10 février[note] 1916
Bien chers Parents,
Je suis de nouveau habitué à la vie de tranchée. Je n’ai pas eu du tout le cafard, il est vrai qu’on a ici tout ce qu’il faut pour le faire passer.
Ce soir la neige tombe c’est déjà tout blanc, il va falloir revenir au petit poste où l’on n’aura pas bien chaud.
Nous venons d’avoir la visite de Mr l’Aumônier, il ne craint pas la neige et la boue pour venir en première ligne à 500 m des boches. Il est passé dans tous les abris pour voir tout le monde. Et tout le monde le voit avec plaisir.
J’ai rencontré de nouveau Carrière et il m’a dit qu’il avait vu Conduché et qu’il lui avait tout remis.
A bientôt d’autres nouvelles.
Les camarades ont fait honneur à la gnole ils l’ont trouvé excellente.
Joseph
14 Mars 1916
Bien chers Parents
Après la neige et la beau tempspluie, voilà le beau temps qui revient. Il fait aujourd’hui une journée magnifique. Les arbres ne tarderont pas sans doute à verdir. J’ai déjà vu ici quelques arbres en fleurs. Ce beau temps est surtout favorable aux aéroplanes qui sillonnent le ciel du soir au matin. Les nôtres sortent beaucoup, quelques boches essayent de passer nos lignes mais ils sont vigoureusement canonnés par nos 75 qui les oblige à faire demi-tour. De temps en temps on entend dans les airs le tac-tac-tac de la mitrailleuse, mais on ne voit pas d’engagements bien sérieux. Les ballons captifs [note] sont souvent en l’air tant chez nous que chez eux.
On vient de me donner l’indemnité de voyage pour la permission j’ai touché 7 francs 60 pour 6 jours de trajet à 1 f. 27 par jour, plus les 3 francs de prêt de mes douzes jours d’absence. Tout cela fait bien plaisir à recevoir.
Ce soir nous allons au cinéma on vient d’installer un appareil pour nous distraire un peu pendant les journées de repos. Je n’y suis pas encore allé aussi je ne sais pas ce que ca sera.
Demain nous subir la 2è piqûre de la vaccination, j’espère qu’elle ne m’éprouvera pas plus que la première fois et que je pourrais passer 3 jours bien tranquilles. Il y a des camarades qui ont le 96è soit ici ou dans les environs, moi je n’ai vu encore personne de ce régiment, pourtant on rôde toujours d’un côté ou de l’autre.
Lorsque je suis monté dans le train à Aguessac, dans le compartiment où j’étais il y avait deux demoiselles du côté de Rodez et un soldat. Naturellement on s’est mis à parler de la guerre et du petit de Lenne. Or le soldat qui était là était un oncle de cet enfant; et il nous a affirmé que tout ce qu’avait dit le petit s’était réalisé. Il dit à son oncle qu’il ne reviendrait pas sur le front, or son oncle vient d’être versé dans l’auxiliaire et reste au dépôt. Il avait dit aussi que la guerre était finie seulement je me suis aperçu moi-même qu’ici ce n’était pas encore fini.
(Mercredi 15) Hier je n’ai pas eu le temps de finir ma lettre car je suis allé au cinéma jusqu’à 5 du soir, et à 7 je partais au travail pour rentrer à 10 heures. Ce matin on nous a fait la 2è piqûre, ça ne me fais pas encore mal. La dose de vaccin a été moins forte que la première fois.
Je viens de recevoir une carte de Gustave il me dit que ça bombarde beaucoup dans son secteur. Paul m’a aussi écrit il avait bien peur d’aller du côté de Verdun. Il paraît que notre colonel a demandé à aller avec son régiment, à la bataille de Verdun. Il doit faire besoin ici car on l’y maintient. L’artillerie allemande est presque muette depuis quelques jours. Ont-ils enlevé leur canons ? Ou préparent-ils quelque chose ?
