29 mai 1915, Samedi
Bien chers Parents,
J’ai reçu votre lettre jeudi, et puis vendredi le Messager, et le Pèlerin, qu’Eugène a bien voulu m’envoyer. Je l’en remercit de tout cœur. Il me fera passer de bons moments, surtout dans les tranchées, s’il continue à me l’envoyer. Depuis quelques jours nous sommes dans la Marne le pays m’a l’air plus beau et plus riche que dans la Meuse. Il parait qu’on irait aux tranchées dans les environs de Beauséjour, nous sommes à 10 k. sud de Ste Ménéhoulde et à 42 km de Vitry-le-François. Nous recevons de bonnes nouvelles du front. Il est très probable qu’après ce repos, nous ferons quelque attaque, il ne faut pas que se soit toujours les même qui marchent à la baïonnette.
C’est dangereux une charge, mais lorsque l’artillerie a bien arrosé les tranchées boches, que l’on a confiance en soi, et que l’on y va carrément, l’ennemi ne peut résister. Je vous assure que le jour où il faudra sortir de la tranchée, je ne serais pas le dernier, et si par bonheur j’arrive à la tranchée ennemie malheur aux boches, la baïonnette fonctionnera, et puis je suis grenadier et je partirai avec une bonne provision de grenades. Ce ne sont pas des pommes cuites; je sais aussi lancer les pétards à cheddite, placer ceux à mélinite et lancer les bombes avec le crapouillaud. J’aimerai bien aller dans une tranchée où les Boches aient besoin de tout ça. Nous allons, dans les tranchées ressembler à des fantomes, et non à des soldats, on va nous donner 1° un casque en tole d’acier, pour préserver la tête des éclats d’obus, de grenades etc, 2° d'une paire de lunettes d’auto. pour préserver les yeux des gazs asphixians 3° de tampons pour la bouche et le nez oreilles toujours pour les gazs.
4° d'une enveloppe en toile, où il n’y a qu’un trou pour les yeux, pour les encore, 5° un approvisionnement de vaseline ou de graisse pour enduire les mains et le visage en cas que les Boches envoient du vitriol. Pour le pétrole enflammé nous n’avons rien. Tous les jours nous recevons des instructions pour ces genres d’attaque. Voilà ce que nous oblige à faire cette sale race de boches, qui ne respectent rien, et qui emploient toutes sortes de saleté pour faire souffrir les hommes. Aussi point de pitié, pour ces sauvages là.
Presque tous les soirs je vois Jean Collièr, avec Carrière de Carbassas, ainsi que d’autres camarades de Millau ou de St Georges. J’ai vu aussi Caylus de Serres. Je viens de recevoir une carte de Jules Gavenc : il est en bonne santé, et languit que l’on se revoit à Aguessac. Je vais écrire à Paul Rendu, peut-être, en soyant dans la même région, auront nous le plaisir de nous voir, ainsi qu’avec les soldats d’Aguessac qui sont au 16è C.
Le bruit court que nous partons ce soir je crois que ce sera comme toujours on va attendre à demain soir, dimanche, pour marcher.
Je n’ai pas reçu de nouvelles de Pierre, je lui ai écrit dernièrement.
Pendant les dernières marches j’ai un peu souffert des pieds, mais ce n’est rien du tout vous pourriez m’envoyer des chaussettes de coton; ainsi que 2 petits tire-points, petites limes pour faire des bagues en aluminium provenant de la fusée des obus allemands. Vous en avez peut-être vu. Tous mes camarades en ont fait. J’aimerais bien en faire quelques-unes pour vous les envoyer, et puis ça fait passer le temps, et on a un souvenir. Avec le couteau j’ai commencé à faire un rond de serviette, en aluminium, toujours avec les fusées d’obus. Au cantonnement les fusées sont rares mais dans les tranchées on a en à volonté. Dernièrement j’en avais une d’un obus de 120 toute en cuivre et pas du tout endommagé. Elle pesait près de 3 livres je n’ai pu la conserver.
En attendant de vous donner d’autres nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph R.
Au moment de faire partir ma lettre je reçois la vôtre du 25 mai.
Je connais Rivière de Millau depuis le mois de mars. Je le vois assez souvent il n’y a que Castan, le rat de cave que je n’ai pas vu. Hier j’ai vu aussi Candon de Millau rat de cave aussi. Nous sommes toujours bien nourris nous avons tous les jours, 2 repas soupe, rata, au haricots, bœuf, mouton. Souvent avec le boni le Capitaine nous achète des ………, des haricots verts, des tomates, des sardines, du vermicelle, des nouilles, confitures et d’autres bonnes choses. Presque tous les jours nous avons 2/4 de vin quelquefois 3. Thé 2 fois par jour. Il n’y a pas à se plaindre. Ceux qui se plaignent, se sont ceux qui chez eux la «sautent».
Le Capitaine vient de nous dire que demain dimanche nous partirons aux tranchées. Il n’a pas dit l’endroit. Il nous a averti que nous aurions à faire à des pionniers boches, ceux qui font les mines et qui les font sauter. J’aurais l’occasion d’apprendre à faire le saut périlleux. Il paraît que lorsqu’il en éclate une on saute à 3 ou 4 m de haut et lorsqu’on retombe on peut se casser quelque chose.
On va leur faire ce qu’ils nous ont fait et nous font encore. On va incendier leur tranchée avec du pétrole enflammé. Gare, ça va sentir le cochon brûlé. C’est plein de courage que je retourne à ma place de combat heureux de me battre pour le salut et bonheur de notre chère France. Au revoir chers Parents, et à bientôt la victoire finale.
Votre fils Joseph.
Nous ferons probablement plusieurs étapes d’ici aux tranchées.