français.
Ce que les boches ont à volonté ou du moins n’ont pas la crise c’est le charbon et les allumettes. Les 3/4 des soldats démobilisés qui arrivent n’ont pas le sou pour s’acheter un vêtement civil, on est obligé de leur donner un bon de réquisition car ils ne doivent pas rester en militaires plus de 48 heures.
A bientôt d’autres nouvelles
Joseph

1918 : décembre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 8-12-18

Chers Parents,

Je trouve enfin le temps d’écrire. Nous avons repris le mouvement d’avance dimanche dernier et nous avons marché 5 jours dans la semaine, les 3 derniers nous avons fait environ 90 kilomètres. Pendant les jours de repos, j’ai été de garde et je le suis encore aujourd’hui.
Pendant les marches on partait de nuit le matin et on arrivait le soir vers les 5 heures, et on était si fatigué qu’on n’avait pas le temps d’écrire. Nos marches seront bientôt terminées car on approche de notre destination. Notre point terminus est Wiesbaden. Nous sommes à 50 kilomètres de Mayence.
En ce moment nous sommes dans la Bavière rhénane, nous avons traversé une partie de la prusse.
La population est assez convenable à notre égard, tous les habitants sont gentils pour nous (par force).
Ils sont obligés de nous donner un logement chauffé et éclairé, aussi ils débarrassent leurs salons des canapés et fauteuils, et nous y logeons dedans même que le parquet soit ciré. Ils ont du charbon à volonté aussi on en profite. Ils n’ont n'y pétrole n'y essence, ils s’éclairent soit à l’électricité soit à l’acétylène.
Leur volaille n’est pas chère nous avons acheté dans la semaine et aujourd’hui 4 poules pour manger elles nous reviennent par suite du change, et de la baisse des prix à 28 sous prêtes à manger. Ils n’osent pas les faire payer trop cher car ils n’auraient n'y poules n'y argent.
C’est tout ce qu’ils ont à vendre. Avant d’arriver dans un village on leur donne des ordres, sur la tenue à tenir envers les soldats français, et sont menacés de sanctions très sévères si quelque chose ne va pas.
Dans chaque bataillon nous avons un Lorrain comme interprète, ces hommes ont servi dans l’armée allemande, aussi ils savent nous faire obtenir des populations tout le bien être et la sécurité possible.
Au début de la semaine, par suite des côtes et des mauvais chemins, nos roulantes et voitures sont restées en panne, aussi on a réquisitionné des chevaux civils avec leurs conducteurs pour faire renfort.
Depuis quelques jours nous avons le temps humide et brumeux, il ne pleut pas et il ne fait pas froid.
J’ai reçu hier votre lettre m’annonçant le colis, je l’aurais sans doute se soir. Je suis pressé, il faut que je prenne la faction. A bientôt
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Le 9 Décembre 1918