Nous nous intéressons beaucoup aux attaques allemandes du côté de la rive gauche de la Meuse. Car ayant occupé ce secteur plus de 4 mois nous le connaissons à fond. J’ai aidé à faire tous les travaux de défense qui en ce moment-ci arrêtent l’ennemi. Nous avons bon espoir dans cette bataille qui se livre.
Nous espérons que le printemps qui arrive amènera avec lui les beaux jours de victoire et de paix que nous souhaitons tous.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph
Mercredi 12 mars[note] 1916 (Tranchée)
Bien chers Parents,
Depuis cinq jours, je suis aux tranchées, en 2è ligne, et demain au soir je monte pour 6 jours en 1ère ligne. Dans ce secteur-ci ça barde un peu plus. Avant-hier matin les Boches nous ont servi un bombardement d’importance. Ils ont commencé à lancer des torpilles à 4 heures du matin sur un front de 200 mètres de première ligne. Ils ont continué avec les 105, les 150 etc. si bien qu’à 10 heures le bombardement venait inquiétant et au lieu de se calmer ils paraissaient activer la canonnade. Vers midi se fut le plus fort les 150 et les 210 arrivaient par 3 et par 6. Ca tombait tout au même endroit, la tranchée ne se voyait plus tant la fumée était épaisse. A voir un bombardement pareil on s’attendait à une attaque aussi d’instinct sans qu’on nous le dise nous avons approvisionné et chargé nos fusils et mis en tenue prêts à partir au secours de la 1ère ligne. Puis tout d’un coup ça s’est arrêté, on n’entendait plus rien. Et ça été le tour à notre artillerie à bombarder les tranchées boches, ça a duré toute la soirée, et il n’y a pas eu d’attaque on en a été quittes pour la peur. Nous avons eu 2 tués et quelques blessés. La journée d’hier a été calme. Ce matin au lever du jour et encore au moment où j’écris nous envoyons des torpilles sur les tranchées ennemies.
Hier j’ai vu Calmes du Cluzel il m’a dit qu’il allait venir en permission dans quelques jours. Il tachera de venir vous donner de mes nouvelles s’il monte à Compeyre.
Le deuxième tour de permissions va bientôt commencer, je ne sais pas encore comment ça marchera ça serait à souhaiter que ça marche mieux que le premier.
Il y a 3 ou 4 jours j’ai reçu une carte de Pierre et il s’étonne que je n’ai pas reçu plus souvent de ses nouvelles, car il m’a écrit assez souvent. Il est toujours en bonne santé c’est l’essentiel.
On trouve que les lettres n’arrivent pas trop régulièrement, je n’en ai pas reçu depuis quelques jours, les miennes vous arrivent-elles sans retard ?
En attendant de vos nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph
Dimanche 16 Avril 1916
Départ Jeudi 20 Avril
Bien chers Parents
Nous ne sommes restés que huit jours aux tranchées nous avons été relevés hier soir.
L’autre jour j’ai reçu le colis que vous avez donné à Jean. Je ne savais pas d’où il venait (pas Jean, le colis) il n’y avait pas de timbres, et personne ne savait qui l’avait donné. C’est le cuisinier de la compagnie qui me l’a remis en me disant : on ma dit de te donner ça, il n’en savait pas plus long. C’est le lendemain que j’ai reçu votre carte qui me disait que vous l’aviez donné à Jean. Je crois que son bataillon est aux tranchées, aussi nous ne pourrons pas nous de quelques jours.
Je viens de recevoir une carte de Pierre il me donne de bonnes nouvelles il me dit aussi qu’il fait mauvais temps, ce doit être général car ici, nous avons aussi de mauvaises giboulées qui ne sont pas bien agréables. Hier à 10 heures il faisait une averse de neige et de grêle et à midi il faisait un soleil magnifique !
(Jeudi)
Nous venons d’être vaccinés pour la 3è fois. J’ai bien supporté les effets de la piqure mais c’est bien embétant d’avoir un bras sans pouvoir s’en servir de deux jours.
Lundi dernier nous sommes allés faire des tranchées dans un grand jardin, la tranchée que nous creusions passait juste au milieu d’un carré de scorsonère[note] et nous en avons porté pour faire cuire. C’est un camarade de l’escouade qui les a préparées. Elles été excellente. Il y avait bien longtemps qu’on n’en avait pas mangé.
Demain nous remontons aux tranchées, comme nous relevons le bataillon de Jean Collière je pourrai peut-être le rencontrer. Cette fois-ci nous resterons un mois aux tranchées soit en 1ère ligne en 2ème ou en réserve.
Ce matin j’ai fait un colis que j’ai fait partir. J’y ai mis un tricot et une ceinture bleue, avec un numéro du bulletin des armées journal officiel du front. J’ai payé 12 sous pour le port il arrivera par la gare.
On vient de nous donner plus d’un kilos de vivres de réserve, soit en biscuits, conserve, chocolat etc et tout ça augmente le poids du sac aussi il faut enlever tout ce qui n’est pas utile.
Avant-hier j’ai reçu une carte de Ch.Caylus. En attendant de vos nouvelles je vous embrasse de tout mon coeur.
Joseph
18 Août 1916
Bien chers Parents
Hier j’ai reçu toutes vos lettres et celles de Pierre, qui étaient à mon escouade, depuis mon départ. Il y avait aussi une carte de Paul R. et de Gustave. C’est mon caporal qui me les a envoyé. Ma compagnie est toujours aux tranchées. Mon escouade a profité du colis, car ils ne pouvaient pas me l’envoyer.
J’ai reçu aussi du sergent Major de ma Cie une lettre où il y avait pour moi une citation à l’ordre du régiment[note]. Je vous en envoie la copie. C'a ma été une agréable surprise à laqu'elle je ne m’attendais pas du tout. Il me dit qu’il va m’envoyer la Croix de Guerre. Mais il ne sait pas encore le jour. Le jour du 15, j’ai pu faire la Ste Con nous étions plus de 60 pour 150 blessés.
Hier et aujourd’hui il pleut aussi il ne fait pas si chaud.
A bientôt.
Joseph
Sénas 9 Novembre 1916.
Chers Parents
Me voilà de nouveau à Sénas d’où je vais partir pour Avignon.
J’ai été rappelé ce matin par télégramme.
J’étais à l’instruction des bombardiers, et j’étais en train de lancer des grenades avec le canon spécial «Brant» un cycliste est venu portant le papier et il a fallu partir immédiatement.
Je suis arrivé à Sénas à 11 heures et je repars à 3 heures pour arriver à Avignon vers 6 ou 7 heure du soir. Ce n’est pas à dire que je parte pour le front je peux être en surnombre, mais c’est un hasard sur lequel il ne faut pas compter beaucoup. Sitôt arrivé à Avignon je me mettrais au courant de la situation. Si je monte au front se sera toujours avec le courage et même volonté de faire mon devoir. Je sais assez comment cela se passe, et je ne m’en fais pas.
Hier j’ai reçu votre lettre m’annonçant la décoration de Pierre[note]. C’est avec grand plaisir que j’ai appris cette nouvelle. Je lui ai réponduécrit immédiatement pour le féliciter.
Pagès «cousin de Lauret» m’a dit qu’il viendrait vous voir dès qu’il aurait sa permission car il doit monter à Aguessac pour d’autres affaires. Dès que je serai arrivé à Avignon j’y voir s’il y a Lavabrou, peut-être il n’est pas revenu du front.
Comme je vais de nouveau changer de Cie ou tourner d’un côté et d’autre, il faut que vous attendiez que je vous donne une adresse exacte avant de m’écrire. Vous pouvez le dire aussi à Pierre car je n’aurai pas peut-être le temps de lui écrire.
Tous les jours je tâcherai de vous tenir au courant de la situation. Je suis pressé.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph