Famille Rascalou-Montéty

1915 : janvier

1915 : mars

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS, Marre (Meuse)

56 Mars 1915 Vendredi

Bien chers Parents,

Je viens de recevoir le colis contenant une chemise, un caleçon, un pan de saucisse. Je n’ai reçu qu’après la lettre m’en annonçant l’envoi.
Je profite de la feuille blanche qu’elle contient pour vous répondre.
Je n’ai pas vu Jean Collière ni Gineste depuis quelques jours. Comme on ne marche que la nuit et sans bruit il est difficile de se rencontrer.
Quoique étant en petit poste avancé j’ai été très bien pendant les 5 jours de tranchées. MM les Boches sont devenus très sages depuis quelques jours, ils ne tirent presque plus. On se promenait devant leurs tranchées en plein jour ils ne disaient rien, eux qui quelques jours auparavant tiraient continuellement.
C’est à leur tir qu’on connaît leurs relèves. Certains régiments tirent beaucoup d’autres presque pas.
Pendant 4 jours je n’ai pas entendu siffler une balle allemande, mais le cinquième, un cuisinier étant venu en plein jour porter la soupe a été salué par 5 coups de fusil boche, je vous assure qu’il n’a pas craint de faire 150 m en rampant pour éviter d’être vu.
Le 2ème jour il est passé un vol d’oies sauvages. Il y en avait une cinquantaine volant à 200 mètres de haut lorsqu’elles sont passées sur la tranchée nous y avons tiré dessus. Les Boches leur ont fait plusieurs feux de salve et aucune n’est tombé. Les giboulées de mars ont commencé, il passe beaucoup d’oiseaux de passage de toutes sortes. Les jours de repos je vais toujours apprendre à lancer des bombes.
Les Boches nous en lançaient avec un petit canon. Nous leur en avons pris quelqu’un et on en a fait comme eux. Ces lance bombes sont fait avec un obus boches n’ayant pas éclaté, fixé sur un socle de bois.
On met un peu de poudre au fond puis la bombe qui ressemble à un obus et on met le feu à la mèche. La bombe part en l’air comme un saucisson et va tomber à 150 m en faisant un bruit infernal.
Les jours de repos sont aussi fatiguant que les jours de tranchées. Toujours en corvée, exercice, ou garde à prendre. Pendant 2 jours j’ai été à l’exercice de lance-bombes, aujourd’hui 3ème jour je suis de garde. Je suis à un coin du village de Marre dans une vieille maison toutes les 3 heures je suis de faction pendant 1 heure. J’ai pour consigne : observer les signaux qui pourraient venir des forts de Verdun et les transmettre au poste de police. Nous sommes 4 et 1 cap., nous invitons les cuisiniers ce soir et nous faisons une petite fête en famille.
Demain dimanche nous mangeons les vivres de réserves c'est-à-dire que pour un dimanche on ne fait pas fête.
Hier soir on a fait un exercice de nuit : évacuation du village en cas de bombardement.
Je suis toujours en bonne santé et plein de courage. Je ne passe pas trop de mauvais temps et ne me fais pas de mauvais sang. Nous sommes très bien nourris et je vais être obligé de changer de pantalon j’ai si bien engraissé que ce que j’ai me sont devenus trop petits. Nous avons du bœuf, du mouton, du cochon et de la morue, ½ litre de vin, confiture, oranges etc…
Je suis en relations avec Ch.Caylus je crois que son cousin est revenu au front.
Je n’ai pas le temps de finir.
A demain.

Votre fils Joseph Rascalou.

Lettre de JOSEPH à son père LOUIS

13 mars 1915

Bien cher Papa,

C’est avec un grand plaisir que j’ai reçu votre aimable lettre, me donnant idée générale de la situation militaire en Europe. Plus que jamais j’ai bon espoir, et confiance en nos armées pour le succès de cette campagne.
Nous n’avançons pas, il est vrai, mais c’est que l’on ne veut pas, nous attendons le jour favorable où sur tout le front nous donnerons le coup décisif. Chaque jour d’attente est pour nous une victoire.
Je ne sais pas si les Boches n’ont plus de munitions nous remarquons qu’ils ne tirent presque plus c’est à peine s’ils répondent à nos 75. Les dernières marmites qu’ils ont envoyé étaient des 290mm destinées à nos batteries lourdes toutes ont manqué leur but et faisaient des trous de 5m de profondeur et 8m de circonférence. Ce qui permettaient à nos artilleurs a faire de bons abris sans trop de travail. Quelques taubes viennent de temps en temps, se faire voir, ce qui donne l’occasion à nos aviateurs de faire quels vols sensationnels. Par les travaux dangereux que font les Boches, nous avons cru comprendre qu’ils devaient avoir à fournir un travail, une corvée, une patrouille etc… pour avoir droit à la soupe. Ou bien qu’ils ne marchent que sous la menace du révolver des supérieurs.
Beaucoup viennent se rendre surtout des Polonais. Ils disent qu’ils viendraient plus nombreux seulement ils trouvent que nous tiront trop, et ont peur de recevoir une balle. Ont ne peut pas toujours se fier à eux.

Depuis la Noël nous occupons toujours les mêmes tranchées, sans avancer. Au 1er de l’an nous avons gagné 200m sur eux. On était à 400m et on a construit une nouvelle tranchée à 200m seulement ils n’ont pas reculé. Pour aller à ces tranchées nous passons par 2 villages bombardés quelques maisons seulement restes debouts.
C’est dans ces villages que se fait la cuisine, le ravitaillement en munitions, et en matériel de défense. Toutes les nuits des hommes y viennent et apporte tout ça aux tranchées. Entre ces 2 villages se trouve un moulin également détruit, où les nuits de relève 2 ou 3 régiments y passent et les allemends le savent. Imaginai-vous les obus de tout calibre qui y tombent. Un sergent de ma compagnie a inventé sur ce moulin une petite chanson dont je vous envoie la copie.
Je pourrais vous donner d’autres détails seulement la censure est là. Plusieurs de mes camarades ont été sévèrement punis pour avoir écrit trop de chose.
Le ravitaillement fonctionne très bien, noux avons suffisamment de pain, du blanc pas comme les Boches, 2 quarts de vin, eau de vie, bœuf, cochon, mouton, morue, confiture, chocolat, fromage etc, seulement comme partout, du fournisseur au consommateur ça passe par trop de main, et beaucoup de choses se fondent en route. Se sont ceux qui sont loin du front qui sont le mieux et le pauvre pitou reçoit se qui s’échappe. Ont est content quand même tous les soirs au cantonnement il y a concert et la gaieté règne partout.
Dans les tranchées nous n’avons plus peur des Boches, se sont eux qui ont peur de nous. Gare lorsqu’il faudra se faire voir.

Pendant la nuit un train blindé que j’ai vu plusieurs fois, va bombarder certaines positions ennemies. Les projecteurs surveillent la venue des taubes ou des dirigeables, les marins ont leur grand phare monté sur automobile le faiseaux lumineux atteint une très grande longueur et éclaire très bien. En attendant de vous donner d’autres nouvelles Je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre fils Joseph

Lettre de JOSEPH à son frère JEAN, dans les tranchées

13 mars 1915

Mon cher Jean

Avant d’être relevé des tranchées, et profitant d’un moment où les Boches nous laissent tranquilles, je vais t’envoyer de mes nouvelles.
Je dois te dire tout d’abord que je suis toujours en bonne santé, et que je ne me fais pas trop de mauvais sang. La vie de tranchée est assez dure et pas trop agréable. Je suis toujours en première ligne, par conséquent assez près des Boches. Ce qui m’empêche que je n’en ai presque pas encore vu. La nuit ils sortent de leurs tranchées pour travailler ou se ravitailler et on les entend très bien. On les entend même parler et on ne comprend rien à leur langage.
Il y a à peu près un mois le 40è leur a pris une tranchée. C’est à côté de cette tranchée où je suis en ce moment. Comme elles communiquent par un boyau je suis allé, par curiosité, la voir. Naturellement elle n’était pas en bon état, les obus l’avaient toutes démolies et puis nos sapeurs l’avaient disposée pour que nous puissions la garder. Tu sais qu’ils les ont bien défendues et qu’ils ne craignent pas de mettre plusieurs réseaux de fil de fer barbelé pour qu’on ne puisse pas s’en approcher. Leurs abris sont très bas et recouvert de 3 ou 4 épaisseurs de rondins et par-dessus tout une bonne couche de terre ce qui fait que même que le 75 éclate dans leurs tranchées tous ne sont pas atteints.

Tu me demandais de te dire quelques mots au sujet des grenades et de leur emploi. Je vais t’en parler un peu. La grenade est une grosse boule en fonte, creuse et remplie de poudre, elle pèse 1 kilogr 200. Elle est percée et par le trou je trouve une sorte d’allumoir qui enflamme la poudre, par frottement. Pour faire partir la grenade on se sert d’un bracelet qu’on passe au poignet. Au bracelet est attaché par une ficelle un crochet. Au moment de l’emploi de la grenade on accroche un petit anneau qui sort du trou on prend la grenade à pleine main et on la lance. Au crochet du bracelet reste attaché une petite tige qui en se détachant de la grenade a mis par frottement, le feu à la poudre, et 5 secondes après l’avoir lancée elle explose. Ce système n’est guère pratique car il faut s’approcher de trop près pour la lancer efficacement.
Nous avons aussi la bombe que l’on lance avec un lance bombe sorte de petit canon. Le canon est porté sur un socle incliné à 45 degrés, au fond on met un peu de poudre, une mèche puis la bombe. On met le feu à la mèche et la force de la poudre envoie la bombe à 150 mètres où elle explose. Dans la bombe se trouve un tas de vieilles ferraille qui est projeté au moment de l’explosion.
Je n’ai fait partir que des bombes, pour essayer.
A l’endroit où sont nos tranchées se trouve un moulin qui devenu très bombardé par les Boches parce que nous sommes obligés d’y passer lorsqu’il y a relève. Presque toutes les nuits quelques obus y tombent dessus. Un sergent de ma compagnie a fait une petite chanson à ce sujet je vais l’envoyer à la maison. Je viens de recevoir une lettre de Papa, qui m’a fait beaucoup plaisir et a ranimé mon courage. Depuis quelque temps les Boches sont très sages, ils ne tirent presque plus, ils doivent économiser leurs munitions, c’est à peine s’ils répondent à nos canons qui ne sont pas à court de munitions. Quand viendra-t-il ce jour où, au son du clairon sonnant la charge nous sortirons de nos tranchées, la baïonnette haute et menaçante, pour chasser de France nos barbares ennemis ? Ce jour ne peut tarder à venir, j’ose l’espérer, ce sera le jour de la victoire finale qui mettra fin à cette guerre, et nous permettra de vivre en paix.
Et Eugène que fait-il en classe ? Est-il sage comme il faudrait ? Pas trop sans doute.
Mes amitiés à M. le Directeur et à MM. les Professeurs, ainsi qu’aux anciens amis.

Ton frère, Joseph

Mets bien l’adresse ci-contre ---- adresse : Rascalou H. 58è R.Inf. 4è Cie B.C.M. secteur 130

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS, au repos

20 Mars 1915

Bien chers Parents,

Me voilà de nouveau de retour des tranchées. A mon arrivée au cantonnement j’ai reçu en même temps, votre carte et votre lettre, me donnant les bonnes nouvelles que j’aime tant à recevoir. Aujourd’hui 20 mars je reçois le colis, intact.
Le 19 jour de ma fête, Marguerite m’écrit une belle carte et m’envoie une médaille bénite de Fourvière, que je conserverai précieusement. J’ai reçu aussi une lettre de Mme Blin de Tours, elle me dit qu’on ne m’oublie pas à l’ambulance où encore se trouve un blessé du mois de septembre.
Je désirerais bien avoir l’adresse de Paul Rendu, pour savoir comment il trouve son nouveau métier; et pouvoir lui donner de mes nouvelles.
Ici le beau temps commence à venir, mais il gèle encore, et il neige souvent. Si vous avez vu le neveu de Mr Collière il doit vous avoir dit comment l’on se trouve dans les tranchées, car il y a été, lorsqu’il faisait le plus mauvais temps. Je n’ai pas vu Jean depuis quelques jours. Il y a 5 jours, en allant aux tranchées j’ai vu Gineste pendant 1 minute seulement. Il est téléphoniste, bon emploi, qui le met à l’abri du mauvais temps et des balles. Il est toujours en bonne santé et bien content. Je remercie Louise de la bonne idée qu’elle a eu de cueillir quelques viollettes pour me les envoyer à mon tour je lui enverrai quelques fleurs du bord de la Meuse, lorsque le soleil les aura fait sortir.
Si Pierre ne peut tuer « l'agaco blanco » qu’il ne se désole pas lorsqu’il sera au régiment c’est à moi qu’elle aura à faire. Tous les jours aux tranchées je m’exerce au tir sur les tranchées boches. Si je pouvais rapporter le fusil et quelques cartouches, je n’aurais pas besoin de l’approcher.
J’ ai reçu le 3è billet de 5fr. Je crois vous l’avoir dit dans une de mes dernières lettres. Si Jules Gavenc est au 14è, donnez moi son adresse. J’ai dernièrement rencontré se régiment, peut être nous nous sommes croisés sans le savoir. Sur le front on rencontre tous les régiments du 15è Corps.
C’est avec plaisir que j’ai reçu dans le colis les 3 journaux, me donnant des nouvelles de Millau. C’est ainsi que j’apprends que le porte drapeau Pineau, s’est brillamment distingué, si c’est le parent de Pineau d’Aguessac, je l’ai vu comme étant sergent de Tirailleurs. Pendant les derniers 8 jours de tranchée j’ai occupé la tranchée allemande prise par la 10 Cie du 40è Inf. Compagnie qui a été cité à l’ordre du jour pour sa belle conduite sous le feu violent de l’ennemi.
Se soir nous allons cantonner en arrière de la ligne de feu serais ce pour un repos ? Je crois que nous l’avons gagné.
Nous recevons de bonnes nouvelles du restant du front et si l’attaque générale n’est pas donnée, le jour ne doit pas en être loin. Les Boches s’en doutent toutes les nuits ils lancent des fusées éclairantes pour voir si on ne les attaque pas. Ils fortifient leurs tranchées par de nouveaux réseaux de fils de fer. Ils ont peur et ils ont raison, nous ne les pardonnerons pas. Le Général Joffre doit avoir bien préparé le grand coup, nous espérons qu’il réussira et que bientôt les Boches qui s’en tireront, passeront le Rhin; et qu’ils nous laisseront vivre en paix.
Presque toutes les fois en allant ou revenant des tranchées, nous rencontrons un aumonier militaire, à cheval, qui suit les troupes et va sur le champ de bataille, exposer sa vie, pour le salut des braves tombés sous le feu ennemi.
Je tacherai de le rencontrer, pour qu’il me fasse gagner Paques. Lorsque nous le rencontrons tous les soldats le saluent par un «Bonsoir M. l’Aumonier» et lui sur son cheval, en soutane sur laquelle se détache la croix rouge, répond «Bonsoir mes Amis, bon courage». Il n’en faut pas plus pour nous rendre contents, et heureux.
Demain ou après demain j’écrirai de nouveau, je comprends avec qu'elle joie vous recevez mes lettres, je regrette de ne pas pouvoir écrire plus souvent. Que voulez-vous, à la guerre comme à la guerre. En attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Votre fils Joseph.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS, Bois de Cumières, Régnéville

23 Mars 1915

Chers Parents,

Notre changement de cantonnement n’a pas été pour aller au repos. Au contraire, nous sommes revenus sur la ligne de feu, mais en 2è ligne, comme soutien d’artillerie.
Nous sommes logés dans une espèce de caverne, où se trouve un peu de paille, et un foyer pour faire chauffer la soupe et se chauffer. Nous ne faisons rien de tout le jour, la nuit je vais en patrouille faire une ronde, pour s’assurer si le service de sureté marche et s’il n’y a rien d’anormal à signaler. La 1ère nuit nous sommes paris à 11h et ½ et sommes rentrés à 3 heures du matin. C’est très intéressant de se promener ainsi au clair de lune. Je suis à 1800 m. de la voie ferrée de Verdun à Sedan. Au moment où je vous écris, les grosses pièces d’un train blindé envoyent de belles marmites aux Boches. De la crete où nous sommes on voit 5 villages presque tous atteints par les obus. On voit aussi la Meuse qui coule dans la plaine.
La gare du village à côté duquel je me trouve est occupée par un poste ainsi qu’une maisonnette de garde barrière. La voie est barricadée en plusieurs endroits.
Nous apprenons tous les jours de bonnes nouvelles, des Dardanelles, et de Russie.
Il parait aussi que la défense mobile de Verdun dont fait partie le 58è ne doit pas prendre part à l’attaque générale.
Dès que Pierre aura reçu son billet d’appel qu’il me le fasse savoir, car je languis de savoir s’il vient au 58è.
Ces jours-ci un Boche est venu se rendre prisonnier, sous prétexte qu’il avait bon appétit, et que l’on ne lui donnait rien à manger. Leur nourriture se compose de chocolat et d’autres friandises quant au pain ils n’en ont presque pas.
On lui a donné une boule de pain blanc et une boîte de conserve et à tout mangé de bon appétit. Dès qu’il voyait un artilleur il mettait ses bras sur la tête et se couchait par terre pour faire voir qu’il en avait peur.
L’ordinaire est bien différent dans les 2 tranchées nous nous n’avons jamais été si bien nourris qu’à présent.
Tandis que dans la tranchée boche on meurt de faim, et tous les jours les soldats voyent leur ration diminuée. Et au point de vue munitions il en est de même je crois qu’il les économisent. Dans la région où nous sommes ils avaient commencé à installer un leurs 420 pour bombarder Verdun, pendant qu’ils le montaient une marmite de nos 155 y est juste tombée dessus, et le canon a du aller en réparations. Tous les jours ont voit aussi quelques avions et quelques taubes. Tous sont salués par des coups de canon et aucun n’est atteint. Dans les champs que nous traversons se trouve encore toute la moisson, les gerbes sont en tas et toutes gâtées, quelques champs ne sont pas même moissonnés. Presque tous les paysans ont une batteuses chez eux, et l’hiver ils battent leur grain, lorsque le mauvais temps les empêche de sortir. Tous sont très bien outillés au point de vue de machines agricoles, la plupart allemandes.
Nos cuisiniers restés au village, vont à la pêche, et se soir je mangerai des poissons de la Meuse, si la pêche a été bonne.
Pour le moment je n’ai besoin de rien pour Paques vous pouvez m’envoyer un colis pour bien fêter cette belle fête.
Les fricandaux et le saucisson son excellent j’en déjeune de bon appétit tous les matins. Nous n’avons plus besoin de vêtements de laine, il commence à faire chaud. Je vous renverrai le tricot et une ceinture de laine, dès que j’aurai un casque prussien. Je ferai un colis du tout. J’ai peur que vous ne puissiez lire facilement les lettres le crayon écrit trop blanc, vous pourriez m’envoyer un crayon encre, si celui que j’ai ne va pas.
Le bonjour à tous les amis et voisins.
Votre fils Joseph

Lettre de JOSEPH à son frère JEAN

2630 Mars 1915

Mon cher Jean,

Je réponds à ton désir, de savoir ce que je fais en ce moment sur le front en face des Boches. A ce moment ci je suis dans un village tout bombardé dont l’ennemi n’est qu’à 400 mètres. Quelques maisons restent debout encore et dans cet dans une de celles là que je suis. Les habitants ont fui, laissant tout devant l’envahisseur. Les obus ont démoli et brulé tout cet désolant à voir. L’église et le clocher sont détruits. Les rues sont pleines de décombres et de barricades et tout les jours des obus tombent faisant d’autres fracages.
Lorsque les obus arrivent ont se réfugient dans les caves, pour n'être pas atteints. La nuit je prends la garde au bord d’un ruisseau ou se trouvent 2 passerelles que personne ne doit franchir. La guérite est faite avec une armoire «à glace » et lorsqu’il pleut je me mets avec mon camarade, dedans où se trouvent 2 chaises pour s’asseoir. Il y a de gros rats d’eau qui montent par les jambes et qui fourrent la frousse. Lorsque je ne suis pas de faction je me couche; mon lit est un pétrin rempli de paille, et de souris. Pendant le jour on travaille à faire des réseaux de fil de fer que l’on place le soir devant la tranchée.
Nous avons fait 12 jours de tranchées sans repos et nous sommes tous un peu fatigués. Nous venons d’apprendre la victoire russe, de bonnes nouvelles nous arrivent du front, ce qui nous encourage. La victoire n’est pas loin, espérons qu’elle soit décisive et que la paix arrive le plus tôt possible. Les Boches la languissent plus que nous ils meurent de faim, tandis que nous nous sommes bien nourris.
Pierre va bientot partir au régiment, j’aimerai bien qu’il vienne au 58è. Quel bonheur si nous pouvions servir côte à côte notre Patrie.
Je viens de recevoir de lui une lettre me disant qu’il attend la billette. Et Eugène que fait-il ? S’il m’écrivait une petite lettre ça me ferait bien plaisir, cet si vite d’écrire 2 mots, qui rendent heureux, et font oublier bien des choses.
Je t’écrirai bientot, en attendant je vous embrasse tous les deux de tout mon cœur.

Votre frère Joseph.

Au moment de faire partir la lettre, un Taube passe au-dessus du village. Le capitaine nous fait prendre les fusils, et comme il passe assez bas nous lui tirons dessus. J’ai tiré une cinquantaine de coups de fusil. Le 75 tirait aussi. L’appareil était blindé et n’a pas paru être atteint. Il y a 4 jours que j’ai fait la lettre je ne peut la faire partir qu’aujourd’hui.
A bientôt de bonnes nouvelles.

Joseph R.

1915 : avril

Lettre de JOSEPH à son frère PIERRE

5 avril 1915

Bien cher Pierre,

Tu me dis que tu pars le 12 pour Montpellier, aussi je me hâte de te répondre afin que ma lettre te rencontres à Aguessac. Dans quelques jours tu vas quitter le paisible petit pays qui t’a vu naître, tu vas quitter ta famille et tes amis, tout ce que tu as de plus cher. Tu vas te trouver au milieu de la grande ville, dans la caserne où tu trouveras toute sorte de camarades et où les réglements et la discipline t’effrayeront, peut-être aussi un peu.
Tu vas trouver des chefs qui te commanderont sévèrement, sache toujours obéir avec de la bonne volonté. Du courage et de la patience on arrive à bout de tout. Tu sauras ainsi t’attirer l’estime de tes supérieurs et de tous tes camarades. Sois bon envers tous, rend service à tout camarade qui en a besoin mais ne sois familier qu'avec ceux que tu crois avoir les mêmes sentiments que toi.
Au sujet des camarades je te recommande de les bien choisir. C’est du choix que tu feras que pourra dépendre ton bonheur à la caserne. Abstiens toi autant que possible de toute discussion politique ou religieuse : fais bien et laisse dire.
En ce temps-ci tu trouveras à la caserne quelque prêtre réserviste ne crains pas de faire sa connaissance avec lui et d’écouter ses sages conseils. Avec lui tu trouveras le moyen de faire ton devoir de chrétien tout en soyant soldat car ne l’oublie pas tu es aussi soldat de Jésus-Christ.
Reste malgré le danger qui t’environne toujours sage et pieux comme tu l’as été jusqu’ici et si tu es appelé à venir sur le champ de bataille, tu auras ce courage de brave, qui fait mépriser la mort et accomplir les plus belles actions.
Souviens toi de ces quelques conseils de ton frère qui t’écrit de la tranchée ici il n’y a pas de respect humain lorsqu’on n’a pas peur des Boches et de leur mitraille on n’a pas plus peur des railleries des mauvais camarades. Presque tous les jours je dis mon chapelet. Dimanche je vais gagner Pâques avec les camarades. Sais tu comme c’est beau une messe de soldat tout proche de l’ennemi le canon remplace les cloches.
Dès ton incorporation je t’écrirai de nouveau en attendant prends patience et tout va pour le mieux.
Au revoir, cher Pierre, bon courage. Ton frère qui t’embrasses bien affectueusement,

Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS, dans les tranchées

1617 Avril 1915 vendredisamedi

Bien chers parents,

C’est dans la tranchée que je vous écris cette lettre. Le temps est beau et deux «taubes» survolent nos lignes, salués par les 75. Les boches sont assez sages si on les laisse tranquilles. Lorsqu’ils nous gênent trop quelques obus de 75 bien placés, suffisent pour les calmer.
Les premiers jours de tranchée ont quelque peu, été mouvementé. Le 15 un taube survolait nos batteries : l’artillerie lourde allemande bombardait nos positions, et chaque fois que le coup partait l’aviateur lâchait une fusée, servant à régler le tir. Cela a duré environ 30 ou 40 minutes et l’on s’étonnait que le 75 ne tirat pas sur l’avion ennemi. C’est que les marmites tombaient un gros canon «en bois» fait d’une poutre montée sur 2 roues de charrette. Pour détruire cette redoutable pièce les boches ont lancé 45 ou 50 marmites. Figurez-vous si les artilleurs rigolaient de voir tomber ces marmites, et l’aviateur qui s’efforçait au risque de sa vie, de signaler les résultats du tir. Le célèbre Pegoud a descendu dans la région, un taube à coups de mitrailleuse.
L’autre nuit une patrouille, ennemie est signalée, longeant nos fils de fer. Comme elle ne répondait à nos sommations, ont fait feu et elle se retire. Le matin au jour, ont voit qu’elle a attaché 2 ou 3 journaux à un arbuste à 25 mètres en avant de notre tranchée. Quelques décidés voulaient aller les enlever mais le Colonel passant dans la tranchée ne l’a pas voulu. Le soir vers 5 heures on entend les boches qui nous appelent . Camarade ! Ami ! ont leur répond. Plusieurs étaient sortis de la tranchée et nous criaient : « Camarade ! la paix !». Ils parlaient aussi allemands. Le Capitaine leur dit en allemand : Rendez-vous, vous aurez du pain blanc, du vin etc, ils répondent en français : «Non Monsieur, non monsieur; c’est à vous à vous rendre», ils agitaient leurs casques et criaient en allemand. Personne ne tirait. La conversation durat plus d’une heure, et la nuit vint. Voulaient-ils se rendre, ou voulez-vous que nous nous rendions à eux ?
Jusqu’à 8 heures du soir tout fut calme personne ne tirait. Tout à coup on entend marcher en avant et on voit 3 hommes. Evidemment on croit qu’ils viennent se rendrent on leur crie : Qui vive ! et au lieu de répondre : Camarade ! ils se couchent; on crie une deuxième fois et ne répondent pas. Alors on leur tire dessus. Dans le cours de la nuit on les a entendus chanter dans le bois qu’ils occupe. Vers le matin au petit jour une nouvelle patrouille a tenté d’enlever un de nos petits postes. Elle a eu à faire à un courageux sergent qui ne leur a pas ménagé les coups de fusil, et la mis en fuite. Je viens d’apprendre que 20 boches se sont rendus à une tranchée voisine à la nôtre. Voulaient-ils nous tendre un piège ? se rendre réellement ? on n’en sait rien on n’a guère confiance a eux.
Se matin Jean Collière est venu me voir dans la tranchée, nous avons causé quelque temps. Il a passé 2 ou 3 jours à l’infirmerie. Il a vu le neveu de Mme Roques il n’y a pas bien longtemps. Quant aux poux personne n’en est exempt tout le monde même les officiers en a son contingent. On leur fait une guerre acharnée. Tous les 6 ou 8 jours on change de linge et on prend une douche tous les 15 jours.
A part cela, je suis toujours en bonne santé. On attent patiemment les événements qui mettront fin à cette guerre qui commence à se faire longue. En attendant de vous écrire à nouveau je vous embrasse de tout mon cœur.

Joseph Rascalou

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS, au cantonnement

21 Avril 1915 Mercredi

Bien chers Parents,

Voilà de nouveau 6 jours de tranchée de passés. Cette fois il a fait un temps magnifique; je crois que c’est pour la 1ère fois qu’il n’a pas plu. Mais aujourd’hui le temps c’est couvert et la pluie n’est pas loin. Le 6è jour les Boches ont eut l’idée de bombarder nos tranchées avec de grosses pièces des 240 je crois. Ils ont tiré 50 ou 60 obus, qui ont eu pour résultat de faire une brèche dans nos fils de fer; elle a été vite réparée et nous en avons été quittes pour la peur.
Puis le soir nous avons eu la relève en musique, et illuminations. Il faut bien se distraire un peu. Le 40è venait de prendre position, et nous venons de quitter le boyau d’accès, pour prendre le chemin du cantonnement. Après avoir passé le fameux moulin on gravissait lentement la colline où se trouvent les batteries de 75. Tout à coup on entend quelques coups de fusils assez rapprochés, les Boches répondent, et allé de l’un à l’autre de tranchée en tranchée la fusillade fait rage, les mitrailleuses crépitent, et et de part et d’autre c’est un lancement continue de fusées éclairantes. Pendant ce temps nous arrivons sur la crête. Les artilleurs ont reçu l’ordre d’arroser les tranchées boches, et les 75 se mettent de la partie. C’était un spectacle magnifique, tant pour la vue que pour l’oreille. Il faut avoir vu de pareilles choses pour s’en faire une idée. Etait ce une attaque allemande ? On n’en sait encore rien. Peut-être une fausse alerte. Ca arrive si souvent.
Jean Collière est venu me voir dans la tranchée et nous avons pu causer quelque temps. A présent toutes les tranchées communiquent entre elles par des boyaux.
Quelques-uns ont plus de 5 kilomètres de longueur et 1m 50 de prof. sur 80 de large. Que de coups de pioches !
J’ai reçu une lettrecarte de Pierre, de Montpellier, et je lui ai répondu immédiatement. Mr Théron m’a répondu à une carte que je lui avez envoyée. Il est toujours en bonne santé, il vient de passer caporal.
On va nous donner un appareil destiné à couper le fil de fer boche à coup de fusil. L’appareil s’adapte à la baïonnette. Il accroche le fil de fer et le met à 2 ou 3 centimètres du canon, on tire, le fil casse, et le boche reçoit une balle. Ca fait double effet. Lorsque tous les fils sont coupés on arrive à la tranchée où les boches sont morts ou ont fui. On n’a plus qu’à l’occuper et la tranchée est prise. Voilà en théorie : en pratique c’est autre chose.
En général ici, on ne se fait pas trop de mauvais sang, quoiqu’on languisse que la guerre finisse. D’après les prisonniers que l’on fait il paraît que l’on monte le coup aux soldats allemands, ils nous croient à toute extrémité, au point de vue, de vivres munitions et moral. C’est pour ça que l’autre jour ils nous invitaient à nous rendre. Ils étaient bien tombés. Les 2 derniers que l’on fait étaient 2 jeunes soldats de 17 et 18 ans on les avait placé en sentinelle avancée, et au lieu de rentrer chez eux ils ont tourné la crosse en l’air et en criant : «Camarade, Ami, sont venus se rendre. Pour eux 2 ils avaient un morceau de pain noir, gros comme un œuf.
Je félicite et remercie Louise de tout ce qu’elle fait pour les soldats blessés. Chacun sert sa Patrie comme il peut. Pour récompense nous aurons la victoire finale qui rendra la France heureuse.
Mon plus affectueux bonjour aux Amis et voisins.

Votre fils qui vous embrasse de tout son cœur.

Joseph Rascalou

Lettre de JOSEPH à sa soeur LOUISE

27 au 28 Avril 1915

Bien chère Louise,

C’est hier soir à 9 heures que j’ai reçu ta lettre, je l’ai lue au clair de lune. Je suis en petit poste à 100 m des tranchées allemandes. Je ne suis pas dans une vraie tranchée. La ligne de tranchée se trouve coupée sur une longueur de 500 ou 600 mètres. Aux extrémités de chaque bout de ligne se trouvent les petits postes. Celui que j’occupe est le plus éloigné. J’ai fait à côté un petit croquis qui te fera comprendre. Mon poste se trouve sur une route, et à côté d’un ruisseau où les Boches viennent chercher l’eau. Avant-hier à 10h et ½ j’étais de faction tout à coup mon camarade, de faction avec moi, aperçoit 3 hommes, à 100 m, qui vont au ruisseau. Ont ne nous avait pas signalé la sortie de patrouilles françaises. Pas de doute c’était 3 Boches.
Avec la sonnette d’alarme nous avertissons le poste ; et le lieutenant vient voir ce qu’il y a. Nous lui disons ce que nous avons vu, et nous continuons à bien observer. Le caporal vient nous avertir qu’une patrouille va reconnaître ces hommes et nous donne l’ordre de ne pas tirer dans la direction du ruisseau. Quelques minutes se passent tout à coup nous entendons 3 ou 4 cris allemands suivis de coups de fusil, je vois très bien la flamme des coups de feu. Tous mes camarades sont prêts à faire feu. La sentinelle qui est avec moi prend peur et sous prétexte de se renseigner elle quitte son poste et me laisse seul. Environ 10 minutes après j’entends des gémissements de blessé est-ce un français ou un boche ? Je vois qu’on va son secours.
Après d’infinies précautions plusieurs patrouilles arrivent à l’endroit où l’on a tiré. Mon lieutenant et un de mes camarades qui étaient allés reconnaître, ont été tué tous les deux. Les Boches ont probablement entendu la sonnette, se sont méfiés, et ont tendu une embuscade. Le lieutenant et mon camarade n’entendaient rien et se sont trop approchés en se faisant voir et ont reçu les coups de fusil à bout portant.
J’ai ainsi perdu un de mes meilleurs amis et mon lieutenant qui commandait la section depuis 8 jours. Les postes d’écoute sont des petits postes placés en avant ou sur les côtés d’une tranchée. C’est ordinairement une petite tranchée où 4 hommes et un caporal prennent place toute la nuit pour écouter se que fait l’ennemi. Je t’assure que lorsqu’on est là on ouvre les oreilles, on ne fait pas le moindre bruit, on retient même sa respiration, et aucun bruit ne nous échappe. C’est là qu’on entrend bien travailler les Boches et qu’on les entend parler. Eux aussi ont leur poste en avant. Entre chaque poste, à la tranchée où nous allons le plus souvent, il y a 50 ou 60 mètres. Jamais je n’oublierais ces longues heures passées ainsi dans un trou, pendant les nuits obscures et pluvieuses. Un rat qui remue le fil de fer, le cri de la chouette, une boîte de singe qui remue au vent etc… tous ces faux bruits énervent et inquiètent, heureusement que l’on y est habitué. Lorsqu’on se croit attaqué on se replie, si l’on peut, alors les fusées éclairantes sont lancées, la fusillade crépite, et presque toujours ce ne sera rien du tout. Tout au plus une patrouille qui n’aura pas répondu à l’ : Halte-là ! Qui vive.!
Depuis quelques jours nous avons un temps magnifique. La campagne a complètement changé, les bois verdissent, les arbres fruitiers sont en fleurs. Tous les oiseaux émigrés sont revenus. A présent, le jour comme la nuit au lieu du cri du corbeaux ou du chant de la chouette, le rossignol, le coucou, le loriot, la caille tous nous égayent et remplissent la campagne de leur joyeux ramage, lui enlevant ainsi un peu de sa tristesse.
Lorsque tu m’enverras le colis, n’oublie pas d’y mettre quelques cartes ou du papier à lettre afin que je rattrape ma correspondance en retard. Ici on peut se procurer de l’huile et du vinaigre presque les jours on fait une salade de pissenlits. Hier j’ai tiré au lièvre et je l’ai manqué. A une autre fois.
J’oubliais de te dire de m’envoyer une petite trousse à coudre : fil blanc, noir, rouge, aiguilles, ciseaux impossible de trouver ça ici. Aujourd’hui je viens de faire la lessive. Dans le petit ruisseau je suis allé laver, chemise, caleçon, tricot, chaussettes etc. à présent tout est sec, je vais le mettre dans le sac. A la guerre il faut s’habituer à tout et surtout savoir se débrouiller. La nuit je ne dors pas je ne m’assieds même pas pour ne pas m’endormir. Mais le jour je fais une bonne sieste. (Un taube passe salué par le 75).
Donne le bonjour de ma part à tous les amis.
Reçois de ton frère son plus affectueux souvenir.

Joseph R.

Au moment de faire partir la lettre je reçois celle de Papa.

1915 : mai

Lettre de JOSEPH à son frère PIERRE

Vive la France

10 Mai 1915 Lundi

Bien cher Pierre,

Mon régiment est au repos depuis quelques jours. C'est à dire que nous ne sommes plus à côté des Boches mais à 30 ou 35 kilomètres. Pour quitter les tranchées nous avons fait une marche de nuit de 30 kilomètres avec la pluie; tu parles qu'elle promenade. Nous ne savons pas où nous passerons notre repos nous changeons de cantonnement tous les 2 ou 3 jours.
Tout en soyant au repos nous allons à l’exercice, car ici on y va sur le champ de bataille, comme dans la cour du quartier.
Pour le moment nous occupons le territoire où s’est déroulée la bataille de la Marne (aile droite) depuis le début de septembre il y passe du monde, soldats ou civils pour trouver des souvenirs. Ce matin le Capitaine nous a envoyé chercher des étuis de cartouches. Nous en avons trouvé plus de mille français ou Boches, nous avons trouvé aussi des douilles de 77 renfermées dans des paniers en osier, que les Boches avaient eu soin d’enterrer. J’ai trouvé un livre de messe allemand. Quelques prières sont en latin et tout le reste en allemand. Quand aux casques ils ont été ramassés. On voit des tombes de 35, 40 soldats français et à côté autant de soldats allemands. La musique donne un concert tous les jours. On se croirait en paix, on n’entend même pas le canon.
Tu me demandes comment sont faites les tranchées et bien je vais t’en dire un mot. Lorsque je suis allé dans la tranchée pour la première fois au mois de décembre ce n’était qu’un simple trou de 100 m de long, 50 de profondeur et 40 de large. Figure toi comment l’on se trouvait là dedans 200 nous y étions. On ne pouvait n'y s’asseoir n'y se tenir debout. Toujours couché ou à genoux et dans la boue. A force de travailler nuit et jour et à jeun sous le feu ennemi nous en avons fait un fort imprenable. Où rien ne nous manque. Si au mois de Janvier les Boches avaient voulu nous prendre ils auraient eu vite fait. A présent ils peuvent venir ils seront bien reçus. Lorsque j’ai quitté les tranchées le 2 mai, elle avait 1m80 de profondeur et 50 centimètres de large (plus elles sont étroites, mieux ça va, on ne risque pas tant des obus) puis on les a allongées on n’est pas si serré. On a fait des cabanes dans la terre, ce sont des trous recouverts avec des plaques de zing et de 80 centim. d’épaisseur de terre, même qu’un 77 y tombe dessus il ne traverse pas. Il y a aussi les créneaux, trous par où passe le fusil et l’on peut tirer sans être atteints. Le devant est garni par un formidable réseau de fil de fer qu’il est impossible de traverser.
Pour aller aux tranchées on y va par les «boyaux», chemins creusés dans la terre et où l’on passe sans être vu ni atteints par les balles. Ils ont plusieurs kilom. et pleins d’embranchements pour les diverses tranchées. Si je voulais te dire en détail comment l’on vit dans les tranchées j’en ferai un livre, et je n’en ai pas le temps.
Je viens de recevoir une lettre de la maison tout le monde va bien. On doit m’envoyer une botte d’asperges. J’espère qu’elles arriveront à bon port et je m’en régalerai. Je n’ai pas vu Jean Collière depuis quelques jours. Nous avons toujours un temps magnifique.
On vient de nous donner une toile de tente en toile caouchouté avec capuchon que l’on met en guise de manteau, et l’on ne se mouille pas lorsqu’il pleut. Donne le bonjour à tous les amis d’Aguessac qui sont à Montpellier.
Je vais écrire en même temps à la maison. Allons au revoir cher Pierre sois bon soldat et tout ira bien.
Ton frère Joseph
58 R.Inf 4 Cie s.postal n° 130

Ci-joint, une feuille du livre de messe Boche. Remarque le commencement au Tantum Ergo. Conserve-la. Adieu

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

29 mai 1915, Samedi
Bien chers Parents,

J’ai reçu votre lettre jeudi, et puis vendredi le Messager, et le Pèlerin, qu’Eugène a bien voulu m’envoyer. Je l’en remercit de tout cœur. Il me fera passer de bons moments, surtout dans les tranchées, s’il continue à me l’envoyer. Depuis quelques jours nous sommes dans la Marne le pays m’a l’air plus beau et plus riche que dans la Meuse. Il parait qu’on irait aux tranchées dans les environs de Beauséjour, nous sommes à 10 k. sud de Ste Ménéhoulde et à 42 km de Vitry-le-François. Nous recevons de bonnes nouvelles du front. Il est très probable qu’après ce repos, nous ferons quelque attaque, il ne faut pas que se soit toujours les même qui marchent à la baïonnette.
C’est dangereux une charge, mais lorsque l’artillerie a bien arrosé les tranchées boches, que l’on a confiance en soi, et que l’on y va carrément, l’ennemi ne peut résister. Je vous assure que le jour où il faudra sortir de la tranchée, je ne serais pas le dernier, et si par bonheur j’arrive à la tranchée ennemie malheur aux boches, la baïonnette fonctionnera, et puis je suis grenadier et je partirai avec une bonne provision de grenades. Ce ne sont pas des pommes cuites; je sais aussi lancer les pétards à cheddite, placer ceux à mélinite et lancer les bombes avec le crapouillaud. J’aimerai bien aller dans une tranchée où les Boches aient besoin de tout ça. Nous allons, dans les tranchées ressembler à des fantomes, et non à des soldats, on va nous donner 1° un casque en tole d’acier, pour préserver la tête des éclats d’obus, de grenades etc, 2° d'une paire de lunettes d’auto. pour préserver les yeux des gazs asphixians 3° de tampons pour la bouche et le nez oreilles toujours pour les gazs.
4° d'une enveloppe en toile, où il n’y a qu’un trou pour les yeux, pour les encore, 5° un approvisionnement de vaseline ou de graisse pour enduire les mains et le visage en cas que les Boches envoient du vitriol. Pour le pétrole enflammé nous n’avons rien. Tous les jours nous recevons des instructions pour ces genres d’attaque. Voilà ce que nous oblige à faire cette sale race de boches, qui ne respectent rien, et qui emploient toutes sortes de saleté pour faire souffrir les hommes. Aussi point de pitié, pour ces sauvages là.
Presque tous les soirs je vois Jean Collièr, avec Carrière de Carbassas, ainsi que d’autres camarades de Millau ou de St Georges. J’ai vu aussi Caylus de Serres. Je viens de recevoir une carte de Jules Gavenc : il est en bonne santé, et languit que l’on se revoit à Aguessac. Je vais écrire à Paul Rendu, peut-être, en soyant dans la même région, auront nous le plaisir de nous voir, ainsi qu’avec les soldats d’Aguessac qui sont au 16è C.
Le bruit court que nous partons ce soir je crois que ce sera comme toujours on va attendre à demain soir, dimanche, pour marcher.
Je n’ai pas reçu de nouvelles de Pierre, je lui ai écrit dernièrement.
Pendant les dernières marches j’ai un peu souffert des pieds, mais ce n’est rien du tout vous pourriez m’envoyer des chaussettes de coton; ainsi que 2 petits tire-points, petites limes pour faire des bagues en aluminium provenant de la fusée des obus allemands. Vous en avez peut-être vu. Tous mes camarades en ont fait. J’aimerais bien en faire quelques-unes pour vous les envoyer, et puis ça fait passer le temps, et on a un souvenir. Avec le couteau j’ai commencé à faire un rond de serviette, en aluminium, toujours avec les fusées d’obus. Au cantonnement les fusées sont rares mais dans les tranchées on a en à volonté. Dernièrement j’en avais une d’un obus de 120 toute en cuivre et pas du tout endommagé. Elle pesait près de 3 livres je n’ai pu la conserver.
En attendant de vous donner d’autres nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.

Joseph R.