Chers Parents,

Nous venons encore de faire une nouvelle étape dans la direction du Rhin et de Mayence, je pense que nous arriverons après demain dans cette ville. Aujourd’hui l’étape n’a pas été trop longue 25 kilomètres environ. Nous sommes de nouveau logés dans une salle à manger parquet ciré, chauffés et éclairés.
Sitot arrivés les patrons nous ont servi le café, du beurre, confiture beurre etc ils nous ont bien reçus car ils ont une peur terrible des Français, tous les civils savent maintenant tous les crimes, qu’ont commis les troupes allemandes en France et ils ont peur qu’on leur en face autant, et cette peur les rend très aimable. S’ils paraissent contents de nous voir venir, je crois qu’ils le seront réellement lorsque nous reviendrons en France.
Juste comme le régiment arrivait au village, le crieur public était en train de faire le tour du pays en sonnant sa cloche, et lisait les ordres à la population sur les mesures à prendre envers les troupes françaises.
Hier avant de quitter le pays des gosses ont volé 6 grosses boîtes de sardines à notre cuisine. A 9 heures du soir le crieur public prévenait la population que si les boîtes n’étaient pas bientot restituées la commune serait condamnée à une forte amende.
Dix minutes après les boîtes étaient revenues. Demi-heure avant l’arrivée des troupes une poule valait 25 marck, ils nous la vendent 2 marck, une oie 90 marck, on la pour 8 marck. C’est la peur qui leur fait faire tout ca.
Quant nous traversons les villages les civils font la haie tout le long de la route, les anciens soldats saluent nos officiers, les gosses disent toujours : ponchour, ont doit le leur avoir apris à l’école. On voit toujours des femmes qui pleurent. En général ils n’ont pas l’air content, surtout les vieux de 70, de nous voir arriver.
Ils sont obligés de faire bon cœur contre mauvaise fortune. A part ca impossible de se comprendre, aussi les interprètes ont du travail.
J’ai reçu hier soir le colis comme je venais de faire partir la lettre. C’est arrivé à bon port, le dictionnaire va servir à faire des phrases qu’on leur fera lire et ils comprendront peut-être. Je vais demander le certificat que vous me demandez et vous l’enverrez sitot qu’on me l’aura donné.
J’ai mangé aujourd’hui du pain boche il est très mauvais et surtout très lourd, il faut être habitué a ce pain pour le manger. J’ai bu aussi du café, il ne ressemblait au notre que par la couleur, et j’ai eu de la peine à en boire un demi quart je n’ai pas pu savoir quel goût ca avait. Mon camarade qui avait été évacué au mois de juillet est revenu au régiment je vais tâcher de le faire rentrer au 37 pour pouvoir être ensemble.
J’ai reçu la lettre de Louise aujourd’hui pendant la grandhalte. En attendant d’autres nouvelles, je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Höltz Hochst le 15 Décembre 1918

Bien chers Parents,

Nous sommes enfin arrivés a destination. Contrairement à ce que l’on nous avait annoncé nous ne sommes pas allé à Wiesbaden nous sommes a 10 kilomètres au sud de Francfort.
Nous avons passé le Rhin le 13 à 9 heures du matin.
La traversée de Mayence et du fleuve devait se faire le 11, mais au dernier moment des ordres ont paru et nous sommes restés 48 heures de plus en arrêt. Des troubles avaient eu lieu à Mayence, les ouvriers se mettaient en grève etc, avant l’arrivée des troupes françaises. Pour les mettre d’accord il a suffi d’amener une douzaine d’autos-mitrailleuses qui se sont installées sur les places et grandes rues. A la vue des mitrailleuses prêtes à fonctionner le calme a été rétabli instantanément.
Le matin du 13 le régiment qui était dispersé a été rassemblé près de la gare de Mayence et a pris ces dispositions pour le défilé.
Nous avons marché en colonne par 8 tenant toute la largeur des rues, la musique jouait ses plus belles marches, à la sortie de la ville nous avons passé le pont. A partir de ce moment chacun a eu a cœur de faire voir aux boches comment un régiment français défilait. Les généraux Lecomte et Caron se tenaient sur le pont et c’est avec une allure et un entrain admirables, qui ont fait l’admiration de nos ennemis, que nous sommes passés devant eux.
Et pendant que les flots du Rhin roulaient sous nos talons chacun pensait à la parole du poète : Nous passons encore une fois sur notre Rhin Allemand.
Les civils qui étaient rassemblés sur notre passage restaient ahuris et faisaient une drole de figure, surtout lorsque quelqu’un parmi nous leur disait : "Finich nach Paris" ce qui voulait dire fini la marche des Allemands vers Paris. Sur la rive droite nous avons traversé Kassu où nous avons vu des canons lourd abandonnés, prets a être embarqué. Puis nous avons pris la route de Francfort. En route nous avons rencontré des officiers allemands venant en parlementaires. Nous avons rencontré aussi des prisonniers français.
Inutile de vous dire leur joie d’etre enfin délivrés de leur terrible captivité. J’en ai vu un du 24e Colonial qui était détaché chez un propriétaire du pays ou nous étions. Il continuait à manger et loger chez son patron et depuis qu’on était là il ne travaillait plus c’était lui le maître, il est venu au cantonnement pour causer avec nous, et chacun lui racontait sa petite histoire.
Nous sommes ici dans la partie la plus avancée du secteur occupée par les Français. Nous allons organiser le secteur, pour le moment nous faisons des patrouilles en attendant que le bataillon prenne les avant-postes. Nous sommes logés dans un théatre qui a été transformé par les boches en hopital. Nous avons chacun notre lit, et c’est la première fois depuis que je suis en campagne que je couche dans un plumard. Je crois que nous avons bien mérité tout ca. Surtout que ce sont les boches qui font tout les frais. Dans le dernier pays ou nous avons logé avant notre entrée à Mayence, nous avons logé dans un couvent de sœurs. L’aumônier qui parlait un peu français nous a montré une statue de la Vierge qu’il avait rapportée de Lourdes.
Jusqu’à midi ma compagnie était de service ce qui fait que je n’ai pas pu aller à la messe. Ce soir je vais visiter la ville. Nous n’avons pas de lettres depuis 3 jours. A bientôt d’autres nouvelles en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Le général Caron commandant la division a été très content de notre dernier défilé. Aussi il a réquisitionné une demi-bouteille de vin du Rhin pour chaque soldat. Nous l’avons bu aujourd’hui à la santé des armée alliées et de leurs chefs.
Le vin était excellent, mais il ne vaut pas encore le vin de France.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Hochts le 18 Décembre 1918

Chers Parents,

Je suis de nouveau de service aujourd’hui, ce qui fait que je ne peut pas sortir en ville. Il n’y a rien de perdu car il fait froid et il pleut. Le lieutenant commandant la compagnie vient de nous faire une petite causerie sur les curiosités du pays, et sur l’Alsace Lorraine. Il nous a appris que dans la Mairie de la ville Napoléon y avait couché une nuit en 1813.
Il nous a signalé aussi une chapelle très ancienne qui date de Charlemagne, et qui en temps de paix été très visitée par les touristes. Demain, j’irai la voir.
Demain aussi j’irai dans un restaurant, voir comment mange MM. les Boches il parait que c’est très intéressant tant pour le menu que pour leur manières et leur rapidité.
Depuis que nous sommes ici nous voyons tous les jours les civils portant de la campagne un petit sapin. C'est arbre là est destiné à faire dans chaque famille l’arbre de Noël. Tout les magasins de la ville installent leurs jouets et toutes sortes d’articles pour la fête de Noël.
Et l’on peut voir tous les spécimens de la Kamelotte allemande.
Tous les magasins sont assez bien montés c’est le moment des cadeaux. Quand aux magasins de consommation rien. Hier pour la première fois j’ai vu deux boucheries ouvertes.
Tous les gosses en ville nous demandent des biscuits ou du chocolat. Ils sont bientôt servis.
Hier nous sommes allés prendre un bain dans une installation d’usine. L’installation est très bien monté, et très pratique. C’est une usine de produits colorants où l’on a du fabriquer des gaz asphixants car ça sentait encore. L’usine occupe 28 000 ouvriers et ouvrières.
L’autre jour je suis allé faire une patrouille de l’autre côté du Main, que nous avons passé sur un bac, nous sommes passés dans un village où encore aucun français n’était pas venu. Aussi ca était tout un événement pour les civils de voir arriver les premiers soldats français. Le maire nous a reçus et nous a dirigé sur un autre pays où nous devions aller. Le soir en rentrant je suis passé au pays où est Léonce je n’ai pas pu le voir car il était de garde.
J’ai demandé le certificat je pense qu’on nous le donnera se soir ou demain et je vous l’enverrai aussitôt. D’après les derniers tuyaux il paraît qu’on reviendrait en France d’ici une quinzaine de jours, il n’y a encore rien d’officiel.
Je n’ai rien reçu de Pierre n'y de Jean depuis quelques jours je ne sais pas ce qu’ils font de ne pas écrire.
Il parait que le mark baisse toujours nous allons l’avoir pour 10 ou 11 sous, ce qui fait que le billet de 5 fr. va nous être changé pour 9 mark.
Pour aujourd’hui je ne vois plus rien d’intéressant à vous dire aussi je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
J’ai réussi à faire venir mon camarade dans ma section.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Höchts le 19-12-18

Chers Parents,

On vient de me donner le certificat de présence au Corps
[note] aussi je vous l’envoie tout de suite.
Hier soir j’ai été de patrouille de 10 à 11 heures du soir en ville.
Nous devions arrêter tout le monde qui circulait dans les rues sans laisser passer ou autorisation.
Nous avons arreté plusieurs civils et les avons conduits au poste.
C’est épatant de voir comment ces gens là se plient à notre discipline lorsqu’on leur donne ordre de faire quelque chose ou de remplir certaines formalités ils ne se le font pas dire deux fois. L’autorité militaire françaises a fait afficher en ville des arrêtés et proclamation adressés à la population. Pendant 2 ou 3 jours il y avait une douzaine de personnes en train de les lire. Le soir ils allumaient une bougie et il y en avait un qui lisait tout haut pendant que les autres écoutaient en silence. Ces gens-là nous offrent de temps en temps de petites séances très amusantes c’est dommage qu’on ne comprenne se qu’ils disent.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Höchst le 21 Décembre 1918

Chers Parents,

Nous avons de nouveau la pluie et le temps humide, sans qu’il ne fasse bien froid. Ce qui nous oblige à rester dedans. Demain et après demain je suis de nouveau de service, on l’est 2 jours sur cinq. Notre rôle consiste à rester au cantonnement afin d’être prets le plus tôt possible en cas d’alerte, et de faire les patrouilles en villes ou entre les bataillons. Ce service n’est pas bien dur et il vaut mieux faire ça que d’être encore dans les tranchées.
Comme logement nous sommes très bien, nous avons chacun notre lit avec sommier, et draps lavabos à eau froide et chaude, gaz à volonté.
On n’est pas si bien nourris comme en temps de guerre, ça peut aller quand même. Seules les rations de viande et de légumes sont un peu diminuées.
A chaque repas il vient toute une bande de gosses chercher les restes de la roulante, ou ce que nous avons de trop : tous sont affamés, et ne mangent pas à leur faim. Pour un morceau de notre beau pain blanc on leur fait faire tout ce que l’on veut, et pour un morceau de chocolat je crois qu’ils iraient nous chercher la Lune si on la leur demandait.
Avant hier je suis allé boire une limonade dans un restaurant pour voir comment les boches prennent leurs repas. Tous les plats leur sont servis a la fois : choucroûte, pommes de terre cuites à l’eau, un petit bout de viande etc pas de pain n'y de vin. Une fois à table ils prennent la fourchette d’une main et le couteau de l’autre et font marcher les 2 à la fois, de la première à la dernière bouchée ils ne s’arrêtent pas une seconde, ils ont tout le temps la bouche pleine, et bouffent comme des goujats. A la fin du repas ils boivent un verre de bière. Si je ne les avais pas vus à table je n’aurais jamais cru qu’ils mangent si gloutonnement.
Nous étions étonnés de voir leur pâtisseries assez bien montées. On nous a expliqué pourquoi. Ils font leurs gâteaux avec des produits chimiques. Pour ça ils sont très forts. Ils vendent des choux à la crème par exemple où il n’y a n'y un brin de farine, n'y un œuf, n'y une goutte de lait; et faut payer ca très cher, ils se débrouillent c’est le système D. Au point de vue alimentaire la chimie joue un grand rôle.
Aujourd’hui on nous paye la moitié du rappel, depuis le 1er octobre, de notre augmentation de solde, l’autre moitié sera payé au départ en permission. Les permissions marchent assez bien, un service de trains de permiss. a commencé a fonctionner.
Je n’ai encore rien reçu de Pierre, sa sera peut-être se soir. Je pense que Jean est peut être arrivé à la maison. Il aura au moins la chance de passer la Noël à la maison. Tandis que nous il nous faudra encore une fois passer cette belle fête ici loin du pays. J’espère que l’on nous autorisera à aller à la messe de minuit.
Aujourd’hui nous avons vu des prisonniers français qui s’étaient débrouillés pour quitter les camps, car ils n’ont pas voulu attendre que les boches les renvoie. Ils sont partis avec les permissionnaires. Je reçois à l’instant une lettre de Pierre, il me dit qu’il est sur le bord du Rhin et qu’il y a même pêché. Lui aussi est bien logé, il me dit qu’ils sont amis avec ceux avec lesquels ils se battaient il y a quelques jours. Il a de la chance. Nous ici on ne fraternise pas trop. Il faut toujours sortir armé. On rencontre quelquefois quelques civils causant un peu le français. Ils nous disent que la population a peur qu’on envoie des troupes sénégalaises ou anglaises occuper le pays. Ils ont peur avec nous, que feraient-ils avec les nègres ? A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Höchts le 22-12-18 8 h du soir

Chers Parents,

Nous avons aujourd’hui changé de cantonnement, tout en restant dans la même ville. C’est une compagnie du génie qui a pris notre place. C’est peut être celle de Léonce, dès que je pourrais sortir j’irai m’en informer et tacher de le voir.
Nous sommes de nouveau logé dans une usine. Nous occupons des locaux, construits depuis la guerre sans doute car ca à l’air d’être neuf. Dans ces locaux étaient internées des femmes belges, qui étaient occupées à certains travaux de l’usine.
Comme installation s’est très bien monté. Nous avons une chambre à quatre, éclairés à l’électricité, chauffage central, lavabos etc, enfin tout le confort désirable, chacun a son lit et son armoire pour mettre ses effets.
Nous avons fait aujourd’hui la connaissance d’un civil qui parle à peu près le français. C’est un blessé de la guerre. Et ce qui nous intéresse c’est qu’il a été blessé le 27 août à Beaumont, pendant les attaques de Verdun 1917. Il s’est donc battu avec nous, il a vu nos prisonniers du régiment, pendant l’attaque, et c’est en revoyant ici le numéro du régiment qu’il s’est fait connaître. Il a été blessé par nos obus, et malgré la gravité de sa blessure il s’estimait heureux, en voyant la plupart de ces camarades tués sous les rafales terribles de notre artillerie. Il nous disait aussi que le feu de nos mitrailleuses leur a été très meurtrier, il disait ça en présence d’un caporal mitrailleur, et celui-ci lui a dit que c’était pour avoir bien mitraillé les boches, qu’il avait eu ce jour là une citation et gagné ses premiers galons. A présent il rit de tout ça se qui m’empêche pas qu’il a emporté de Verdun un cruel souvenir.
Tout en traversant la lorraine ou l’Allemagne on avait rencontré des soldats qui s’étaient battus avec le régiment, mais aucun, comme celui-ci ne racontait pas leur histoire.
Nous voyons toujours arriver des prisonniers français ou des alsaciens-lorrains qui trouvant que le rapatriement se fait trop long s’en vont d’eux mêmes, pour être plus tôt délivrés.
Ils nous racontent que les populations avaient pavoisé pour le retour de leurs glorieux soldats, mais dès que l’arrivée des français était annoncée tous les drapeaux sont rentrés, il ne reste plus aux fenêtres que les hampes, toutes les maisons en ont au moins une qui tient toute la largeur de la rue.
Aujourd’hui nous avons eu une belle journée, le temps a l’air de se mettre au vif.
Ce soir je vais probablement faire une patrouille en ville, je pense que pour la Noël je serai libre et que je pourrais assister aux offices. Il paraît que la Noël est une des plus grandes fêtes des boches aussi ca sera interessant de voir comment ils célèbrent cette fête.
On commence à parler de démobilisation jusqu’ici ca ne concerne que les vieux. A présent on ne donne des emplois qu’aux plus jeunes classes 17 et 18.
Pour aujourd’hui je ne vois plus rien d’intéressant à vous dire aussi je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur. Le bonjour aux amis et voisins.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Höchts le 25-12-18

Bien chers Parents,

Nous avons aujourd’hui un vrai temps de Noël, car la nuit il a neigé et c’est tout blanc.
J’ai pu assister à la messe de minuit. C’était une messe militaire dite par un aumonier du régiment. Il y avait beaucoup de soldats et presque pas de civils. Des civils ont fait jouer les grandes orgues pour accompagner le chant de nos plus beaux cantiques de Noël.
Je ne crois pas que les civils aient eu leur messe de minuit, les règlements militaires ne le leur ont pas sans doute permis.
Hier j’ai vu Léonce, sa Cie est logée, dans le cantonnement où nous avons passé la semaine dernière.
Je pense que ce soir nous pourrons nous voir et passer un moment ensemble.
Il arrive ici toujours des prisonniers français qui s’évadent de leurs camps. Ils ne sont presque plus surveillés, et voyagent dans l’Allemagne comme si de rien n’était. Personne ne s’occupe d’eux, et s’ils attendaient qu’on les renvoie ils seraient là bas pour longtemps encore.
Aussi c’est avec un grand soulagement qu’ils passent nos avant postes pour être avec les français, et de là être dirigés en France.
Depuis quelques jours nous avons fait la connaissance de deux petits Belges, de 10 et 12 ans. Ils ont été amenés ici avec leur père et mère, par les boches, depuis le début de la guerre, ils étaient sous la domination allemande.
Ils ont été témoins de l’invasion et ont du subir toutes les horreurs de l’occupation allemande dans leur pays. Puis ils ont été chassés de chez eux et amenés en Allemagne pour travailler pour les boches. Ils sont établis ici en attendant qu’ils rentrent dans leur pays.
Ils ont été témoins de beaucoup de crimes commis par les boches, ils nous racontent ca tous les jours. C’est horrible ce qu’on fait ces sauvages, jamais on n’aurait cru que la barbarie fut poussée à un si haut degré. On croyait souvent exagéré le récit de ces crimes atroces, c'est malheureusement que trop vrai. Les prisonniers qui reviennent de la bas disent tous la même chose. Aussi pas de pitié pour ces brutes là. A présent qu’ils sont vaincus ils se font doux comme des agneaux, nous en voyons tous les jours la preuve. Ainsi l’autre nuit en patrouille nous rencontrons un monsieur très bien mis causant un peu le français, on lui demande ses papiers et il nous répond d’un ton presque insolent, ce devait être un ancien officier qui ne voulait pas s’abaisser devant un sergent français. Celui-ci lui dit ces 4 vérités sur un ton qui n’admettait pas de réplique. Notre monsieur sort ses papiers en tremblant. Ils étaient en règle heureusement. Puis comme il s’était montré insolent envers nous nous nous payons la fantaisie de l’encadrer au milieu de nos baïonnettes et nous lui faisons faire avec nous, au pas cadencé, le tour de la ville, la traitant comme un vulgaire vagabond. Arrivé au cantonnement, nous l’avons laché : il avait avec lui un compagnon qui ne disait rien, il a été de la partie quand même. Ci s’était réellement un officier il devait en avoir gros sur le cœur de se voir traiter ainsi par 6 soldats français.
On trouve quelques civils causant le français, ceux-là doivent entendre nos conversations et leurs oreilles doivent leur siffler en écoutant ce qu’on dit sur leur compte. Lorsqu’ils causent avec nous on ne manque pas de leur expliquer le code, tous ont l‘air étonné.
Hier j’ai vu des enfants boches ramasser sur un tas de fumier des détritus de cuisine qu’on avait jeté et mettre ca dans une marmite pour aller le manger chez eux. Pour la Noël une boucherie chevaline était ouverte hier soir sans exagérer,50 personnes faisaient la queue. Il faut voir tout ca pour le croire, ils crèvent de faim totalement.
J’ai donné aux petits Belges le chocolat qui me restait ils en avaient pas mangé depuis 1914. Naturellement ils mangent avec nous et sont bien contents de manger à leur faim.
A bientôt
Joseph

