Neuillé Pont Pierre lundi 12 octobre.
Chers parents,
Je viens de recevoir votre lettre du 7 octobre, au moment où je partai pour la messe. Je n’ai pas reçu de lettre de Papa, et dans la semaine dernière j’ai reçu une carte de Pierre et d’Eugène, auquel j’ai oublié de répondre, étant occupé par mon changement de domicile.
Je suis très étonné du froid qu’il fait à Aguessac, ici il fait un temps magnifique, quoique il y est de la gelée blanche toute les nuits. Les vendanges s’achèvent et sont très belles. Vous m’apprenez qu’Henri Beluel a été blessé près de Dieuze, c’est là en face de cette ville qui a été en notre pouvoir que j’ai fait mon dernier combat et où j’ai eu le plaisir de voir tomber les Allemands sous mes coups de fusil.
Si mon repos est un peu long, je suis content d’avoir avant mon évacuation mis quelques boches hors de combat. C’est par miracle que j’ai échappé à leurs balles, on s’est fusillé à 50 mètres, sans pouvoir s’aborder à la baïonnette, tant le bois où l’on se trouvait était épais et l’on a reculé chacun de son côté.
C’est avec peine que j’ai appris la mort de Joseph Collière. Le croyant dans le train des équipages de Lunel, j’aurai cru qu’il échappat aux balles ennemies. Il faut des morts pour la France et la mort tape dans nos rangs avec une impartialité terrible.
J’espère qu’il est mort saintement et qu’à présent du ciel, il prie Dieu de protéger les soldats et leur donner le courage de se battre en brave et de mourir en chrétien. Ma carte du 29 vous annonçait une lettre, que je ne vous ai pas envoyée.
J’ai reçu des nouvelles de Gustave, qui languit de passer le conseil pour pouvoir être soldat, et remplacer un de ceux qui tombent au champ d’honneur.
Jeudi dernier les conscrits du canton de Neuillé passaient le conseil, sauf quelques ajournés tous furent pris. La classe 1914 sera bientôt mobilisable et partira probablement sur le front. Après avoir rejoint mon dépot, je marcherai sans doute avec les bleus. Je pourrai même être nommé caporal, je me sens la force et le courage de conduire une escouade au feu.
Le tricot que je désire doit être un chandail, car ils sont beaucoup plus commodes et plus chauds que les autres.
Il me faudrait aussi une flanelle, pour mettre sur la peau. Je partirai bientôt de Neuillé, je passerai une contre-visite à Tours et je partirai pour Avignon par Nevers, Riom, Arvant, Aguessac, Béziers et Avignon.
Neuillé Pont Pierre est un chef lieu de canton à 25 kilomètres de Tours. Un monsieur très riche a mis une maison à la disposition de la Croix-Rouge, et l’on y envoie les blessés guéris qui ont besoin de reprendre des forces avant de rejoindre leur dépot. Nous sommes très bien sous tous les points de vue, rien ne nous manque, nous sommes sous la surveillance d’un docteur, le docteur Guérin. Nous pouvons nous promener dans la campagne, se soir lundi, nous allons visiter une ferme école.
Je vous avertirai de mon départ de Tours et de mon passage probable à Aguessac. Je suis guéri et je puis marcher avec les brodequins.
J’ai reçu des nouvelles de Jean Raynal qui me disait que sa maladie n’était pas grave et qu’il serait bientôt guéri, il ne me parle pas du sac de l’alboche et je ne sais s’il l’a gardé chez lui ou s’il vous l’a envoyé dans la cantine de M. Lacombe cap.2è génie comme il m’avait dit qu’il ferait.
Ici nous n’avons qu’un train par jour.
A bientôt, chers Parents, le bonheur d’être avec vous et de raconter de vive voix les horreurs de la guerre.
Votre fils Joseph.
Envoyez toujours la correspondance à Tours : Hôp. Auxiliaire n° 10 3 rue Descartes Tours.