Au moment de faire partir ma lettre je reçois la vôtre du 25 mai.
Je connais Rivière de Millau depuis le mois de mars. Je le vois assez souvent il n’y a que Castan, le rat de cave que je n’ai pas vu. Hier j’ai vu aussi Candon de Millau rat de cave aussi. Nous sommes toujours bien nourris nous avons tous les jours, 2 repas soupe, rata, au haricots, bœuf, mouton. Souvent avec le boni le Capitaine nous achète des ………, des haricots verts, des tomates, des sardines, du vermicelle, des nouilles, confitures et d’autres bonnes choses. Presque tous les jours nous avons 2/4 de vin quelquefois 3. Thé 2 fois par jour. Il n’y a pas à se plaindre. Ceux qui se plaignent, se sont ceux qui chez eux la «sautent».
Le Capitaine vient de nous dire que demain dimanche nous partirons aux tranchées. Il n’a pas dit l’endroit. Il nous a averti que nous aurions à faire à des pionniers boches, ceux qui font les mines et qui les font sauter. J’aurais l’occasion d’apprendre à faire le saut périlleux. Il paraît que lorsqu’il en éclate une on saute à 3 ou 4 m de haut et lorsqu’on retombe on peut se casser quelque chose.
On va leur faire ce qu’ils nous ont fait et nous font encore. On va incendier leur tranchée avec du pétrole enflammé. Gare, ça va sentir le cochon brûlé. C’est plein de courage que je retourne à ma place de combat heureux de me battre pour le salut et bonheur de notre chère France. Au revoir chers Parents, et à bientôt la victoire finale.
Votre fils Joseph.
Nous ferons probablement plusieurs étapes d’ici aux tranchées.

1915 : juin

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

5 juin 1915 (Courtemont) Marne
Bien chers Parents,

C’est dimanche soir que nous partons pour les tranchées. Nous y resterons pendant 12 jours : 4 jours en 3è ligne, ligne de réserve, 4 jours en 2è ligne et 4 j. en 1ère ligne. Que l’on soit en première ou dernière ligne, c’est aussi dangereux à l’un comme à l’autre. Seul le service n’est pas le même, n'y le rôle de défense n'ont plus. En 1ère ligne on se bat beaucoup à coup de grenades ou de bombes tellement les tranchées sont rapprochées les unes des autres. Les Allemands ont fait dans cette région des vaines attaques pour s’emparer de nos positions ils ont été repoussés avec pertes, aussi le sol est recouvert de cadavres boches, et avec la chaleur qu’il fait ca ne sent pas bien bon. Hier les sapeurs du 7è Génie ont fait sauter une mine sous la tranchée ennemie, elle a très bien réussi. La violence de l’explosion a été si forte qu’on a vu les boches sauter à 15 m. de hauteur. Quelques casques sont retombés dans la tranchée française.
A côté du village ou nous sommes se trouve un parc d’aviation tous les jours à n’importe quelle heure nous voyons passer las avions. Lorsqu’ils vont atterir ils passent à peine a 80 m. au dessus de nous. L’autre jour il est parti une escadrille de 8 avions. Ont voit aussi quelques «taubes». Dès que les nôtres ou les leurs passent la ligne de feu ils sont reçus par une violente canonade. Pendant 2 fois j’ai vu un avion ennemi faire demi tour devant les obus qui lui éclataient devant le nez.
Il y a quelques jours que j’ai écrit à Paul Rendu, il ne m’a pas encore répondu peut être qu’il est dans les tranchées, il parait que les 58è et 85è ne sont pas bien loin l’un de l’autre, 5 ou 6 kilom. Peut-être que l’on se relèvera alors on pourrait se rencontrer. J’ai écrit aussi à Gustave et à Pierre et je n’ai pas encore de réponse. Peut-être que se soir ça arrivera.
Lorsque j’ai reçu le messager sous enveloppe, celle-ci était sur la partie écrite tâchée d’huile; sur toute sa surface. Je me demande d’où cela proviens. Je suppose que c’est l’administration des postes qui l’aura fait pour rendre l’enveloppe transparente et voir ce qu’elle contenait. Elle n’était pas décachetée.
Pierre Raynal comment va-t-il de sa blessure ? Ce ne doit pas être bien grave. A-t-on toujours des bonnes nouvelles des soldats d’Aguessac ? Il parait qu’une division du 16è Corsp a participé à l’attaque de Carency. Du côté de Beauséjour ça barde aussi. Le 24è Colonial, que nous remplacons vient de partir. Il y avait beaucoup d’ Aveyronnais, mais je n’en ai rencontré aucun de ma connaissance.
J’ai vu aussi le ravitaillement du 40è et j’ai demandé Verdier, où je croyais qu’il était, et personne ne le connaissait. Peut-être qu’il a changé d’emploi.
Avec les marches on souffre des pieds surtout comme ils ont été gelés pendant l’hiver. Les miens l’ont été légèrement et je transpire beaucoup.
Hier notre colonel a été victime d‘un accident de cheval. Le cheval l’a tombé et lui a mis un pied sur le visage et a eu un bras de cassé.
Aujourd’hui et demain nous allons faire les préparatifs au départ pour les tranchées et dimanche soir nous y partirons. Avec la carte d’état major je m’intéresse au chemin que nous parcourons et j’apprends tous les jours à la mieux connaître.
A bientôt d’autres nouvelles sur les tranchées. En attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Votre fils Joseph.

Carrière de Carbassas est Caporal, et fait partie de l’équipe des grenadiers. Le soir nous allons nous excercer à lancer des pétards de mélinite dans les tranchées. A bientôt pour de bon.

Si je n’ai besoin de rien au point de vue de la nourriture, c’est que la est suffisante et que les cuisiniers se débrouille à faire tout profiter. Et puis le Capitaine implore le boni à acheter des vivres pour sa compagnie. Tandis que d’autres n’en font pas du tout, ou le gardent pour eux. Dernièrement il nous a occupé à ramasser des cartouches perdues. Nous lui en avons trouvé pour 3 000 fr. Avec ça on peut acheter quelque chose. Jean me disait hier encore que ces cuisiniers étaient des fainéants, qu’à peine ils les faisaient manger.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

7 juin 1915 Lundi Moulin de Virginy
Bien chers Parents,

Me voilà de nouveau aux tranchées, cette fois je suis en 2è ligne. Ma compagnie est logée dans un moulin entouré des tranchées que l’on occupe la nuit, ou en cas d’attaque. Le moulin n’est pas du tout bombardé alors que le village qui est à droite est complètement détruit. Il paraît que le propriétaire était allemand et faisait de l’espionnage pour son pays. C’est pour ça que ca demeure a été épargnée. Ce qui m’empêche pas que les Français l’ont fusillé. Les tranchées du 142è sont à 500 m avant de nous. Toutes les nuits il se fait des patrouilles de liaison avec les régiments du 16 Corps. Je ne me souviens pas bien des soldats d’Aguessac qui sont au 142è, n'y à quelle compagnie ils appartiennent. Je ferai mon possible pour en voir quelque'un.
Je viens de recevoir de Marseille deux demandes de renseignements au sujet de 2 Caporaux de la 11è Cie du 58 portés disparus au combat de la Garde le 11 août. Depuis ils n’ont pas donné signe de vie. J’ai connu le premier à la 12 Cie. Les parents m’envois sa photo et me disent qu’il a été blessé et prisonnier c’est tout ce qu’ils savent. Ils désireraient savoir si quelqu’un a vu tomber leur fils. Pour ma part je ne puis leur donner de grands renseignents. Je vais trouver tous mes camarades du 3è bataillon et tacher de savoir quelque chose sur le sort de leur malheureux fils.
Le 2è est réserviste, c’est sa femme qui m’écrit et me dit qu’elle ne sait rien du sort de son mari porté disparu le 11 août (combat de La Garde). Peut-être par l’intermédiaire de Rouquette, ou de Toscan, prisonniers pourrait-on savoir quelque chose. Je vais m’en occuper de mon mieux et faire mon possible pour rendre service à ces malheureux qui depuis 10 mois ne savent rien de leur cher disparu.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS, au front moulin de Virginy (Marne), les 8 et 13 juin

8 Juin 1915

Bien chers Parents,

C’est toujours au moulin que j’ai reçu votre carte, nous devions être relevés hier soir, et voilà que les ordres ont changé. Il parait que nous allons reveler dans un secteur très mauvais du côté de Ville sur tourbe. Depuis 5 jours que nous sommes dans le secteur actuel nous avons entendu la bataille de 4 attaques allemandes, qui toutes ont été repoussées. C’est dire que cela barde plus que du côté de Verdun.
Hier soir vers 4 heures il y a fait un orage terrible. La pluie tombait à torrents, tous les chemins étaient transformés en ruisseaux la violence du vent était telle que plusieurs arbres furent déracinés. Et dans les tranchées ? Il y avait de l’eau jusqu’au genoux. Par ce temps épouvantable, les Boches ont eu l’infame culot d’attaquer plusieurs de nos tranchées. Inutile de vous dire qu’ils n’ont pas été bien loin, car malgré la pluie on veille. Alors au bruit de l’orage s’ajoute le bruit de la fusillade, et le vacarme des 75. Les 120 et 155 se sont mis de la partie vous auriez entendu de la belle musique c’était en devenir fou. La nuit ils ont de nouveau attaqué, même résultat. Nous leur avons envoyé dans leurs tranchées quelques marmites des 305, pièce de marine. Le soir je suis allé en patrouille, espérant rencontrer le 142è ou le 122è, juste ils venaient d’être relevés par le 110è territorial.
Je n’ai pas encore reçu les chaussettes car on ne nous donne pas les colis en soyant aux tranchées. J’ai trouvé un moyen pratique pour ne pas blesser des pieds n'y trop suer, c’est de ne pas porter de chaussettes, je fais mes marches ainsi et m’en trouve très bien je ne les met qu’au repos, nous avons pour souliers de repos des bottines très fines qui vont très bien pour ça.
J’ai écrit 2 fois à Paul Rendu, depuis 10 ou 12 jours il ne m’a pas encore répondu il écrit a son cousin ainsi qu’à Charles. Gustave n'ont plu ne m’a pas répondu. Il y a quelques jours que j’ai écrit à Mme Blin. Avant hier j’ai reçu le messager avec le pèlerin que j’ai lu avec plaisir. Ce matin, Mr l’Aumônier militaire c’est arrété avec nous pour causer quelques instants. Il se rendait aux tranchées de 1ère ligne. Nous le rencontrons partout ce brave homme rien ne l’arrête de la tranchée jusqu’aux ambulances de l’arrière, il est connu de tous, et tout le monde l’estime. Et si la bataille s’engage quelque part c’est la qu’il va au plus vite (au moment ou j’écris le voila qu'il revient, pour visiter un autre secteur).
Il fait toujours, ici, très chaud et il y a grande sècheresse, nous faisons un abri de bombardement, et à 3m de profondeur dans le sol nous ne trouvons pas l’eau c’est très sec. L’orage de hier soir a un peu rafraichi la température, mais ça va recommencer à chauffer. Je n’ai pu continuer ma lettre qu’aujourd’hui dimanche 13.
Hier soir nous avons été relevés nous sommes partis à minuit de notre poste. Nous étions 25 ou 30 détachés de la Cie que nous n’avons pu rejoindre. Le sergent qui nous conduisait c’est perdu et au lieu d’arriver à 2 h et demi nous sommes arrivés à 6 heures du matin. Ce soir départ à 7 heures le 1er bataillon va à un poste d’honneur. On est à 15 m des boches. Je vais tacher de me procurer un casque boche on nous permet de les envoyer.
Reçu des nouvelles de Gustave il s’est habitué aux tranchées. Il m’apprend que Mr Théron a été blessé. Je ne pourrais plus écrire de 4 ou 5 jours. J’ai toujours bon courage, le vaguemestre va partir.
Je vous embrasse de tout cœur.
J’ai vu des soldats du 122, 142, 2 génie 56 artillerie.
Votre fils Joseph.
Reçu colis en état aujourd’hui.

Lettre de JOSEPH à sa soeur LOUISE, tranchée de Ville sur Tourbe, le 16 juin

Tranchée de Ville sur Tourbe Mercredi
(je ne sais pas quel jour nous tenons et mes camarades dorment je ne puis me renseigner).

Bien chère Louise,

Tu ne te figurerais pas où j’ai reçu ton aimable lettre, et bien, c’est à 12 mètres exactement des boches. C’est de là que j’aurais voulu te répondre seulement ces brutes là ne me l’ont pas permis. Les deux petits-postes français et allemand sont séparés par un entonnoir, gros trou fait par l’explosion d’une mine. La tranchée a sauté sur une longueur de 12 m, diamètre de l’entonnoir et l’on s’est établi aux extrémités.
Hier j’ai pris le service au petit poste qui est de 24 heures. J’ai été factionx en face le créneau boche. Les boches se servaient d’un périscope pour observer nos mouvements. Nous nous en avons aussi, seulement on préfère regarder par un petit trou sans se faire voir. Un de mes camarades avait une petite jumelle et j’observai avec ça.
Tout à coup au un créneau boche apparaît une tête. Le boche donnait son coup d’œil. De peur d’être vu je me retire et au même moment un bleu qui n’avait jamais vu de boche voulut le voir, seulement il se fit voir et presque aussitôt 2 balles viennent frapper sur le parapet de la tranchée. Voyant ça mon camarade, celui qui me prêtait la jumelle, prend son fusil et veut répondre. Il n’a pas plus tot mis le nez au créneau qu’une balle le frappe en plein visage et le tue net. Voilà ce que font les boches lorsqu’on ne leur dit rien. J’aurais très bien pu lui fourrer une balle dans la tête, on est trop bon pour ses sauvages. Si par bonheur je puis arriver jusqu’à leur tranchée ils auront beau crier Kamarades ! Pas de pitié, Camarades avec les baïonnettes.
J’ai reçu le colis l’autre jour contenant le tire-point aussi je vais me mettre à l’œuvre pour la confection des bagues et tâcherai de te l’envoyer le plus tôt possible.
Je n’ai pu trouver l’occasion de me faire photographier, je voudrais être pris dans la tranchée, afin que tu es ma photo de vrai combattant.
Pierre ne m’écrit pas souvent, il doit être bien occupé, car les jeunes ne doivent pas rester inactifs en caserne.
La tranchée ou je t’écris est une tranchée allemande prise le 16 mai par les coloniaux. Je suis à 500 mètres nord-ouest de Ville sur Tourbe. Tous les jours les boches bombardent avec des obus gros calibres et des torpilles aérienes.
C’est le jour de la fête du Sacré Cœur, dimanche dernier que nous avons fait la relève.
Par suite de l’orage qui avait eu lieu deux ou trois jours auparavant les boyaux d’accès étaient pleins d’eau. Nous avons fait environ 300 m avec l’eau jusqu’au genoux, et l’eau n’était guère propre. Aussi tout le monde a les jambes pleines de poussière. Les tranchées et les environs sont si bouleversés par les mines ou les obus que je n’ai pu trouver qu’une petite fleur pour t’envoyer tu peux être sure que celle là vient de la tranchée.
J’ai vu Jean Collière dimanche soir, pendant cinq minutes, c’est lui a fait partir ma dernière lettre. Dans la tranchée j’ai Carrière de Carbassas et sommes restés un moment ensemble.
A l’instant je viens de recevoir ensemble le messager et le pèlerin. Dès que je serais arrivé au repos j’enverrai le tricot avec quelques cartouches boches et quelque autre chose, j’ai trouvé 2 casques mais ils sont complètement brisés et il manque la pointe. Ce n’est pas facile d’en trouver mais je ne désespère pas m’en procurer un, pour vous l’envoyer.
Je viens d’écrire dernièrement à Mme Blin et elle ne m’a pas répondu. J’attends toujours des nouvelles de Paul Rendu je lui ai écrit 2 fois.
Chaque jour je n’oublie pas ma prière, afin que la Sainte Vierge me protège. J’ai toujours le chapelet et le récite de temps en temps.
Je ne sais quand finira cette maudite guerre, j’ai toujours bon courage et bon espoir, a bientot le plaisir de nous savoir tous en bonne santé.
Donne le bonjour à Tonton et à Augustin ainsi qu’à Mr le Curé auquel je tâcherai d’écrire ces jours ci.
Ton frère qui t’embrasse de tout son cœur.
Joseph Rascalou

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS, au front Berzieux (Marne)

Berzieux, Dimanche 6 h du soir 20 juin
Bien chers Parents

Voilà que depuis 3 jours nous sommes revenus des tranchées et demain au soir nous y repartons. Pendant ces 4 jours, nous avons occupé un secteur très mauvais, le plus dangereux que l’on est occupé depuis le mois de novembre. Les tranchées qu’occupent mon bataillon se trouvent au nord de Ville sur Tourbe, à droite et à gauche de la route qui va à Cernay.
La tranchée que j’ai occupé a été construite par les Boches et les Coloniaux la leur ont prise, elle est mieux faite que les notres.
Au moment ou j’écris je suis au bord d’un petit ruisseau, à 50 m en arrièr de 2 batteries de 90 les artilleurs sont prêts à tirer ils attendent l’ordre. En même temps 3 avions français passent au-dessus de ma tête et vont vers l’ennemi, le premier est déjà salué par les boches. L’autre jour j’ai assisté de loin à un combat entre 2 aviateurs, ont entendait très bien les mitrailleuses. Le lendemain, un Taube était abattu par nos artilleurs. Dans la partie du front où je me trouve il y a en moyenne une pièce de canon tous les 15 mètres. Dans un pré j’en vois 8 alignés, ce ne sont pas les 75 ils sont plus en avant. Nous en avons de tous calibres. Les Boches n’ont qu’à bien se tenir. Je crois que nous en avons plus qu’eux se qui ne les a pas empêchés de nous envoyer pendant 4 jours une moyenne de 50 ou 60 marmites par jour sur nos tranchées. Heureusement qu’il n’y a eu personne ou blessé n'y de tué. Tout le mal qu’il nous ont fait a été en 1ère ligne avec les torpilles qu’ils nous envoyaient. Se sont de sortes de bombes cylindriques, qui pèsent 15 ou 16 kilos et qui éclatent avec une violence extrême. Mais nous en avons nous aussi, seulement elles sont coniques, et plus meurtrières lorsqu’ils nous en envoient une nous leur en envoyons cinq. Ce matin est passé un boche déserteur. Il parlait très bien le français. C’est un Alsacien il a été blessé sur le front russe et guéri on l’a envoyé sur le front français où sa seule préoccupation était de se rendre car il était mal vu de ses camarades. Il disait que les français étaient de très bons tireurs, et qu’ils tiraient si souvent et si bien qu’il leur était parfois impossible de se tenir au créneau. Quant au 75 c’est la terreur des boches ainsi que toute l’artillerie française qui est excellente. Il était dans la joie la plus complète d’avoir réussi son coup et d’avoir fini avec la guerre. Il disait aussi que les soldats allemands en avaient par-dessus la tête de la guerre, mais que, comme chez nous, il y avaientt de fortes têtes qui tiendraient jusqu’au bout. Ce matin il y a eu une attaque du côté du bois de la Gruerie. Je ne sais pas les résultats.
Dans les cantonnements, ou les tranchées nous sommes envahis par les rats, il y en a qui sont aussi gros que des lapins.
Je suis en très bonne santé et toujours bon courage et plein de bonne humeur pour continuer la campagne qui commence à se faire longue. En général tous les hommes languissent de voir venir la fin de cette guerre. Ils sont énervés par la lenteur de nos opérations et l’endurance de nos ennemis, qui sont très forts. Le caractère français n’est pas fait pour la guerre, c’est là notre point faible. Encouragés et dirigés par nos chefs, nous travaillons toujours, il faut faire mieux que le Boche. Ils ne peuvent tenir éternellement, il faudra qu’ils lâchent pied et plus ils auront tenu plus cher ils payront les frais, car chaque soldat de France tiendra à faire payer toutes les souffrances endurées depuis dix mois. Le général de division vient souvent en 1ère ligne, la dernière fois il m’a parlé personnellement à 15 m des Boches. Il se rend compte par lui même de l’état des troupes en 1ère ligne.
Du courage, de la patience, de l’endurance et nous arrivons à bout, nous en sommes sûrs. Quel beau jour, où vainqueur de nos terribles ennemis, nous reviendrons au pays, où vous nous attendaient.
En attendant de vous embrasser tous à Aguessac, je vous envoie, chers Parents mon plus affectueux bonjour.
Votre fils Joseph R.


Hier j’ai reçu une lettre de Paul Rendu il me dit qu’il a vu quelques camarades d’Aguessac.

1915 : juillet

1915 : août

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS, dans les tranchées

25 Aout 1915 Tranchées

Bien chers Parents,

Je suis toujours aux tranchées, pour 6 jours en première ligne. Le secteur n’est pas trop mauvais. Les tranchées sont très bien aménagées. Nous n’en avions jamais vu d’aussi bien organisées. Il y a des abris très confortables en cas de bombardement, et aussi pour le mauvais temps. Au poste d’écoute, l’on est en toute sécurité, tout en surveillent très bien. Le jour le guetteur peut rester à son poste malgré un bombardement très violent. Les boyaux sont si nombreux que l’on s’y perd facilement c’est pire qu’un labyrinthe. Les boches ont la leur à 200 mètres de la notre. Ils sont un peu en contre-bas.
Il vient de paraîtres des ordres nouveau aux sujet des permissions. Il parait qu’il partira 20 hommes par jour. Comme il y a 14 Cie tous les 14 jours 20 hommes de ma Cie partiront. On dit aussi que ceux qui sont sur le front depuis le début partiront les premiers. De cette manière mon tour arriverait assez tot. Mais je ne puis encore vous dire, même à peu près quel jour je viendrai. J’attendrai la permission pour porter tout ce que je voulais envoyer par colis. Au moins ca ne se perdra pas. Ce soir ou demain je tâcherai de voir P. Masson, en cas qu’il vienne bientôt en permission il vous donnerait de mes nouvelles.
Tous les soirs j’entends parler les Boches, pendant que j’été de faction hier à 9 heures, il y en a un, qui a siflé toute une chansonnette, il devait être de faction lui aussi. L’autre nuit ils chantaient, tous en chœur dans leurs tranchées de 2è ligne, ils avaient un accordéon, l’air n’était pas trop mal, mais ils n’allaient pas en mesure; aussi d’un coup de téléphone, nous avons prié le 75 de venir à leurs secours. Ce qu’il a fait aussitôt et 8 ou 10 obus explosifs qui sont arrivés sans être annoncés les ont fait taire complètement. On n’a plus rien entendu.
Je ne sais pas si en apprenant leur défaite morale, ils auront envie de chanter en son honneur.
A bientôt le bonheur de nous revoir pour quelques jours.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

30 Aout 1915 Lundi (suite) Mardi départ Mercredi

Bien chers Parents,

Je viens de recevoir la carte du 28 et la lettre du 27. Depuis quelques jours, les lettres arrivent très vite deux ou trois jours. J’espère que le colis arrivera avant que j’ai fini d’écrire.
La nuit dernière il a plus toute la nuit, nous avons du vent d’ouest, ou nord ouest. Le temps est assez beau, mais les nuits commencent à être froides et le tricot va me faire de nouveau besoin.
Ce matin nous avons fait une marche j’ai vu un gros lièvre; les perdreaux nous partaient de pars les pieds, et ne prenaient pas la peine de se lever. Presque tous les jours j’en voi, ils sont très nombreux. Mais la chasse est rigoureusement interdite. Dans le canal il y a de gros saumons brochets de quatre ou cinq livres. Les garde-canaux, en vidant une partie du canal, entre 2 écluses, en ont pris plus de 100 kilos. Seulement cse poisson n’est pas bon, il a mauvais gout.
L’aspect général de la campagne est beau. Tous les coteaux sont en vignes, très vertes, les souches se touchent presque, et sont bien sulfatées.
Dans la plaines se trouvent les luzernes, les champs de blé d’avoine, de p. de terre, de betteraves. Presques toutes les gerbes sont rentrées et on s’occupe au battage. L’autre jour j’ai traversé un champ, de betteraves, qui l’an dernier, n’ayant pas été arrachées, avaient grainé, si on avait ramassé la graine on en aurait eu 2 ou 3 mille kilos. Je crois que c’était des sucrières. Il y a aussi de grands bois, ou se trouvent de jolis châteaux et de grands parcs. J’oubliais de vous dire que les vignerons et vigneronnes sont tout le jour dans les vignes pour les biner avec de petits instruments faits exprès. Les vignes qui n’ont pas été sulfatées, commes celles qui se trouvent entres les tranchées, sont complètement rouges, et n’ont presque pas poussé.
Je suis content d’apprendre que le neveu d’Octavie va mieux. Je ne le croyais pas si sérieusement blessé. Si j’avais su qu’il fut près de Ste Menehould j’aurais peut-être pu le voir car vers le 15 août, j’été à 2 kilomètres du village ou il a été en traitement. J’aurai pu voir son frère gendarme, car avec les gendarmes ont se voit beaucoup. Je peux l’avoir vu sans le reconnaitre. Je suis resté 4 ou 5 jours au village où était la gendarmerie, et le jour du départ tous étaient sortis pour nous voir passer. Ici on n’est guère d’accord avec les gendarmes, ils nous font une guerre terrible. Ce sont eux qui font la police des cantonnements et qui surveillent les braconniers. Ce qui n’empêche pas que si l’on rencontrait une connaissance se serait avec plaisir. Le capitaine de Gie réputé pour sa sévérité, sous les ordres duquel doit être le Gen Cinq s’appelle Cne Hubert.
Lorsque je reviendrait aux tranchées je pourrai peut-être voir Jean Collière et Paul Masson, car d’ici je ne peux les voir.
Ce soir part 20 permissionnaires de ma compagnie, je ne suis pas encore de ce convoi mais j’espère que mon tour arrivera bientôt. Le dernier convoi qui est arrivé est passé par Paris. Peut-être que les autres y passeront, ainsi qu’à Aguessac. Je viens de découper sur le Petit Parisien, la photo de la passerelle de forges construite par les Français lorsque les Allemands eurent fait sauter le pont de pierre. Pendant tout l’hiver je suis passé sur ce pont, pour aller aux tranchées. Je vous l’envoie comme souvenir.
Au commencement du mois d’aout, j’ai travaillé à la construction d’une tranchée de 3è ligne, en cas de repli. Ont nous a photographiés en train de travailler, et j’ai réussi à avoir une épreuve. Aussi je vous l’envoie tout de suite. Malheureusement la photog. est très petite, mais en regardant bien, je suis reconnaissable, je suis dans la tranchée, le 4è avec une pioche, en bras de chemise. Tous les autres qui se distinguent mieux sont mes camarades d’escouade. La tranchée est près d’un cimetière, les cyprès nous cachaient des boches, seulement il passait quelques balles.
J’ai pas pu encore me faire photographié, mais dès que je pourrais je n’hésiterai à le faire car je comprends avec quel plaisir vous recevrez ma photographie. Je viens de recevoir le coli, tout est bien conservé. Il n’a m'y que 3 jours. La carte est celle qu’il me faut, toute la région que nous occupons, soit au tranchées soit au repos y est marquée. C’est au sud-est de la carte.
Tout les jours, lorsque le temps est clair je vois la cathédrale de Reims et toute la ville. Des tranchées j’en suis à 10 kilomètres. J’ai reçu aussi les 5 fr. et la carte-photo de Pierre.
Toujours bonne santé et bon courage à bientôt d’autres nouvelles
Joseph

Je viens de recevoir, à souper, les 2 journaux et la carte de dimanche Ainsi qu’elle lettre de Gustave.

1915 : septembre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

15 septembre 1915

Bien chers Parents,

Nous sommes si occupés, à travailler dans les tranchées, que je me suis retardé à vous donner de mes nouvelles. Nous travaillons à la construction de tranchées de 2è ligne et à la confection d’abris pour l’hiver et le bombardement. Je vais au travail 8 heures par jour de minuit à 4 heurs du matin et de 1 h. a 5 h. du soir. Le reste du temps on se repose ou bien l’on est employé à quelque corvée pour le transport de matériel. Hier soir, dimanche ou plutôt lundi matin avec 2 de mes camarades j’ai placé sur les piquets un rouleau de fil de fer barbelé de 80 kilos, il nous a fallu 4 heures pour faire ce travail. Notre temps est si bien employé qu’il passe inaperçu.
Je ne sais pas quel jour on sera revele, c’est aujourd’hui le douzième.
Presque tous les jours on entend le bombardement de quelques tranchées boches, se soir, on a bombardé celles qui sont en face de nous, les boches ne devaient pas être trop tranquilles avec tout ce qu'il tombait dessus. Pour réponse ils nous ont envoyé quelques marmites qui ne nous ont pas atteints. Au moment où j’écris ils tirent avec une grosse pièce sur notre artillerie lourde. Se matin nous avons eu la visite du général commandant d’armée.
A un kilomètre de nos tranchées se trouve un village qui n’est pas trop bombardé, il y a encore des civils il y a une épicerie se l’on trouve tout ce que l’on veut. Mais l’on ne peut pas faire 4 pas dans les rues sans attendre siffler quelques balles.
Nous sommes toujours bien nourris. Le matin à 4 h. nous avons une soupe excellente, ou bien quelque autre chose de chaud. A 11 heures soupe de vermicelle où on y met, p. de t. carottes choux etc. bifteck, macaronis, riz, p. de terre etc. Le menu est assez varié, 2 quarts de vin. Le soir à 6 h. la même chose et le café en place de vin. Le matin nous avons toujours le café, et goutte d’eau de vie. De temps en temps nous avons en plus au souper une salade de laitues. Jamais nous n’avions été si bien nourri, aussi personne ne se plaint. Dans mon escouade il y ma un qui se plaint toujours et pour tout, c’est un engagé volontaire pour la durée de la guerre, il c’est engagé parce qu’il crevait de faim chez lui, il préfère mourir d’une balle que de faim.
Je viens de recevoir une lettre de Mme Blin de Tours, je lui avais écrit deux fois.
Le départ des permissionnaires ne se fait pas très rapidement je ne sais pas a quoi cela dépend. L’ordre de roulement varie très souvent. Le voyage est très long on passe près de Paris et au retour on se rassemble à Avignon.
Depuis 2 ou 3 jours le temps est couvert et il menace de pleuvoir. Il ne fait pas froid, nous avons le vent du sud-ouest.
Les Boches doivent avoir fait la relève car ils ne tiraient pas beaucoup et aujourd’hui « polyte » ne s’arrête pas de tirailler. Vous ne connaissez pas « polyte » sans doute. C’est le guetteur boche, qui a pour consigne de tirer sur les positions françaises. Il tire sur tout ce qui lui fait plaisir : il faut tirer et il tire. S’il est méchant il tire sur le parapet de nos tranchées, il tache de toucher quelqu’un, d’autres fois il tire sur un arbre, sur un oiseau, sur l’aéroplane qui passe. Il est fidèle à son poste, malgré la pluie, malgré les obus, polyte tire toujours.
C’est surtout le matin qu’il devient dangereux car il craint d’être attaqué, alors il appelle tous ces camarades et ils se mettent à tirer jusqu’à ce qu’ils voient qu’il n’y a rien à craindre.
Je vais écrire à Pierre en cas qu’il monte bientôt sur le front, il me demande quelques renseignement sur ce qu'il peut avoir besoin au front.
Toujours bonne santé et bon courage. Je vous en souhaite autant à tous, et en attendant le bonheur de se revoir sous peu je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Je n’ai pas reçu les 2 journaux de la semaine dernière, je ne sais pas si Eugène a oublié de les envoyer ou bien s’ils se sont perdus en route.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

22 septembre 1915

Bien chers Parents,

Me voilà au repos après un séjour de quinzaine jours dans les tranchées de 2è ligne. Cette fois je ne n’ai pas tiré un seul coup de fusil, j’ai été uniquement employé au travail. De temps en temps, les Boches se sont amusés à bombarder la tranchée mais ils ont complètement perdu leur temps. Personne n’a été atteint. Nous sommes cantonnés dans un joli petit village au sud de reims. Ici les vendanges sont commencées, je n’ai pas bien vu les vignes en marchant la nuit, mais je viens de voir passer plusieurs voyages de raisins, ils sont assez beaux, mais pas comme chez nous. Ont les met dans des corbeilles, qui ont chacune leur étiquette, pour que tout ne puisse être mélangé.
Depuis quelques jours le temps était couvert et il faisait aussi chaud la nuit que le jour. Il y a deux nuits, nous avons démoli une voie de garage dans une gare, et nous avons apporté les rails sur le dos à 800 mètres, pour la construction d’abris. Je vous assure que cette nuit-là, on a sué la chemise.
Nous avons construit des abris semblables à des tunnels, où l’on peut installer des lits, et si l’on passe l’hiver dans les tranchées que nous occupons actuellement on ne sera pas trop mal. Il parait au dire des prisonniers, que les boches, en ont de bien conditionnées et si les notres ne suffisent pas, on s’emparera des leurs pour notre usage.
Aujourd’hui je viens d’assister à une prise d’armes. Mon capitaine a été décoré de la croix de guerre, pour citations à l’ordre de l’armée. Un caporal de ma compagnie a été aussi décoré, citations à l’ordre du régiment lors de l’attaque de t Michel le 16 novembre. Deux autres soldats du bataillon et un lieutenant ont été aussi décorés. Je viens de recevoir une lettre du fils cadet, Brouillet Henri celui qui et au 415è il est en bonne santé. Il me dit de lui écrire plus souvent, afin que l’on sache réciproquement ce que chacun fait. Et puis ça fait si plaisir de recevoir des nouvelles des amis.
Pendant 19 nuits je n’avais pas ou presque pas dormi, je vous assure que pour la 20è passée au cantonnement j’ai bien dormi, et on couche sur la dure sur le plancher d’un grenier sous le toit, pas un brin de paille.
Hier j’ai touché une veste, en drap gris, clair, ca fait que je suis habillé de neuf. Ont nous remplace assez souvent les effets vieux ou trop usagés, ça fait qu’en général on est bien monté.
Pour le moment je n’ai pas besoin de colis, je crainds que nous fassions quelque changement sous peu, alors il pourait s’égarer, ou arriver très tard.
Je viens de voir Jean Collière son bataillon est arrivé hier soir. Nous avons causé cinq minutes seulement, se soir nous passerons la soirée ensemble.
Ce matin nous étions à l’exercice sur une hauteur, et de là on voyait la ville de Reims en plein. A vol d’oiseau, nous en étions à 10 kilomètres. La cathédrale se voyait très bien on remarquait les dégats faits par les obus. De temps en temps la ville reçoit encore quelques obus. On entend bien lorsqu’ils la bombardent. Espérons qu’ils auront bientôt leur œuvre de destruction. Et lorsqu’on nous donnera l’ordre d’attaquer nous saurons venger nos morts, et c’est à la pointe de nos baïonnettes que nous les chasserons de notre pays envahi.
Nous sommes en cantonnement d’alerte tout nous porte à croire, que quelque chose de nouveau va se passer. De temps en temps il part quelques permissionnaires, cela ne va pas trop vite.
Je viens de recevoir votre dernière carte contenant le billet de 5 francs.
Bonne santé à tous et à bientot de bonnes nouvelles.
Le bonjour de Jean Collière
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

25 septembre 1915

Bien chers Parents

Hier j’ai reçu le messager ainsi que la carte. Nous allons être occupés à faire du bon travail, j’ose l’espérer, que je n’aurais pas toujours le temps de vous donner de mes nouvelles aussi régulièrement. Il n’est pas nécessaire que vous m’envoyez les journaux, car je n’aurais pas toujours le loisir de les lire. Puis peut-être ils pourraient se perdrent et sa coûte assez cher comme port.
J’ai passé plusieurs jours avec Jean C et Carrière tous sont en bonne santé et ont l’air d’avoir bon courage. Jean est très content, ils ne se fait pas de mauvais sang, ça m’étonne que dans ses lettres il se plaigne si souvent.
Aujourd’hui nous avons la pluie il pleut sans s’arrêter. Ce soir nous allons coucher dans un bois sous les tentes. Hier encore deux soldats ont été décorés de le Croix de Guerre. En présence du drapeau du régiment le commandant du premier bataillon nous a lu la proclamation du Général Joffre. Dans quelle jour. Nous allons être engagés dans la grande lutte. Nous allons sortir de nos tranchées où l’ennemi nous avait contraints à séjourner et nous allons le chasser de France.
Plus que jamais j’ai bon courage et bon espoir. Continuez à bien prier pour moi, afin que je sache bien me battre et que je revienne vainqueur au milieu de vous. Le bonjour aux voisins.
A bientôt d’autres nouvelles.
Ne comptez pas encore sur ma permission, je n’ai pas la chance d’en profiter.
Joseph

1915 : octobre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

7 Octobre 1915

Bien chers Parents,

Je profite d’un moment libre pour vous donner de mes nouvelles. Je suis toujours en bonne santé, et ai bon courage.
J’ai bon espoir dans la victoire car les boches sont en train de prendre une bonne distribution à laquelle ils ne s’attendaient pas.
Ce matin j’ai visité une tranchée boche prise par nous. Notre artillerie les a admirablement bouleversées, pour si bien qu’elles soient aménagées et solides rien n’a pu résister à nos obus. La lutte continue toujours, encore quelques bons coups et les boches seront complètement battus.
Hier j’ai vu 4 ou 5 prisonniers, ils ne faisaient pas bonne figure, ils avaient l’air très fatigués et paraissaient avoir souffert moralement et physiquement. Lorsque pendant 70 heures on entend, dans la tranchée éclater les obus, qu’on voit tout se démolir autour de soi et finalement lorsque apparaissent quelques poilus baïonnette au canon, pleine musette de grenades, les boches n’ont qu’un cri : Kamarade, pas capout. Après un bombardement comme ça le pauvre boche qui n’a pas été atteint est plus mort que vif. Et s’il offre une résistance c’est le revolver de son chef qui le fait marcher.
J’ai reçu le colis très inctact. Je crois vous l’avoir dit sur une carte une Carte. J’ai reçu une carte de Marguerite il y a quelques jours aujourd’hui j’en ai reçu une autre contenant un mandat de 10 francs. Je vais tâcher de lui répondre immédiatement pour lui donner de mes nouvelles et pour la remercier de son cadeau. Comme je suis très occupé, vous pourriez lui écrire pour moi en cas que je ne puisse le faire tout de suite. A présent ça barde plus que jamais on n’a pas une minute à soi. J’ai vu Jean Collière hier soir en partant au combat, je n’ai eu que le temps de lui toucher la main.
J’ai vu aussi Pauti de Compeyre nous avons passé une soirée ensemble. Il est en bonne santé, et surtout il ne se fait pas de mauvais sang.
Je n’ai pas de nouvelles de Pierre depuis quelques jours je ne sais pas s’il est encore monté sur le front.
Je ferais toujours mon possible pour tenir au courant de ma situation. Jusqu’à présent ça va très bien bon appétit, bon courage, bon entrain tout va pour le mieux.
Je ne languis qu'une chose c’est de faire goûter ma baïonnette à «polyte». Quoique je ne sois pas d’accord avec lui, il a eu la politesse de laisser sa photo, avant de partir. De peur de la perdre je vous la mets avec la lettre. J’espère qu’elle arrivera à bon port. Elle est un peu abimée il a du faire ça dans ca précipitation. Il ne marque pas trop mal surtout avec ses binocles.
A bientôt d’autres bonnes nouvelles.
Courage et patience la victoire est à nous, à présent nous en sommes surs.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

10 Octobre 1915 4 h du soir

Bien chers Parents

Me voilà de nouveau en première ligne. La tranchée où je me trouve est faite depuis quelques jours seulement aussi elle n’est pas du tout aménagée, et n’a aucune défense accessoire tandis que les Boches se sont retirés dans leurs tranchées de 2è ligne qu’ils avaient préparé depuis plus d’un an. Aussi il ne sera guère facile de les déloger. On les a délogés de leurs premières lignes, mais à quel prix ! Il faut être exactement en contact avec l’ennemi pour se rendre compte des sacrifices faits, et de l’horreur de la guerre. On voit des choses épouvantables, et il faut avoir un courage et un sang-froid à toute épreuve pour rester insensible à de tels spectacles. Dieu seul, peut mettre fin à cette terrible guerre, prions Le toujours afin qu’il ait pitié de nous, et qu’il nous délivre de ce terrible fléau.
Il y a quelques jours qu’on ne peut se laver n'y changer de linge, nous passons toutes les nuits dehors. Dans la situation où nous nous trouvons que nous pouvons prendre qu’un repas chaud tous les jours à la tombée de la nuit.
Mes deux chemises et mes deux caleçons sont trop usés pour durer davantage, j’aurais besoin que vous m’en envoyez de rechange. Je croyais changer si j’étais venu en permission, mais je vois que c’est trop long.
Hier j’ai vu Jean Collière et Carrière. Ils étaient bien contents. D’ailleurs tout le monde l’est on prend son mal en patience avec l’espoir que ça sera bientôt fini. A bientôt d’autres nouvelles.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Le bonjour aux voisins.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

13 Octobre 1915 5 h du soir

Bien chers Parents,

Je suis toujours en 1er ligne, la vie n’y est guère agréable, car les Boches veulent nous rendre la position intenable.
Peut-être se soir nous serons relevés pour aller en réserve mais se n’est pas sur. L’artillerie allemande nous bombarde continuellement, aussi nous avons beaucoup de blessés.
Depuis quelques jours beaucoup d’avions allemands survolent nos lignes et livrent combat à nos intrépides aviateurs. Avant-hier un de nos avions a été pris en chasse par un taube. A coups de mitrailleuses le boche a mis le feu au réservoir de l’avion français, en quelques secondes tout l’appareil était en flammes à 2000 mètres. Notre malheureux aviateur est tombé dans les lignes allemandes. J’ai vu l’appareil en flammes tomber car ayant entendu la mitrailleuse je suivais le combat depuis un moment. Nous avons été très touchés de la perte de l’aviateur car tous savent faire courageusement leur devoir.
Dans ma dernière lettre je vous demandais de m’envoyer 2 chemises et 2 caleçons, pour pourriez me les envoyer en 2 colis ensemble ou à quelques jours d’intervalle. Il me faudrait toujours une chemise et un caleçon le plus tôt possible.
Ces jours-ci la nourriture laisse un peu à désirer comme quantité. On s’est plaint au colonel et il nous dit qu’on ne peut faire mieux et que dans quelques jours ça s’arrangera. A part cela je suis toujours en bonne santé, je ne suis qu’un peu fatigué à cause du surmenage. A bientôt de vos chères nouvelles.
Je vous embrasse de tout mon cœur.

Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

234 Octobre 1915. Dimanche

Chers Parents,

Me voilà enfin au repos après 12 jours de première ligne. Nous sommes bivouaqués dans un bois et nous couchons sous la tente.
Cette fois-ci les boches nous ont bombardé avec des obus de gros calibre, et ont employé leur fameux gaz. Nous avons du faire usage des lunettes et des masques que nous avons pour cet effet. C’était des gaz suffocants et lacrymogènes que nous avons reçus, il ne sont pas très dangereux mais c’est rudement embêtant. Ils nous ont fait pleurer presque tout le soir. Après ce bombardement nous nous attendions à une attaque boche, je vous assure que s’ils avaient eu le malheur de sortir, ils auraient passé un bien mauvais moment. Car en essayant de nous asphyxier ils ont poussé notre colère contre eux au plus haut point. Ma compagnie est celle qui en a reçu le plus. A la compagnie de Jean on n’a pas fait usage des masques.
Les hommes du 58è et du 40è viennent d’être félicités par les généraux, du véritable tour de force qu’ils viennent d’accomplir, en organisant, sous un violent feu ennemi, les positions conquises, dans les récents combats de Champagne et qui leur avaient été confiées.
J’ai reçu les 2 colis, à bon port, contenant à eux deux la chemise et le caleçon ainsi que 2 plaques de chocolat et le saucisson. Le saucisson est excellent et me rends bien service car on ne peut acheter grand-chose.
L’autre jour j’ai vu des hommes du régiment de Jean Gayraud c’est dommage qu’il est été évacué car nous aurions pu nous voir. Sa blessure n’est pas grave sans doute elle lui permettra de se reposer et de rester au dépot, pendant que d’autres monteront au front faire leur par,t qui reste encore à faire.
Hier j’ai vu Jean Collière avec Brajon s-lieutenant au 122. J’aurais bien aimé de lui dire bonjour, j’étais en train de me faire couper les cheveux et je n’ai pu aller à leur rencontre. Ce matin j’ai vu Jean et il m’en a parlé.
Le roulement des permissions, momentanément suspendu, vient d’être rétabli. Chaque jour il part des permissionnaires. J’ai donc de nouveau espoir de voir arriver mon tour. Si vous saviez avec quelle joie je viendrai passer quelques jours au milieu de vous. Mais ça va si lentement qu’il me semble que ça arrivera jamais.
Il paraît que maintenant nous allons toucher cinq sous par jour au lieu d’un. Dix sous tous les 10 jours ce n’était presque rien, mais tout le monde recevait le prêt avec plaisir. A présent que nous toucherons cinquante sous ça ira un peu mieux. Pour subvenir à notre augmentation de solde, on diminue notre ont diminue prime journalière d’alimentation. Ce qu’on nous donne côté on nous le tire de l’autre. Pour le moment on ne touche encore qu’un sou. Je ne sais pas quand on va se décider à nous donner l’augmentation.
Les lettres nous arrivent régulièrement. Quelquefois le vaguemestre saute d’un jour nous les recevons vers 5 heures du soir. A la tranchée on les recevait quelques heures plus tard. Pour les lire il fallait attendre que le jour se fasse voir, à moins que la lune ne soit pas cachée, alors on les lisait au clair de lune.
Ce soir il commence à pleuvoir aussi le temps n’est pas trop froid, mais s’il pleut ce sera encore plus embêtant que le froid.
Après ces quelques jours de repos on s’est bien remis des fatigues de la tranchée. Je ne sais pas si nous y resterons plus longtemps, on repartira sans doute aux tranchées dans peu de temps. Ce ne sera pas si mauvais car on s’est bien installé, et puis on a un peu calmé les boches.
Je suis toujours en bonne santé et j’ai toujours bon courage. J’ai été proposé pour la Croix de Guerre, mais comme les citations sont limitées, elle sera pour ceux qui l’ont plus méritée que moi.
A bientôt d’autres nouvelles, et le bonheur d’être au milieu de vous pour quelques jours. En attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

30 Octobre 1915 Samedi – 1 nov.

Bien chers Parents,

C’est avant-hier que j’ai reçu votre lettre du 25 avec le colis contenant la chemise et le caleçon ainsi que le morceau de fromage, tout est bien arrivé. Le fromage n’était pas du tout brisé, et il a été excellent. La lebro blanco, est elle aussi est arrivée à bon port. Pour arriver elle a mis 2 jours de plus que la lettre qui m’en annonçait l’envoi. Les lettres et colis tout arrive très bien dans 3 ou 4 jours. Je l’ai trouvé excellent et surtout très tendre. J’en ai invité Jean Collière, mais je ne sais pourquoi, il n’en a pas voulu. Avec Jean nous nous voyons tout les jours, pendant quelques instants.
Aujourd’hui nous avons touché un bon tricot de coton, un cache-nez et une paire de gants. Comme il ne fait pas trop froid, je ne m’en sert pas encore et j’ai mis tout ça au fond de mon sac, en attendant le mauvais temps. Nous allons aussi toucher à la fin du mois les cinq sous de chaque jour. Comme nous y avons droit depuis le 1er octobre nous toucherons le rappel, qui est je crois de 6 fr 75.
Quoique étant toujours au repos dans un bois, nous avons de nouveau senti légèrement les gaz, car les boches ont bombardé avec cette saleté là tout ce matin. Au moment où j’écris ils doivent être sortis de leurs tranchées pour l’attaque car nous entendons nos mitrailleurs et la fusillade qui fait rage. Le 75 donne très bien aussi. Les pauvres boches qui sont sortis ne rentreront probablement pas tous, et ils peuvent voir que leur fameux gaz au lieu de nous asphyxier comme des lapins, nous met en fureur comme des lions et ce sont eux qui en supportent les conséquences. On aime bien que de temps en temps ils sortent de leurs trous pour venir nous rendre visite, car alors le 75 les mitrailleuses et les grenades font du bon travail.
On vient de faire une autre liste de permissionnaires, les hommes appartenant aux classes les plus anciennes, c'est à dire les plus vieux, partiront les premiers, et moi étant parmi les jeunes mon tour se trouve, hélas vers la fin. Si je n’avais pas été évacué au mois d’août dernier, j’aurais compté parmi les plus anciens sur le front et je serai déjà venu.
A la 1ère Cie il y a un nommé Galzin de Tournemire, qui est en route il est parti hier soir. Lorsque se sera à moi à venir la classe 14 ira aussi et je pourrai peut être venir avec Jean Collière. Mais cela porte si loin qu’il vaut mieux de ne pas en parler. Peut être d’ici là la guerre finira alors se sera le retour définitif et pour de bon.
Nous couchons toujours sous nos fragiles toiles de tente. On n’y est pas trop mal. Tant qu’il ne pleut pas, on ne se mouille pas, et si le temps est tranquille et qu’il ne fasse pas de vent, ont n’a rien à craindre des courants d’air. Nous n’y resterons sans doute guère plus, nous coucherons bientôt dans quelques villages. Je continue aujourd’hui jour de la Toussaint, ma lettre car nous venons de changer de bois et je n’ai pas eu le temps de la terminer hier. J’ai vu Jean et Carrière hier soir. Pour la Toussaint, nous avons mauvais temps il fait froid et il pleut. La nuit nous n’avons pas bien chaud sous nos fragiles maisons de toile. Nous couchons sur la terre humide, nous n’avons presque pas de paille. Malgré le mauvais temps, les privations, les fatigues de toutes sortes, je suis en parfaite santé, tout le monde est étonné de la bonne santé dont jouissent les hommes. Si l’on était dans le civil on serait mort de maladie 10 fois. Il n’y a que la vie au grand air pour la santé. Pour passer le temps j’ai fait la nomenclature de tout le fourbi qu’on trimbale sur le dos. Je vous en envoie la copie.
Je vous embrasse tous bien fort.
Joseph

J’ai écrit à Paul Rendu pour voir ce qu’il dit et savoir s’il s’est bien tiré de ces affaires de Champagne.

1915 : novembre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

79 Novembre 1915 Dimanche Mardi

Bien chers Parents,

Avant de remonter aux tranchées, je vais en profiter pour vous donner de mes nouvelles.
Je suis toujours en bonne santé, depuis quelques jours on a fait quelques marches, aussi l’on est un peu fatigué. A présent je ne souffre presque pas, dans les marches que nous faisons, les pieds ne me font plus mal. Ont est si bien entraîné à porter le sac qu’on ne le sent presque pas. Les étapes de 20 ou 25 kilom. ne me surprennent plus.
Nous allons occuper un nouveau secteur nous venons de faire le trajet d’epernay à reims, aujourd’hui nous sommes dans un faubourg le temps est très brumeux, et on ne voit pas la ville. Par ce temps d’automne la campagne est bien triste, les vignerons travaillent toujours aux vignes. Ils les traitent contre le phyloxéra, et ils ramassent les échalas en tas. Ils ont beaucoup de goût pour leurs vignes. Aussi lorsqu’il y a bonne récolte c’est la fortune chez eux. Ils vendent les raisins (1ère qualité) 2 ou 3 f. le kilo, et avec le reste ils font leur vin, qu’ils vendent à un bon prix. Hier j’ai acheté un litre de vin blanc nouveau. Il n’était pas mauvais mais il n’avait pas encore fini de fermenter et sentait beaucoup à soufre. Je l’ai payé 20 sous.
Les céréales sont aussi beaucoup cultivées partout où il n’y a pas la vigne. On fait les semailles à grand train. Les gerbes sont encore en gerbées en plein champ.
L’autre jour j’ai reçu des nouvelles de Paul Rendu, il y a quelques jours nous n’étions pas bien loin l’un de l’autre, nous aurions pu nous voir, s’il n’était pas si difficile de circuler entre les bivouacs et cantonnements. Ma dernière lettre doit vous être arrivée un peu en retard, car j’ai dû la garder 2 ou 3 jours sur moi, ne pouvant la faire partir. Les votres nous arrivent régulièrement, la votre du 4 je l’ai reçu ce matin le 7 à 6 heures, hier 6 il n’y a pas eu de distribution sans ça je l’aurais eu plus tôt. Je n’ai pas vu Jean Collière depuis 2 ou 3 jours, je le verrai sans doute bientôt car nous ne sommes pas bien éloignés. Je reprends ma lettre, dans la tranchée. Je suis au nord de reims pour aller aux tranchées nous avons traversé la ville, je suis passé à côté de la cathédrale. Jamais je n’aurais cru que se fus un si beau monument. Les obus allemands l’ont bien endommagée, mais pas comme ont a l’air de dire sur les journaux, il est vrai que je ne l’ai pas bien examinée.
La ville a aussi beaucoup souffert beaucoup de maisons sont démolies ou brûlées. Des quartiers ont complètement disparus tandis que d’autres sont intacts. Il y a beaucoup de civils. Les magasins non touchés sont ouverts comme si rien n’était.
Les faubourgs du côté nord sont totalement évacués et ont beaucoup souffert. Les boyaux commencent aux dernières maisons. De la tranchée je vois toute la ville, en arrière, on voit fumer quelques hautes cheminées d’usine.
Le secteur que nous occupons est un vrai paradis, par rapport à celui que nous venons de quitter. Pas un coup de canon, quelques coups de fusils, de temps en temps. Le régiment que nous venons de relever, y était depuis 14 mois aussi ils ont eu le temps de bien aménager les tranchées. Rien n’y manque tout est bien organisé. Nous n'avons peur que l’on y soit trop bien, et que l’on nous envoie ailleurs. Au repos nous occuperons un quartier de la ville, près de la cathédrale. Pour circuler en ville, nous avons des consignes très sévères.
Je suis content d’apprendre que Pierre a quinze jours de permission, et qu’il est avec vous pour vous aider à travailler. Se sera assez tôt lorsqu’il montera sur le front. Qu’il profite bien du temps tant qu’il reste là-bas.
A bientôt d’autres nouvelles en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Le bonjour aux amis et voisins.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

28 Novembre 1915 7 h du soir

Bien chers Parents,

Je viens de recevoir le colis, contenant le p. fourneau et la boite de paté. Tout est arrivé à bon port, il y avait aussi un numéro du pèlerin. Avant hier j’ai reçu la lettre qui m’en annonçait l’envoi. Le colis a donc mis un jour de plus ce qui n’empêche pas que tout arrive assez vite et régulièrement. Depuis hier soir je suis au repos à reims. Je ne puis voir Jean Collière si facilement car lorsque son bataillon est aux tranchées le mien est au repos et réciproquement.
Notre organisation s’améliore de mieux en mieux. On prend les mesures pour combattre un nouvel ennemi qui nous attaque : le froid. Toutes les nuits et aussi le jour il gèle très fort, la bise souffle, aussi tout les vêtements chauds sont employés.
Je n’ai pas encore employé ni cache nez ni passe montagne, seul les gants ne me quittent pas et un 2è tricot attend dans le sac, que les jours plus froid soient venus pour être employé. On vient de nous donner des produits pour se passer aux mains et au visage afin de ne pas avoir trop froid lorsqu’on est de faction. Demain nous allons toucher la chape en peau de mouton, ce doit être celles qui ont servi l’an dernier. Nous avons aussi touché une paillasse que nous avons rempli de paille, ce sera plus propre que de coucher immédiatement sur la paille.
Nous avons aussi pris une douche, toutes les fois qu’on sera au repos on en prendra une, ce qui ne fait pas de mal.
Les religieuses de reims s’occupent du lavage et du raccommodage de notre linge. Les soldats qui veulent le leur confier en font un paquet, y mettent leur adresse une indemnité qui n’est pas obligatoire, et au repos suivant, ont a sont linge propre, raccommodé, grâce au courage et au dévouement de ces bonnes sœurs. Sur le dernier pèlerin j’ai lu un article sur le rôle qu’elles avaient joué pendant l’occupation de la ville par les boches. La supérieure la sœur St Gabriel a été citée à l’ordre du jour. L’abri de bombardement de ma 1/2 section porte le nom de la supérieure « Abri Sœur St Gabriel » car aux tranchées tout est baptisé, tous les boyaux, toutes les tranchées, les abris, les observatoires, tout a un nom ou un numéro. Et avec ça on s’y perd très facilement, car tout se ressemble.
Hier à la relève, qui se fait de jour, les boches ont eu une petite crise, ils nous ont envoyé 7 ou 8 marmites, et des grosses. Heureusement personne n’a été atteint. La 1ère ligne de tranchée boche est à quelques mètres du village de cernay l’autre nuit en patrouille je suis allé très près d’eux. Ont les entendait parler chanter, ils n’avaient pas l’air de s’en faire car pour eux aussi le secteur est bon. Je viens de découper dans le journal 2 articles, parlant de la bataille de Champagne. Je vous les envoie parce que j’ai vu tout ce que l’on y raconte, et je suis passé, à tous les endroits dont on parle. J’ai entièrement visité ce fameux bois sabot, qu’avaient si bien organisé les boches.
Sur une photo de l’avant-dernier Pèlerin que vous m’avez envoyé, j’ai cru en reconnaître un coin. De plus j’en ai une petite et mauvaise photo et je vous l’envoie. Quoique étant dans une ville je ne pourrai me faire photographier facilement car l’autorité militaire impose des consignes très sévères, et puis on n’est pas libre en ville. Je ferai mon possible pour pouvoir vous envoyer ma photo.
Aujourd’hui nous avons la pluie, et se soir je vais prendre la garde, pour 24 heures, aux issues de la ville. Je crois que nous restons 6 jours au repos. Pour le moment je ne voit rien plus d’intéressant à vous dire. Toujours en bonne santé, et bon courage. Ici tout va à peu près à l’ordinaire.
En attendant de lire les exploits de Maury je vous embrasse de tout mon cœur.
Votre fils Joseph

1915 : décembre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

7 Décembre 1915

Bien chers Parents,

Nous avons nous aussi le vent du midi et il souffle très fort, de temps en temps il fait quelques bonnes averses.
Le temps est très doux. Pour le moment je suis aux tranchées, je passe la plus grande partie de mon temps libre à regarder les Boches. En plein jour on les voit circuler et avec une bonne jumelle on les voit très bien. Ils sont souvent deux ou trois ensemble. Sur une route on voit passer quelques cyclistes. Comme ils sont très loin (1500 m) il est difficile de les atteindre avec le fusil. On leur tire dessus quand même pour leur faire comprendre qu’on les voit. Quelquefois les balles ne passent pas bien loin d’eux car ils se mettent à courir ou ils se couchent. Jamais je n’avais vu tant de boches, comme à se secteur-ci. Car depuis le temps que l’on est aux tranchées on n’en avait presque jamais vu. Ceux que nous voyons tous les jours sont à 5 ou 600 mètres en arrière de leurs tranchées. En première ligne ont n’en voit jamais. Pour Ste Barbe les artilleurs ont célébré leur fête. De part et d’autre ils se sont envoyés un peu de tout ce qu’ils avaient, marmites de tous calibres, fusants, torpilles etc. Malheureusement il y a eu de la casse.
Lorsqu’un 350 tombait sur une maison, je vous assure qu’il n’en restait plus guère debout. A présent tout est redevenu calme.
Hier soir j’ai reçu la carte de Louise qu’elle continue à m’envoyer des vues d’Aguessac, car j’aime bien les regarder. Si nous sommes pris à envoyer des cartes illustrées c’est au moins 8 jours de prison et confiscation de la carte.
Pour le moment je n’ai besoin de rien; comme ici on peut se procurer tout ce que l’on veut, il vaudrait mieux que vous m’envoyiez de l’argent au lieu des colis, l’argent des timbres profiterait mieux. Puis en touchant 50 sous tous les dix jours, cela fait bien plaisir, quoique cela ne paraisse pas grand-chose.
Nous sommes toujours très bien nourris, tous les jours nous avons de la salade, souvent des doucettes, comme dessert nous avons des pommes, oranges, noix, figues mandarines etc. C’est le capitaine qui nous achète tout ça avec le boni de l’ordinaire. Nous avons aussi un quart de vin quelquefois deux. C’est du bon vin qui n’a pas été baptisé, celui que l’on vend en ville se paie 15 sous le litre et ne vaut presque rien, aussi on n’en achète pas beaucoup, et il est trop cher.
Je vais descendre pour une corvée et en profiter pour mettre la lettre à la boîte. Le bonjour à tous les voisins.
Votre fils
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

12 Décembre 1915 2 heures du matin

Bien chers Parents
Aujourd’hui je suis de garde à la sortie de la ville, la où commencent les boyaux conduisant aux tranchées. Je viens de prendre 3 heures de faction et au lieu de dormir, je profite de ce que les rats troublent trop souvent mon sommeil pour vous donner de mes nouvelles. Je suis dans la cave d’une petite maison de campagne, a côté de laqu'elle on a fait une cahute pour les hommes de garde. Il y a des rats aussi gros que des lapins de trois livres, aussi lorsque toute la bande se met à faire la farandole il n’y a pas moyen de dormir. Dans cette cave nous avons un petit poêle, que nous avons allumé pour chauffer l’appartement, et pour faire chauffer les plats lorsque le cuisinier arrive. On y fait aussi le chocolat, je viens d’en faire une pleine gamelle. Je remplis la gamelle d’eau, j’y coupe deux billes de chocolat je fais bouillir, et lorsque tout est fondu on y coupe du pain et on le mange tout chaud. Ce n’est pas extra mais c’est bon quand même et ça réchauffe bien. L’hiver dernier je le faisais souvent surtout lorsque je pouvais trouver un litre de lait au lieu de mettre de l’eau.
A quatre heures je vais de nouveau prendre la faction jusqu’à 6 et se sera tout pour cette fois, peut-être dans le jour je pourrais un peu dormir, ce n’est pas sûr car il y a les boyaux à nettoyer pour l’inspection du général.
Hier sitôt de retour aux tranchées j’ai eu mon linge lavé, je l’avais donné aux sœurs. Il est très propre et s’il y a quelque réparation à faire elles le font, lorsqu’elles rencontrent des chemises trop mauvaises elles les changent par des neuves. Tout les soldats leur donnent leur linge et tout le monde en est bien content, surtout que se n’est pas cher on donne ce qu’on veut. Demain nous irons prendre une douche.
Ont nous a fait faire un exercice sur la facon de mettre le masque et les lunettes pour les gaz et pour s’assurer que tout le monde le mettait bien on nous a fait passer dans une chambre contenant du chlore sous une assez forte pression, ceux qui l’avaient bien mis n’ont presque rien senti, mais pour si peu qu’il y est une fissure le gaz piquait les yeux, ou donnaient envie de vomir. Pour ma part je n’ai rien senti. Après ça nous sommes allés faire une petite promenade et nous avons traversé la ville d’un bout à l’autre.
Parmi les grenadiers je viens d’être désigné pour porter un armement spécial pour la défense des boyaux en cas d’attaque. On va me donner un pistolet automatique (browning) et un poignard. Avec ça et une pleine musette de bombes et grenades je ressemblerais à un apache.
Nous avons toujours le vent au midi il pleut presque tous les jours mais il ne fais pas froid.
Il y a longtemps que je n’ai pas vu Jean Collière comme il est aux tranchées se n’est pas facile de se rencontrer. J’ai vu son cousin Calmes ainsi que Caylus. Je n’ai encore rien reçu de Charles.
Je suis toujours en bonne santé et j’ai bon courage, je ne me fais pas trop de mauvais sang, car j’espère, comme tout le monde que ça finira bientôt. L’espoir fait vivre. Le bonjour aux amis et voisins, en attendant de vos nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Recevez-vous régulièrement mes lettres ?

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

18 Décembre 1915

Bien chers Parents,

Me voilà encore aux tranchées pour 6 jours, nous avons toujours la pluie et le vent du midi. Il a gelé assez fort au commencement de la semaine mais ce na pas duré. Le temps est très doux et brumeux. Nous passons presque tout notre temps à nettoyer les tranchées et les boyaux sans ça on aurait de la boue jusqu’aux genoux comme ça nous n’en avons que jusqu’à la cheville.
Notre dernière relève a failli tourner au tragique. A peine avions nous quitté la ville, et fait une centaine de mètres dans le boyau que les marmites ont commencé à tomber tout près de nous et elles nous ont accompagné tout le long, plusieurs sont tombées dans le boyau qui a trois kilomètres de long, heureusement personne n’a été atteint. C’était a 3 heures du soir, les boches devaient nous avoir vu, car on relève en plein jour, ou bien ils étaient renseignés par quelque espion. Ce n’est pas la première fois que cela nous arrive, jamais ce n’avait tombé si près et si vite que cette fois. Il nous en vaut que l’artillerie allemande n’est si précise que la nôtre, sans ça il y aurait un peu plus de casse. S’ils nous font du mal ce n’est que part la grande quantité d’obus qu’ils envoyent. Ou alors le premier de tous qui arrive sans qu’on soit averti.
Presque tous les jours au petit poste, j'entends parler les boches. C'est dommage que je ne comprenne pas l'allemend. Leurs conversation parait naturelle ils ne se gênent pas, et font comme s'ils étaient chez eux. De temps en temps on leur entend crier leur "Werda" lorsqu'une de leur patrouille rentre.
Je ne suis pas bien au même endroit que la dernière fois aussi je ne peux pas les voirpromener.
Ce matin comme le temps était très calme, j’ai entendu leurs tambours et clairons qui devaient faire répétition le son devait de loin. Nos tranchées sont à plus de 800 mètres des leurs. Seulement la nuit on se rapproche chacun de son côté.
J’ai reçu hier une carte de Paul Rendu en même temps qu’une lettre de Pierre. Paul est toujours au même endroit, il me dit que ça barde toujours et qu’il pleut beaucoup. Il croit venir en permission vers la Noël ou le jour de l’An.
Pierre m’écrit d’un fort à côté de Belfort. J’ai reçu aussi la carte d’Eugène et la lettre de Louise.
Pour le jour de la Noël je serai probablement au repos, aussi je ferai mon possible pour bien célébrer cette grande fête, je tâcherai d’aller à la messe. Peut-être que je serai de garde ou employé ailleurs, c’est si difficile d’avoir un moment libre. On aimerait mieux être dans un petit village, car ici nous avons une discipline qui ne nous permet pas le moindre instant de liberté. Il est vrai aussi qu’elle est nécessaire.
Les permissions vont leur petit train ca va très lentement. Le bruit court qu’on va activer le départ des permissions et augmenter leur nombre, ce qui fait que ça irait un peu plus vite, ce n’est pas officiel.
Je ne vois plus rien à vous dire. Je vous souhaite une bonne fête de Noël, n’oubliez pas de bien prier pour moi, afin que je sois toujours un bon soldat. Espérons que le Bon Dieu aura pitié de nous, et qu’il mettra fin à cette terrible guerre.
Je suis toujours en bonne santé et ai bon courage, à bientôt d’autres nouvelles, en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.

Joseph

Lettre de JOSEPH à Monsieur Le CURE

25 Décembre 1915

Monsieur le Curé

Voilà, que, pour la deuxième fois, je viens de passer la grande fête de Noël sur le front. C’est bien triste de passer ainsi de si belles fêtes, loin de son pays et de sa famille.
Cette année-ci nous avons eu un peu de joie, car nous avons pu assister à la messe minuit. Oh pas dans une grande cathédrale ni dans une belle église de ville, pas même dans une église de village; mais dans une cave souterraine, un petit autel a été dressé et un de nos camarades prêtre-soldat, a célébré la messe de minuit.
Nous étions là réunis plus de deux cents pour célébrer la naissance du Christ et adorer l’Enfant Jésus.
Dans cette chapelle improvisée ont avait installé un harmonium et ont a chanté les plus beaux cantiques de Noël. L’abbé nous a fait un beau sermon, sur la naissance de l’Enfant Jésus. Malgré sa grande simplicité cette messe là a été très belle. Nous avons pensé à ceux qui sont là-bas au pays natal, à notre mère, à notre père, à nos frères et sœurs à tous ceux qui nous sont chers. Unissant nos prières aux leurs nous les avons offertes à Jésus naissant, nous Lui avons demandé la grâce de supporter courageusement les misères de la guerre.
Nous Lui avons demandé de nous accorder la victoire et la paix. Que nos souffrances et nos sacrifices ne soient pas vains et qu’ils nous conduisent à une bonne fin. Qu’une paix durable et solide mette fin à cette guerre, car il ne faut pas que plus tard nos descendants soient obligés de verser leur sang, pour faire respecter notre pays de France. C’est à nous de leur assurer un avenir pacifique, par une paix indestructible. Espérons que Dieu exaucera nos prières et qu’à l’aurore de l’année qui va commencer, et que de tout mon cœur je vous souhaite bonne et heureuse, nous puissions voir la fin des hostilités et le retour dans nos foyers.
Qu’à la Noël prochaine nous soyons tous réunis ensemble, pour adorer et chanter les louanges du Divin Sauveur.

Veuillez recevoir Monsieur le Curé mes plus respectueuses salutations

Joseph Rascalou

Lettre de PIERRE à ses PARENTS

P...le 28-12-15 25

Mettez moi la date de la dernière lettre reçu.

Bien chers Parents

C’est avant-hier que j’ai reçu le colis contenant le morceau de lapin. Il est arrivé en bon état. Le morceau de patte de coin qu’il renfermait ne pouvait se reformer tant il était en mauvais état. Le morceau principal a été très bon. Il c’est très bien conservé. Je l’ai partagé avec mes 2 camarades et Truel Ch ils l’ont trouvé excellent. Il a mis 6 jours pour arriver et la carte de Louise me l’annonçant est arrivée un jour avant. La feuille de papier qu’elle contenait me fait supposer que vous ne devez pas recevoir toutes mes lettres. Elles sont visitées et comme je vous donnez certains petits détails surement elles ont été arrétées.
J’en reçois des votres décachetées.
La fête de Noël ne c'est pas passé aussi bien que l'an dernier. Combien j'ai marronné de ne pas être à la maison pour la passer ensemble et aider à Fernand à chanter le minuit. Ici d'abord il n'y a pas de messe à minuit. Le jour je suis allé à la messe et a vepres ainsi que le lendemain. Mais qu'elle différence avec notre Aguessac. Pas un cantique en l'honneur Au Divin enfant pas un chant de réjouissance. Tout comme un dimanche ordinaire. Ce n'est plus le même esprit ctholique qui existe chez nous. Enfin je puis dire que la fête de Noël très belle pour moi les autres années a été cette année-ci bien triste. Combien de fois vers les 9 heures du soir je me disais: "Tiens en ce moment tu serais là bas en train de faire répétition et tu es ici couché entre deux bottes de paille".
Tout passe et la fête de Noël aussi a passé souhaitons de la passer meilleure et ensemble l'an prochain.
Je ne vous donne pas de détails n'y ne vous parle pas du pays car je crois que nos lettres trop parlantes sont mises au panier. Il y a longtemps, c'est à dire depuis que je suis par ici, que je n'aie pas eu des nouvelles de Joseph. Je crains que lui n'est pas reçu les miennes.
Et Fernand est-il parti ? Je n'ai encore rien reçu de lui et pourtant je lui aie écris.
Plus rien autre chose à vous dire pour le moment.
Je vous embrasse tous
Votre fils
Rascalou P

9è Bataillon du 81è Inf, 34è Comp, secteur Postal 161

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

29 Décembre 1915

Bien chers Parents,

Voilà la Noël passée. Comme cettel’an dernier, cette grande fête a été bien triste car la guerre est toujours là avec ses misères et souffrances de toutes sortes. Ici plus de sonneries de cloches annonçant l’anniversaire de la naissance du Christ, seule la voix du canon se fait entendre. Pas de messe de minuit où l’on puisse aller adorer l’enfant Jésus à l’heure où il vint au monde. Plus de cantiques, plus de chants, plus de cérémonie religieuse. Cette fêteCe grand jour a passé triste, silencieux, inaperçu et pourtant que de souvenirs il nous rappelle. Cette deuxième fête, passée ici sur le front, n’a pourtant pas eu toute la tristesse de l’an dernier. Un peu de joie nous a été apportée en assistant à la messe de minuit dite dans une cave.
Dans les grandes caves souterraines où se prépare le fameux vin de Champagne un modeste autel, orné de drapeaux, avait été dressé. Dans cette petite chapelle improvisée plus de deux cents hommes avaient pris place oubliant les misères de la guerre pour se recueillir et prier. On avait installé un harmonium et ont a chanté de beaux cantiques. A 1 heure, tout était fini, la fête aussi, mais on était content, d’avoir pu profiter de la fête. Le reste de la journée c’est passé comme se passent tous les jours.
Voilà dans quelques l'annéejours l’année terminée. Aussi à l’occasion du nouvel an je suis heureux de vous offrir de tout mon cœur mes meilleurs vœux de bonne et heureuse année.
C’est de tout cœur que je souhaite que l’année qui va commencer amène avec elle la victoire et la paix.
Espérons que Dieu aura pitié de nous et qu’il mettra fin à ce terrible fléau, qui sévit sur l’Europe depuis 17 mois. Le conflit est trop grand pour qu’il prenne fin sans une intervention divine. Plus que jamais, il faut prier et faire pénitence car la prière seule jointe à nos sacrifices peut attendrir le cœur de Dieu.
Courage et patience le jour de la délivrance ne peut tarder à venir.
Votre fils qui vous embrasse de tout son cœur.

Joseph