Lettre de JOSEPH à sa soeur LOUISE

Höchts le 27 décembre 1918

Bien chère Louise

J’ai reçu ta lettre du 20 hier au soir et je ne veux pas attendre plus longtemps pour te répondre. Je te remercie pour le billet que tu as mis dedans. Je n’avais pas encore besoin d’argent, car notre solde est augmentée puis on ne trouve pas grand chose à acheter, la coopérative n’est pas bien approvisionnée, chez les civils on ne trouve absolument rien pour manger.
Pour la Noël on voulait faire un peu fête, ca nous a été impossible d’acheter quelque chose à m’importe quel prix. Si on avait été dans un village on aurait peut être trouvé quelque chose, mais ici dans une ville de 25 000 affamés, Rien, rien mais rien c’est incroyable de voir à quel point ils en sont.
Puis le mark a encore baissé nous l’avons pour 12 sous, ce qui fait que les articles que l’on peut acheter, ne nous reviennent pas trop chers.
Dès demain je vais faire un choix de cartes postales, et t’en enverrai, je tâcherai aussi d’en porter en venant en permission. Si tu veux que je t’apporte quelque chose, comme souvenir, dis-moi ce qui te ferai plaisir, et je ferai mon possible pour te l’apporter. J’avais décidé d’envoyer un colis, mais le service postal a trop de travail surtout à présent pour la Noël et le premier de l’an aussi j’attends ma permission ça sera plus sûr.
J’ai reçu hier au soir une lettre de Jean, il me dit qu’il compte partir bientôt en permission, et je pense que de cette heure-ci il est à la maison. Chez nous les permissions marchent assez bien, je pense avoir la mienne vers la première quinzaine de février. Et se sera sans doute la dernière, puis ca sera la grande, celle ou l’on ne repart pas.
Quel beau jour que celui ou j’arriverai à Aguessac pour ne plus repartir. Il ne me semble pas possible que cela puisse arriver. Enfin encore un peu de patience et ca viendra.
J’ai reçu aujourd’hui une lettre de Gustave, il m’écrit de Strasbourg où son régiment est depuis un mois après avoir fait leur entrée triomphale.
J’ai aussi reçu une lettre de Paul Rendu, lui m’écrit de Paris, c’est encore mieux, d’après ce qu’il dit il n’a pas l’air d’être mal pour faire les réceptions des souverains qui viennent à Paris.
Moi je suis toujours ici, ce soir je suis encore de patrouille, on va encore ramasser quelque trainard, gare s’il n’est pas en règle, ou s’il n’est pas convenable à notre égard.
Le régiment est toujours aux avant-postes, et à la surveillance de la ligne de démarcation, aussi le service est dur, il faut souvent prendre la grande, ou faire des patrouilles. C’est d’autant plus dur qu’ il y a 10 centimètres de neige et qu’il gèle assez fort. Je pense que l’on sera bientôt relevés et qu’on viendra peut être en France, on ne peut apprécier le bonheur d’être dans son pays que lorsqu’on est à l’étranger.
La population est tout à fait indifférente à notre égard, les civils font comme si on n’était pas là, ils se soumettent bon gré mal gré aux règlements des autorités militaires françaises.
Pour la Noël ils ont fait fête le 25 et le 26, tout était fermé, usines et magasins, dans les familles l’arbre de noël était dressé, on en voyait aux fenêtres, et dans beaucoup de maisons on entendait la musique.
Je m’arrête pour aujourd’hui car il faut que je me prépare pour la patrouille, il n’y aura pas grand monde dehors car il tombe de la neige et il fait très froid.
Je t’embrasse de tout mon cœur. Ton frère
Joseph

J’ai reçu le colis hier soir tout est arrivé à bon port.
Quand je viendrai en permission je tâcherai d’apporter un morceau de pain allemand, tu verras la différence.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Höchts le 29 Décembre 1918

Bien chers Parents,

Voilà la fin de l’année qui va être là, et je suis encore bien loin de vous. Et c’est encore par écrit que je vous envoie pour 1919 mes meilleurs vœux de bonne et heureuse année.
Oui chers Parents c’est de tout cœur que je vous adresse les souhaits de bonne santé et de bonheur.
Cette année-ci nous allons enfin avoir la paix que nous attendons tant et puis ça sera le retour définitif à la maison.
Nous sommes toujours au même endroit, attendant patiemment les événements, on n’est pas mal aussi on ne s’en fait pas.
Hier soir pendant notre patrouille à travers la ville nous avons arrêté quatre voyageurs qui allaient ou plus tot qui voulaient aller à Francfort ils oubliaient que la frontière est fermée et que personne ne doit passer. Parmi eux se trouvait un jeune collégien qui parlait un peu français, aussi ca n’a pas été trop difficile de se faire comprendre, on les a conduit au poste, où on les a autorisés à aller coucher à l’hôtel en attendant qu’ils aient leurs passeports. Nous avons vu aujourd’hui des officiers allemands venus en parlementaires ils viennent pour remettre du matériel qui va passer un de ces jours.
Nos petits Belges viennent tous les jours nous voir et sont heureux avoir nous. Ils parlent français et ne connaissent pas du tout la langue allemande.
Leur père est coiffeur est tien un petit magasin de cigares et cigarettes. Car ici n’importe qui a le droit de vendre du tabac. Depuis qu’on le connait il a des clients soit pour les cigares ou pour se faire raser.
Tous les prisonniers qui passent vont chez lui pour faire leur toilette. Ils restent entre Charleroi et Namur et ont assisté à l’invasion de 1914. Pendant 3 jours ils sont restés dans les caves pendant que la bataille faisait rage, et lorsqu’ils sont sortis de là ils ont eu la douleur de voir les boches occuper le pays.
Ils nous disaient qu’ils avaient vu après la bataille plusieurs de leurs camarades tués, par les boches, à coup de baïonnettes pour avoir refusé d’enterrer vivants des blessés français. Voilà un exemple de ce que leur faisaient faire les soldats allemands, toujours sous la menace du révolver ou de la baïonnette. Mais plus tard pendant l’occupation lorsqu’ils ont trouvé l’occasion de se venger ils ne l’ont pas manquée.
Vos lettres m'arrivent après 5 ou 6 jours de voyage, les miennes doivent mettre plus de temps pour arriver à Aguessac, ça va sans doute aller plus vite car on vient de mettre des express en circulation.
Je pense que Léonce viendra me voir demain, car je ne puis sortir je suis de service. Mon tour de service vient plus souvent car l’effectif diminue par suite du départ des permissionnaires.
J’ai reçu aujourd’hui votre lettre du 23, je pense que Jean est à la maison et qu’il passera une bonne permission.
Avant de vous quitter je vous renouvelle mes vœux de bonne année veuillez les transmettre de ma part a tous les amis et voisins.
A bientôt d’autres en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph