Famille Rascalou-Montéty

1914, juillet-août : De la mobilisation à l'avancée victorieuse

LETTRE DE JOSEPH À SES PARENTS

Tout ce que je dis plus bas n’a commencé que samedi. Vendredi tout était à l’ordinaire.

Le bruit court que Jaurès a été assassiné.

Avignon 1 août 1914
Chers parents,
Le jour de la mobilisation ne doit pas être bien loin. Depuis ce matin c’est un remue-ménage infernal au quartier du 58è. Nous allons recevoir nos effets de guerre et préparons ceux des réservistes qui doivent arriver dans la journée. Le pont de la Durance ligne Paris-Marseille est gardée par une compagnie du génie. Le 11è hussard vient de partir pour l’est, je l’ai vu moi-même. Hier le régiment revenant d’une petite manœuvre, a été acclamé par la foule qui c’était réunie au son de la musique. Lorsque le régiment fut rassemblé dans la cour, le Colonel dit d’une voix forte et émotionnante : «Haut les cœurs ! Je ne dis plus rien, comprenez-moi bien ». Plus que jamais nous avons l’espoir de partir, nous sommes dans la joie la plus complète; ce qui nous tracasse tous c’est de savoir que nos Parents ce font du mauvais sang pour rien. Les trains commencent à transporter du matériel de guerre. On va expédier les armes pour les employés des gares. Une grande animation règne parmi les officiers le général de division Colle vient de remettre un pli confidentiel au colonel. Il parait que c’est l’ordre de mobilisation. Se n’est toujours que des «on dit». J’ai toujours bon courage, et prie Dieu de revenir à Aguessac couvert de gloire et de laurier. Je vous embrasse de tout mon cœur.
Le bonjour à tous les voisins.
Votre fils
Joseph

1914 : Infection au pied droit, hôpital à Tours

LETTRE DE JOSEPH À SES PARENTS

J’ai le petit souvenir de Mme Lacaze que je porte à mon cou.

Tours le 14 septembre 1914

Je suis encore à Tours et je crois y rester jusqu’à mon complet rétablissement. Je ne suis pas encore guéri mais je vais beaucoup mieux. Je devais aller à Loches en convalescence dans une maison particulière où l’on prend des blessés. Mon mal s’est légèrement agravé et n’est pu partir, pendant ce temps les places disponibles on été prises à Loches ce qui fait que j’irai dans les environs de Tours sur les bords de la Loire en pleine campagne.
Je me trouve actuellement, depuis le premier septembre, dans un couvent de sœurs de l’adoration, transformé en petit hôpital pour les blessés. Nous sommes soignés par les sœurs et par des infirmières de la Croix-Rouge, qui nous soignent avec un dévouement sans limites. Rien ne nous manque, nous sommes si bien soignés que nous en avons presque honte aussi demandons à partir pour laisser la place à de plus malheureux que nous, car tous nous sommes à peu près rétablis. Je puis aller à la messe tous les dimanches et à la bénédiction du S. Sacrement tous les soirs. Le 8 sept. nous avons fais tous la communion. Voici comment nous passons nos journées. Nous nous levons à 8 heures, faisons toilette et attendons le docteur qui nous refait le pansement si nous en avons besoin. 4 docteurs civils pour 25 m. puis nous prenons le soleil ou le frais dans le jardin du couvent. 2 petits cyclistes nous apportent les journaux matin et soir. Nous disposons d’une grande quantité de livres et de jeux pour nous distraire. A midi c’est l’heure de la soupe qui vaut celle de la caserne. Menu : soupe de viande, melon, plat de viande, légumes, from. dessert, vin blanc, thé. Le matin café au lait, chocolat ou poires etc. Tabac à volonté gratis, à 4 heures goûter offert par des personnes de la ville.
Vous voyez nous ne sommes pas bien malheureux. Avec tous ces soins j’espère être rapidement sur pied pour repartir à la frontière que j’avais dépassé de 30 kil. Nous sommes allés en vue de Dieuze. Je languis de revenir au feu surtout à présent que je sais comment ça marche, et pouvoir canarder les allemands et leur faire payer leur balade sur le territoire français. Je conserve toujours l’espoir de passer par Aguessac pour rejoindre Avignon où j’irai m’équiper, pour rejoindre le régiment.
Avez-vous reçu le sac allemand que j’avais confié à Jean Raynal ?
A Aguessac, comment va la situation, il doit manquer du monde à moins que les émigrés arrivent jusque là ? Papa est-il toujours à la maison ? Et Jean Collière doit être parti lui aussi ainsi que Charles C.
J’espère qu’ils viendront sur la ligne de feu (plus on est plus on rit ).
A Tours il passe de nombreux trains de blessés, rapportant tous de glorieux trophés pris à l’ennemi. A Aguessac il doit en passer aussi se dirigeant sur le sud.
Depuis quelques jours la température s’est refroidie jusqu’ici il faisait très chaud, les raisins de Tours sont déjà mûrs, ainsi que les belles poires qu’on nous donne presque à volonté. Les gens de Tours ou des environs sont très fiers de leur belle province, le jardin de la France. Encore quelqu'autres pay à voir et j’aurais vu les 3/4 des provinces françaises , en attendant de visiter l’Allemagne, pendant son agonie.
Plus que jamais nous avons bon courage et espoir de vaincre. Pendant que nous luttons priez tous pour la France et pour ses petits soldats qui se feront tuer plutôt que de reculer.
Au revoir chers Parents, courage et confiance la victoire est à nous.
Je vous embrasse de tout mon cœur
Votre fils Joseph

LETTRE DE LOUIS ET MARIA A LEUR FILS JOSEPH

Aguessac le 20 septembre 1914

Mon cher Joseph

Nous te croyons partis de Tours et en cela attendions ta nouvelle adresse pour t’écrire; et en te croyant parti c’est que nous avions envisagé ta guérison à peu près faite. Sans doute elle va se continuer normalement au point comme tu le dis d’être évacué sur Avignon pour y refaire ton équipement et repartir à la frontière en compagnie peut-être de Jean Collière, Carrière de Carbassas, Caylus de Serres et Calmes du Cluzal et tant d’autres des environs qui ont rejoint au 58è et qui après leur courte instruction et leur entraînement commencé, iront se complémenter sur le vrai terrain d’instruction : le champ de bataille. Nous avons ici des nouvelles à peu près récentes de tous les soldats partis et tous sont au feu à part Béluel blessé et toi. Maintenant il en est d’autres qui ne bougent pas de Toulon tel Gayraud Jean Gaven (boucher) Emile Forestier Cure Léon Baldeyrou Pierre Bonnemayre et d’autres encore formant le régiment de territoriale de Mende et qui fait partie de cette armée laissée là-bas en garde contre l’Italie. En Lorraine nous y avons et qui se voient souvent Bringuier Paul, Ricard Léopold, Covinhes Maury ……………………………………….. Emile etc. Ceux-là entendent la fanfare tous les jours. J’ignore si nous en avons dans l’armée de Paris ou un qui serait en Belgique. Les nouveaux partis Caylus et Brouiller sont le 1er au mont Valérien (Paris) le 2è à Montpellier 56è Art. Depuis Charles a filé sur Angoulême pour se faire à la télégraphie sans fils. En somme vous êtes au total 48? hommes d’Aguessac et réelement domiciliés dans cette commune présents à la guerre. Je viens de faire afficher l’ordre de déclaration pour les réformés ou exemptés et le tableau de recensement de la classe 1915. Onze d’inscrits sur celle-ci et une autre douzaine qui vont se trouver dans les réformés plus les q.q. classes qui restent à être appelées dont je suis du nombre resterait encore une trentaine d’hommes disponibles chez nous. Total 48 et 32 = 80 . Je suppose que si tous ces chiffres étaient prélevés les Allemands pourraient y venir ? La pluie de pruneaux comme tu nous le dis n’aurait pas fini de tomber dans leurs tranchées.
Enfin jusqu’ici la besogne se fait bien la bataille de la Marne a été décisive, que celle d’aujourd’hui en soit la répétition et le complément et je pense qu’ils prendront un peu diminués de nombre et de ventre le chemin de leur pays. C’est là d’ailleurs que tu iras les rejoindre car avant la guérison je doute fort qu’on les aura expulsé de France, ne vous laissant aux rescapés que le plaisir d’assister et de contribuer à la poursuite.
Dépêche-toi de guérir, mais guéris bien car il ne faut pas être traînard; ceux-là sont perdus, et pour cela écoute disciplinairement les ordres du major qui te soigne ou des infirmières. Millau reçoit des blessés tous les jours nous en avons vu passer plusieurs trains se dirigeant sur Mende ou Rodez, nous y courons nous faire conter leur petite histoire et leur portons pour rafraîchissement des liqueurs ou vin blanc et des gâteaux, des fruits ou des friandises.
En général leurs blessures sont légères. Cependant nous en voyons de couchés et qui ne peuvent se lever.
Nos travaux d’Aguessac se font lentement après les p. de terre que nous avons pu arracher, car il pleut invariablement tous les trois jours, nous avons fait un peu de feuilles et fauché les luzernes. Demain nous allons commencer de semer l’avoine et ainsi de l'avoine au blé jusqu’à la fin de l’automne. Les vendanges seront nulles, le mildiou en l’espace de dix jours a tout enlevé, q.q. vignes auront conservé une partie de leur récolte , mais le général ou plutôt l’ensemble est réduit à néant. Nous aurons la seule consolation de pouvoir fêter ton retour avec la réserve qui nous reste à la cave de Compeyre.
Rien reçu encore de Dijon sinon que Jean Raynal est tombé subitement malade, sa mère ayant été appelée par dépêche à venir le soigner. Peut-être ne sera-ce qu’une alerte et pourra-t-elle revenir en emportant le sac de cet alboche qui serait le premier trophée pris à l’ennemi et rentrant à Aguessac?... Je m’en vais passer la plume à Maman qui va te raconter autres mille petites choses, peut-être aura-t-elle besoin d’une cinquième page.

Aujourd’hui lundi nous ne savons rien de Jean Raynal mais nous pensons que sa maladie sera peut-être moins grave qu’on ne l’a cru d’abord. C’est vendredi que sa mère est partie. S’il nous a expédié le sac tout de suite il est en route et j’espère bien que nous le recevrons malgré le retard qu’il pourra subir en gare nous ne voudrions pour rien au monde qu’il s’égare.
Mr Lacombe de Peyreleau lui a laissé aussi sa cantine à expédier car lui est venu en convalescence de 2 mois.
Nous aurons peut-être des blessés à Aguessac. Papa s’occupe de trouver des lits et des personnes sur lesquelles on pourrait compter sûrement pour les soigner. Il n’y a rien de sûr ce n’est qu’une supposition que l’on fait mais dans tous les cas Papa voudrait que tout soit prêt si jamais on en envoie. Aguessac a sa succursale de la Croix-Rouge. Plusieurs dames et jeunes filles ont relevé des dons en argent et en linge que sous la direction des dames de la C.R. de Millau elles confectionnent pour les blessés.
Comme tu le vois mon cher Joseph partout il y a beaucoup de mouvement et d’entrain.
Si tu passes par Aguessac nous serons très heureux de nous voir quelques instants et si nous pouvons être avisés assez tôt dis-nous s’il te manque quelque chose et nous te le ferons passer.
Aujourd’hui nos hommes vont commencer de labourer. Jean pense à sa rentrée je ne sais si elle se fera au jour fixé elle est toujours annoncée. Le pensionnat a une partie de la maison réquisitionnée et loge 50 hospitalisés.
Alors le bonjour de nous tous conserve toujours le petit souvenir de Mr L. il faut que ma lettre parte tout de suite. Guéris vite de ton pied et bon courage et confiance en Dieu.
Ta maman qui t’embrasse affectueusement pour nous tous.

Maria

LETTRE DE JOSEPH À SES PARENTS

Reçu la lettre de Papa ce matin 24-9-14Tours

Tours 23 24 septembre 1914

Chers parents,

Me voilà encore à Tours où me retient mon flegmon qui n’est pas encore guéri. Je pense partir dans la semaine; je tâcherai d’aller au dépôt d’Avignon où tout en achevant ma guérison, je me rendrai utile dans la mesure du possible.
Je languis de retourner au feu voir les Allemands par le dos et tacher de leur faire payer très cher les atrocités qu’ils commettent sur le territoire français. A Tours il n’y a rien de particulier, si ce n’est que les escadrilles d’avions qui avaient gagné le Centre à l’approche de l’ennemi, sont reparties pour le Nord. Tous les jours on voit des aéroplanes survolant la ville et les environs. En rejoignant Avignon je ferai mon possible pour m’arrêter à Riom ou à Aguessac les communications étant très longues on accorde de longs délais pour rejoindre. Lorsque je serai sûr d’y passer je vous enverrai un télégramme. En prévision pour pourriez me préparer un bon tricot de laine et une paire de gants en peau et fourrés. Car au mois d’août les nuits étaient froides en Lorraine et je prévois que pour la Toussaint elles ne seront pas moins fraîches; on en passe les 4/5 à la belle étoile. Voici le sommaire du début de la campagne. Nous avons débarqué à 28 k. de Nancy. Avons passé la frontière à Xures, entre Nancy et Lunéville. La Garde premier village rencontré au-delà la frontière après 36 h. de ch. de f. Faisons 15 k. à pied sous la pluie et arrivons, pour coucher, dans une ferme à 9 heures du soir.
2è jour Après une longue étape, arrivons dans un petit village dont la garde est confiée à ma compagnie. 1ère nuit de faction et un dirigeable passe sur nous très haut. 3è jours rencontrons un régiment de chas. à cheval qui a rencontré l’ennemi. 4è j. cant. à 2 k. de la front. ennemi signalé à 5 kilom. le soir attaquons enn. et prenons un village à la baïon.
Le lendemain 11 août ennemi reçoit renfort et un violent combat a lieu tout le jour. Du 58è. 2/3 hors de combat. (Nous sommes depuis le début l’avant-garde du 15è Corps (40è et 58è)). Le 15 août un aéro all. nous signale aux gros obusiers enn. aussi les gros obus commencent à pleuvoir. On se met de côté ou on laisse faire. Ils continuent à tirer jusqu’à 5 heures du soir (12 h) 400 obus tirés. 10 artl. fais blessés. Notre gr.art. arrive attaquons et repoussons ennemi dans les bois où il se tient constamment. Prenons le 17 château all. chargeons à la baïonnette à 10 heures du soir. Les jours suivants avançons vers Dieuze sans rencontrer personne.
Le 19 août combat aux environs de Dieuze dans une forêt immense. Le 20 août combat à Dieuze, que nos troupes avaient pris. Tiré 90 cartouches. Reculons devant le nombre. Allons cantonner à 8 kilomètres de Dieuze, artl. allem. nous poursuit rentrons en France le soir même et le lendemain atteignons Bombasle s- Meurthe d’où je vous écris.
Mon flegmon m’empêche d’aller plus loin, ai fait 20 k. avec des pantoufles que j’ai eu dans le sac allemand, elles sont toutes neuves. Mon pantalon est décousu depuis le haut de la cuisse jusqu’au fond les épingles sont employé. Jean Raynal vu à Dijon. Le 23 embarqué à Cintry pour Dijon. Avons souffert de la chaleur, de la pluie, du froid, du sommeil et de la faim, ce n’est pas la guerre pour rien et il faut avoir vu le terrain d’opérations pour se rendre compte de ce qu’est la guerre.Tous les jours on voyaientt des aéro. ennemis. Le 15 Corps fait partie de la 2 Armée commandée par notre vaillant compatriote le général de Castelnau.
En attendant le bonheur de vous embrasser à Aguessac.
Je vous embrasse d’ici de tout mon cœur.
Votre fils J.Rascalou

Au moment de mettre ma lettre à la poste je reçois la votre datée du 18 septembre et arrivée à Tours le 22 sept.
C’est la première que je reçois depuis le 15 août. Je suis très heureux d’apprendre que vous êtes tous en bonne santé et que vous n’oubliez pas dans vos prières les soldats de France. Je suis content aussi d’apprendre que Jean Collière est au 58è et que nous aurons peut-être le bonheur de combattre côte à côte.
Je n’ai pas vu le 16è corps qui était à côté du notre. Aussi je n’ai vu personne de ma connaissance.
Au couvent où je suis il y a une sœur de Rieupeyroux qui a un neveu blessé à Albi. Monsieur l’Aumônier connaît tout le nord du département et le docteur qui me soigne est passé à Aguessac en visitant les Gorges du Tarn et se souvient de l’hôtel Rascalou et Costecalde du Rozier. J'ai causé avec 2 dames évacuées de Soissons et qui connaissent la famille Fournol de St Affrique et qui m’en demandaient des nouvelles.
J’ai causé avec des soldats de tous les coins de la France et à Tours ou dans le Nord dès ma première parole on ne me prenait pas pour un habitant du Nord. L’accent du Midi est très remarqué, quoiqu’il y en est de plus mauvais surtout en Lorraine et dans les Vosges.
Je vous quitte en vous souhaitant bon courage et confiance.
Le bonjour à tous les voisins auxquels je pense souvent.
Votre fils Joseph Rascalou

LETTRE DE JOSEPH À Mr le Curé d'Aguessac

Tours le 30 7bre 1914

Monsieur le Curé,

Je viens de passer le mois de sept. dans un couvent de sœurs de l’Adoration perpétuelle. Elles ont mis à la disposition de l’autorité militaire plusieurs chambres et tout le matériel nécessaire pour les soins à donner aux blessés et malades militaires .
Un flegmon survenu à un de mes pieds m’a empêché de continuer la campagne et j’ai été évacué pour recevoir les soins nécessaires à mon état.
Donc depuis le début du mois je suis entouré de bonnes sœurs et de charitables dames qui soignent les blessés avec un dévouement digne de toute éloge.
Rien ne nous manque tant au point de vue des blessures de notre nourriture et de notre bien-être et de notre religion. Tous les soirs nous assistons au salut du Saint Sacrement et avons le bonheur de communier toutes les semaines. Nous avons fêté dignement St Michel patron de la France et mettons notre confiance en lui.
Parmi les blessés de la maison se trouve plusieurs officiers dont un cap. du 342 rég. de réserve de Mende et un sergent réserviste qui est vicaire dans le diocèse de Tours. Son état ne lui permet pas encore de sortir. J’ai pour camarade un vaillant catholique parisien qui a 6 frères sous les drapeaux dont un est prêtre et infirmier. Quelques camarades trouvent que la maison est trop cléricale, que l’on prie trop alors avec le parisien nous tenons quelques petites conversations intéressantes et le soir nous récitons le chapelet pour eux.
La semaine dernière nous avons eu la visite de Monseigneur Nègre arch. de Tours compatriote et ami intime de Mr de Ligonnes. C‘est sans doute la Providence qui a voulu que je sois soigné dans une si bonne maison plutôt que dans un hôpital militaire exclusivement laïque où l’on est sous les règlements et la discipline militaires. Je suis actuellement presque guéri et prêt à repartir à la frontière et tâcher de réparer le temps perdu.
Chaque dimanche à la cathédrale de Tours on dit une messe exclusivement pour la France et les soldats qui y sont très nombreux car on la dit aussi pour eux. Plus que jamais les soldats français ont besoin de la protection divine, aussi ne les oubliez pas dans vos prières et eux tâcheront de s’acquitter dignement de leur devoir de soldat français en repoussant l’ennemi barbare.
Je passerai peut-être à Aguessac en rejoignant mon dépôt à Avignon et si j’ai le temps je pousserai une petite visite jusque chez vous.
Veuillez recevoir Monsieur le Curé mes plus respectueuses salutations.
Votre petit paroissien.
J.R.
Un vicaire de N.D. de Millau soldat infirmier de passage aux environs de Tours devait venir me voir s’il avait eu le temps 2 de ses camarades aveyronnais me l’ont dit à Tours où ils m’ont rencontré par hasard.

1914 : Convalescence à Neuillé Pont Pierre

LETTRE DE JOSEPH À SES PARENTS

Neuillé Pont Pierre lundi 12 octobre.

Chers parents,

Je viens de recevoir votre lettre du 7 octobre, au moment où je partai pour la messe. Je n’ai pas reçu de lettre de Papa, et dans la semaine dernière j’ai reçu une carte de Pierre et d’Eugène, auquel j’ai oublié de répondre, étant occupé par mon changement de domicile.
Je suis très étonné du froid qu’il fait à Aguessac, ici il fait un temps magnifique, quoique il y est de la gelée blanche toute les nuits. Les vendanges s’achèvent et sont très belles. Vous m’apprenez qu’Henri Beluel a été blessé près de Dieuze, c’est là en face de cette ville qui a été en notre pouvoir que j’ai fait mon dernier combat et où j’ai eu le plaisir de voir tomber les Allemands sous mes coups de fusil.
Si mon repos est un peu long, je suis content d’avoir avant mon évacuation mis quelques boches hors de combat. C’est par miracle que j’ai échappé à leurs balles, on s’est fusillé à 50 mètres, sans pouvoir s’aborder à la baïonnette, tant le bois où l’on se trouvait était épais et l’on a reculé chacun de son côté.
C’est avec peine que j’ai appris la mort de Joseph Collière. Le croyant dans le train des équipages de Lunel, j’aurai cru qu’il échappat aux balles ennemies. Il faut des morts pour la France et la mort tape dans nos rangs avec une impartialité terrible.
J’espère qu’il est mort saintement et qu’à présent du ciel, il prie Dieu de protéger les soldats et leur donner le courage de se battre en brave et de mourir en chrétien. Ma carte du 29 vous annonçait une lettre, que je ne vous ai pas envoyée.
J’ai reçu des nouvelles de Gustave, qui languit de passer le conseil pour pouvoir être soldat, et remplacer un de ceux qui tombent au champ d’honneur.
Jeudi dernier les conscrits du canton de Neuillé passaient le conseil, sauf quelques ajournés tous furent pris. La classe 1914 sera bientôt mobilisable et partira probablement sur le front. Après avoir rejoint mon dépot, je marcherai sans doute avec les bleus. Je pourrai même être nommé caporal, je me sens la force et le courage de conduire une escouade au feu.
Le tricot que je désire doit être un chandail, car ils sont beaucoup plus commodes et plus chauds que les autres.
Il me faudrait aussi une flanelle, pour mettre sur la peau. Je partirai bientôt de Neuillé, je passerai une contre-visite à Tours et je partirai pour Avignon par Nevers, Riom, Arvant, Aguessac, Béziers et Avignon.
Neuillé Pont Pierre est un chef lieu de canton à 25 kilomètres de Tours. Un monsieur très riche a mis une maison à la disposition de la Croix-Rouge, et l’on y envoie les blessés guéris qui ont besoin de reprendre des forces avant de rejoindre leur dépot. Nous sommes très bien sous tous les points de vue, rien ne nous manque, nous sommes sous la surveillance d’un docteur, le docteur Guérin. Nous pouvons nous promener dans la campagne, se soir lundi, nous allons visiter une ferme école.
Je vous avertirai de mon départ de Tours et de mon passage probable à Aguessac. Je suis guéri et je puis marcher avec les brodequins.
J’ai reçu des nouvelles de Jean Raynal qui me disait que sa maladie n’était pas grave et qu’il serait bientôt guéri, il ne me parle pas du sac de l’alboche et je ne sais s’il l’a gardé chez lui ou s’il vous l’a envoyé dans la cantine de M. Lacombe cap.2è génie comme il m’avait dit qu’il ferait.
Ici nous n’avons qu’un train par jour.
A bientôt, chers Parents, le bonheur d’être avec vous et de raconter de vive voix les horreurs de la guerre.

Votre fils Joseph.


Envoyez toujours la correspondance à Tours : Hôp. Auxiliaire n° 10 3 rue Descartes Tours.

LETTRE DE JOSEPH À SES PARENTS

Neuillé Pont Pierre 23-10-14

Chers Parents,

Je viens de recevoir la carte de Papa, jeudi 22-10-14 à 7 heures du soir. Elle ne portait pas de date de départ et le cachet de la poste était illisible. Celui de Tours était du 12 oct. ce qui me fait supposer qu’elle est restée 8 jours à Tours. Ma dernière lettre était du 12 oct. J’ai reçu des nouvelles de Mr Castanie, il est en bonne santé et se trouve dans l’Aisne. Je lui avais écrit quelques jours auparavant.
Ici il y a aussi grande sècheresse, c’est à peine si les cultivateurs peuvent travailler leurs terres ou semer les blés.
Je suis désolé de ne pouvoir encore partir, pour Avignon, quoique guéri, il m’est interdit de trop marcher. Vous pouvez croire que je suis déjà fatigué de rester dedans et de voir des Majors ou des docteurs civils. J’aimerai mieux être comme les camarades dans les tranchées, la vie y est plus mouvementée que par ici. Et quoique cela ne soit pas toujours bien gai, cela ne manque pas d’avoir son charme.
Nous recevons de vagues nouvelles du front, la bataille de l’Aisne est longue, nous espérons qu’elle tournera à notre avantage. Après celle-là ce sera une autre, et ainsi de suite, tout cela nous paraît long, plus que ce que l’on croyait au début. Il est vrai que nous n’étions guère prêt à nous battre, et que l’Allemagne l’était depuis 30 ans.
Je ne crois pas avoir de congé de convalescence, à Tours l’on ne donne pas moins de trente jours.
Ce n’est qu’au dépôt que l’on peut donner 8 ou 15 jours suivant le cas. Je ferais mon possible pour passer à Aguessac et de m’y arrêter. Je passerai toujours à Riom.
Hier les gendarmes ont arrêté un caporal belge en tenue qui avait déserté, ils l’ont conduit à Tours.
Rien de nouveau à vous dire.
Je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre fils Joseph

Lettre de MARIA à son fils JOSEPH

Aguessac le 26 octobre 1914

Mon bien cher Joseph,

Enfin il est arrivé le sac de l’Alboche et Jean avec lui. Nous étions impatients de le recevoir.
Eugène est allé le chercher au café Raynal mais nous n’avons pas cru qu’il arriverait à la maison. Nous attendons que tu nous racontes toi même comment tu as fait pour le prendre il y a bien sûrement une petite histoire chaque soldat a bien la sienne n’est-ce pas ?
Est-tu bien guéri ? Un flegmon c’est assez long et puis tu as fatigué cela va sans dire quoique ton pied te fait déjà mal et il se peut bien que pour cela il ait mis un peu plus longtemps à guérir.
Peut-être est-tu prêt à partir de Tours pour regagner ton dépôt il va sans dire que nous serons heureux de te voir et en bonne santé car il vaut mieux pouvoir faire un bon soldat qu’être malade. Tous ceux qui vont à la guerre n’y meurent pas. Il faut avoir confiance en Dieu et se recommander à la Ste Vierge et tout s’arrangera.
Nous voilà en pleines vendanges par un temps pluvieux ce qui n’est pas agréable du tout. En général la récolte n’est pas belle mais enfin il faut le ramasser tout de même. Seulement c’est très long et on ne remplit pas beaucoup de comportes. Au Bézeric nous en avons eu huit au lieu de 60 juge de la différence.
Les semailles sont très en retard après la sècheresse vient la pluie et on ne peut faire grand chose dans les terres.
J’ai reçu ces jours-ci une carte de Mr Gabriel Castanié il me dit qu’il va t’écrire je ne sais s’il l’a fait.
Jean t’avait envoyé aussi 2 cartes les as-tu reçues Mr l’Aumônier du S.C. a demandé ton adresse. Gustave Beaumeville doit arriver le 2 Nov. pour le conseil de révision qui a lieu le 3 Nov. Il a bon courage tant mieux la France n’a pas besoin de poltrons. Hier dimanche pendant la grand-messe il est passé un train de blessés mais comme on n’était pas prévenus personne n’a été à la gare et je t’assure que nous en avons tous été bien contrariés. On les ravitaille et on les panse à l’ambulance de la gare de Millau mais en passant à Aguessac ils acceptent avec plaisir les quelques rafraîchissements qu’on est heureux de leur offrir. Ce matin il est redescendu les wagons vides et les infirmiers. De temps en temps il passe des canons comme c’est presque toujours au train de 9 h du soir, à la sortie de la bénédiction Pierre Eug et Louise ne sont pas fatigués pour aller à la gare et je te garantis qu’ils n’y sont pas seuls.
A bientôt mon cher Joseph de tes nouvelles ou l’annonce de ton passage.

Tout le monde est à la vigne je profite d’un petit moment de libre pour t’écrire ces quelques lignes, qui te portent nos sentiments les plus affectueux et nos meilleurs baisers.
Ta maman qui te chérit beaucoup.
Maria

N’oublie pas de porter les pantoufles que nous conserverons précieusement. Je pars pour la vigne.

Lettre de MARIA à son fils JOSEPH

Aguessac le 2 9bre 1914

Mon bien cher Joseph,
Nous avons reçu hier dimanche matin à 10 h ta carte du 28 et je m’empresse de t’envoyer les adresses que tu demandes. Voici celle de Charles

Caylus Charles
8è Génie C. Radiotélégraphique
section D/4
La Couronne
Charente

et celle de Jean Collière je ne retrouve pas sa carte mais il est à la 31è Comp. 58è Rég.d’Inf. je ne sais si c’est suffisant. Dans tous les cas je le ferai demander par le facteur et te l’enverrai de suite mais je crois que ça suffit.
Mr Collière s’intéresse bien à toi et nous fait souvent demander de tes nouvelles. Son pauvre Joseph est mort à l’hôpital à Limoges. Papa y est allé avec Mr Coll. et Mr Mouriès et ils ont eu l’inestimable consolation de le voir en vie en pleine connaissance et surtout muni de tous les secours de la Ste Eglise. On a fait porter son corps à Compeyre. Papa et Mr C. ont fait le voyage en automobile car avec le train ils seraient arrivés trop tard.
Enfin tu es guéri mais tu ne peux encore marcher beaucoup. Il ne faut pas t’en étonner car un flegmon c’est assez long à guérir et le membre malade peut conserver une certaine faiblesse un certain temps mais avec les bons soins dont tu es entouré tout cela disparaîtra bientôt et tu seras de nouveau plein de force et de santé.
Nous n’avons ici rien de particulier les vendanges sont à peu près terminées et nous profitons des beaux jours pour semer car il se fait tard.
Jules Gavenc est dans les tranchées depuis une quinzaine de jours qu’il a quitté Toulon. Jean Gayraud est encore dans un fort aux environs de Toulon.
Lescure est parti la semaine dernière ainsi que Sarrouy ce dernier est descendu samedi soir direction Toulon.
Nous aurons peut-être des convalescents à Aguessac dès que les démarches voulues pour pouvoir les loger à l’école neuve de filles seront terminées. Papa a répondu qu’il se chargerait de 20 lits pour la commune. C’est avec plaisir que nous recevrions ces braves qui viendraient achever de prendre des forces pour revenir au feu.
On s’occupe aussi du vêtement de laine du soldat et Papa a encore pris en mouvement. De sorte que Louise et Mr Héran (du café) sont passés dans toutes les maisons et ont relevé tout tricots chaus etc. A l’école libre on se réunit plusieurs fois par semaine pour réparer ce qui en a besoin et le vendredi Papa fait partir le linge qui est préparé. De sorte qu’en ce moment les ouvrages de fantaisie passent à l’oubli, on s’occupe des soldats.
A l’instant des demoiselles de Millau viennent appeler Louise pour quêter pour la Croix-Rouge et elle va avec elles. C’est pourquoi je fais vite partir ma lettre tout de suite pour ne pas manquer le train de trois heures.
Aporte-moi les pantoufles.
Bonne santé, bon courage, tout ira bien.

Ta M. Maria

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Neuillé Pont Pierre le 4-11-14

Vive la France

Chers Parents,

Je ne puis encore vous annoncer mon passage à Aguessac d’une manière précise. Au plus tard se sera pour la fin de la semaine ou le commencement de l’autre.
A l’ambulance ou je me trouve, il vient d’arriver un convalescent. C’est un aveyronnais natif de Séverac-le-Chateau il a fait ses études à Rodez, et son service au 2è Zouave. Il tient un débit de vins à Paris où il habite avec sa famille. A la mobilisation il a été affecté au 24è Colonial à Perpignan. Il a reçu une balle dans les reins, qui s’est logée contre la colonne vertébrale d’où l’on n’a pu la retirer.
A la 2è ambulance de Neuillé se trouve aussi un aveyronnais il est des environs de Rodez.
Il sert dans le train des équipages de Lunel il n’a pas reçu de balles. Une roue de voiture lui a passé sur un pied et lui a presque écrasé les orteils.
Un facteur de Neuillé est paraît-il de Millau. Je n’ai pu encore faire sa connaissance.
Lorsqu’on est si loin du pays au milieu des étrangers on aime bien rencontrer un compatriote avec lequel on puisse parler du pays natal.
Lorsque j’ai quitté le régiment j’étais sans nouvelles de Rivière et de Rouquette restés sur le champ de batailles. Pourriez-vous en avoir des nouvelles auprès de leurs Parents ? et m’en informer. Et du neveu de Mme Roques qu’en sait-on de lui. Le 40è a été très éprouvé.
Peut-être j’aurai 3 ou 4 jours de permission avant de repartir au feu. C’est une faveur que l’on accorde aux soldats blessés ou malades qui sortent des hôpitaux et qui n’ont pas de longue convalescence.
Je languis beaucoup de revoir Aguessac, surtout de ce temps ci. Le languis aussi de revoir mes camarades dans les tranchées; et voir ce que font MM. les Boches.
Plus que jamais j’ai bon courage et un ardent désir, de me battre et de venger les camarades morts pour la France.
Le bonjour aux amis et voisins. Mes félicitations aux «bons pour le service» de la classe 15.

A bientôt.

Votre fils Joseph

Adresse :

Rascalou 58è R.Inf.
            Hopital auxiliaire
            Neuillé Pont-Pierre
            Maison Chauvin
                        Indre et Loire

1914 : Retour au dépôt d'Avignon et montée au front

1914 : au front, OSCHES

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Dimanche 28-11-14


Chers parents,

Impossible de trouver du papier à lettre. Je suis obligé à employer le papier de mes paquets de cartouches.

J’ai rencontré Jean Collière au moment ou il s’y attendait le moins. Je l’ai trouvé en bonne santé, et lui ai remis le paquet qu’on m’avait confié. J’ai vu aussi Caylus et lui ai donné la commission. J’ai vu aussi Calmels, Carrière de Carbassas, Carbasse de Rivière, Cassan de Millau Emp.des ind. à Riom il est venu au mois de juin à la maison vous donner le bonjour de l’oncle Emile.
Il commence à faire très froid, il a neigé tout jeudi. En ce moment-ci, le vent du midi souffle. le temps est très doux et il règne un brouillard intense et continuel. Mon régiment est au repos. Il partira pour les tranchées dans la semaine. On souffre beaucoup du froid. Passer les nuits dehors par 7 ou 8 degrés au-dessous de zéro sans feu, sans mouvement, ce n’est guère agréable. On souffre en silence en attendant la victoire finale.
Nous entendons continuellement le canon. les 7è sont au repos eux aussi. ce sont les grosses pièces qui à présent font le travail.
Nous sommes bien logés et surtout bien nourris. le service d’arrière est parfaitement bien organisé. C’est dommage qu’on n’est pas de la chaleur en conserve pour nous envoyer, rien ne nous manquerait.

Je n’ai pas vu Jean depuis quelques jours. il est à la 12è Cie 3è B. tandis que je suis à la 4è Cie 1e B. et tout le régiment n’est pas cantonné au même village. Je pense qu’on se reverra bientôt. Je crois que c’est le 40è qui nous remplace. Dans les tranchées, il me sera peut-être difficile de voir le neveu de Mme Roques.

Vous m’enverrez les lettres à l’adresse suivante :

Rascalou H. 58è R d’I. 
    4è Compagnie 15 Es.
    Dépôt d’Avignon à suivre en campagne

Si vous m’avez écrit à la 28è Cie je ne recevrai probablement pas ces lettres-là.
Je vous ai déjà envoyé 3 ou 4 cartes.

Le bonjour à tous les voisins et amis.

Votre fils Joseph R.

Vous me direz le plus tôt possible si cette lettre nouveau genre arrive à destination. Je la mets à la poste dimanche soir.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

SamediLundi 57-12-14 (2 lettre)

Chers Parents,

Je n’ai pas grand chose de nouveau à vous dire, depuis que je suis sur le front.
Je suis toujours en bonne santé, je ne me ressens plus de mon pied. Je suis bien vêtu et bien nourri et crois ainsi pouvoir résister au froid et aux épidémies.
Le vent du Midi souffle toujours et nous procure une température douce et humide.
Les Boches nous laissent tranquilles pour le moment, nous sommes toujours au repos.
On nous occupe à faire des claies, avec des branches flexibles, pour mettre sur le sol des tranchées et être ainsi un peu au sec.
Nous sommes toujours au même endroit et ne puis voir Jean Collière je vois son cousin Calmes assez souvent.
Hier, pour passer le temps, nous avons organisé une petite séance récréative où nous avons vécu quelques heures agréables dans les temps durs que nous passons.
Quelquefois on va à l’exercice, afin de perfectionner l’instruction des jeunes. L’on s’amuse à prendre d’assaut de vieilles tranchées abandonnées, où hélas quelque'un de nos camarades morts pour la Patrie dorment leur dernier sommeil.
Dans la semaine le Général commandant le 15è C. est venu féliciter la 4è Cie pour sa belle tenue sous le feu meurtrier de l’ennemi.
Figurez-vous que je fume la pipe. Mon capitaine m’en a fait cadeau parce que mon fusil était le plus propre de ceux de l’escouade.
Un sergent de la compagnie vient de gagner la médaille militaire pour s’être distingué en patrouille. A bientôt la mienne. Je suis bien content, j’ai bon courage, ne vous faites pas de mauvais sang pour moi.

Vive la France

En attendant de vous donner d’autres nouvelles plus intéressantes, je vous embrasse de tout mon cœur.

Joseph

Rascalou
    58 R.Inf. 
    4è Comp. 
    15 Escouade

7-12-14

Je n’ai encore reçu aucune nouvelle d’Aguessac, ce qui me préoccupe le plus est de savoir si vous recevez les miennes. Ne se passant rien d’anormal je n’ai pas l’occasion de vous écrire plus souvent.
Ici on trouve du chocolat, du vin de la charcuterie à des prix très élevés. Cinq ou six maisons du village ont été bombardées. Plus en avant tous les villages sont détruits. on ne voit aucun civil. Là où les Boches sont passés ils ont tout ravagé. Depuis quelques jours on n’entend plus le canon aurions-nous avancé ? On ne sait rien de ce qui se passe sur le théâtre général de la guerre. Les lettres que les soldats reçoivent ne sont pas décachetées. Si vous aviez une carte des environs de Verdun, envoyez-la moi s.v.p.
A bientôt des nouvelles des tranchées.
Votre fils
JosephR.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Rascalou H.
Avignon suivre
en campagne
4è Compagnie
15 Escouade
                           Viens de recevoir des nouvelles
                                de l’ambulance de Neuillé

Mercredi 9-12-14-

Chers Parents,

Enfin je viens de trouver du papier à lettres. Je reviens avec ma compagnie de faire des claies et des fascines pour les tranchées. Nous sommes toujours en réserve et au repos. On entend toujours le canon dans la direction du nord. Nous avons la pluie presque continuellement ainsi que le vent du midi ce qui fait que la température est assez douce.
Nous recevons l’ordinaire très régulièrement, et grâce à de bons cuisiniers nous faisons d’excellents repas. Menu de ce soir soupe au riz, ragout, bifteck, café, pousse-café, et une bonne pipe; lorsqu’on peut trouver du vinaigre et de l’huile on fait une salade de doucettes. On dîne à 9h ½ et on soupe à 3h ½ ; coucher à 5 heures réveil 8 heures on peut faire provision de sommeil pour les tranchées.
Là où nous nous trouvons a eu lieu un grand combat aussi lorsqu’on va dans les bois on rapporte toujours des sacs fusils équipement etc tant français qu’allemand. Dimanche on nous a occupé à ramasser les cartouches vides laissées sur le terrain et nous avons rapporté plus de 100 k de cuivre f. et b. Que de tombes à travers champs où dorment beaucoup de nos camarades.
Les Allemands ont eu beaucoup plus de mort que nous. De temps en temps on voit quelques aéro f. à qui les boches s’amusent à lancer quelques obus. Nous ne savons rien de ce qui se passe sur tout le front en général. Il paraît que les Boches sont battus dans le nord et en Russie. Ici on ne les sort pas facilement des tranchées. Il est vrai qu’on n’y fait pas beaucoup pour le moment.
Il y a 15 jours que je n’ai pas vu Jean Collière.
J’ai retrouvé tous mes camarades laissés au mois d’août. Les vides du 58è ont été comblés avec des réservistes du 163 de Nice.
Je suis en bonne santé, et j’ai toujours bon courage. Je ne puis vous dire comment vont les Boches je ne les ai pas encore vu. Ce sera pour la prochaine fois.
Je vous ai envoyé 2 lettres papier cartouches et vous demandais une carte des environs de Verdun. En attendant d’autres nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre fils Joseph R

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Samedi 12 décembre 1914.

Chers parents,

Je viens de recevoir votre lettre du 5 décembre. Je suis heureux d’apprendre que vous êtes tous en bonne santé et que vous avez reçu de mes nouvelles.
Moi aussi je vais toujours bien et attends impatiemment le retour au feu. C’est dur dans les tranchées mais c’est très intéressant, lorsque ça ne barde pas trop. On se voit à 50 ou 80 mètres rien que par le bout du nez et on s’envoi des pruneaux, certaines tranchées sont si prèt que l’on se bat a coups de pierres.
One se fait des niches et des tours de toute sorte. Hier un soldat revenant de la tranchée racontait ceci
Deux tranchées f. et al. se trouvent à 50 mètres l’une de l’autre. Les officiers de chaque côté font connaissance, et s’envoient des journaux, des cigares, etc. finalement les officiers boches invitent gracieusement les notre à visiter leurs tranchées.
Trop aimables 2 of. français sortent et vont à la tranchée en. ils sont bien reçus et visitent complètement le logement allemand. Mais au moment de repartir MM. les Boches les débarrassent soigneusement de leurs armes et les font prisonniers. Je n’ai pas vu le fait et ne puis vous le garantir exact.
Il parait toujours qu’on s’y amuse bien, seulement pour déranger il y a le froid, la pluie, les obus, les balles et les attaques à faire ou à repousser.
Dans la journée on entend le canon et la nuit on voit la clarté des obus qui éclatent et le reflet des projecteurs électriques.
De temps en temps on voit quelque aéroplane qui part en reconnaissance. J’ai même aidé à mettre un appareil en marche. Dix minutes après le départ l’avion était bombardé, en vain, par les Boches.
Le bruit court que le 15 Corps doit aller dans l’Est ou à l’extrême droite du front.
Pour le moment nous sommes toujours en repos, le temps est très doux, mais il pleut continuellement.
Je n’ai reçu qu’une lettre, celle du 5 celle adressée à la 12è sera peut-être remise à Jean Collière.
Madame Guerin de Neuillé m’a écrit aussi et m’envoie un passe-montagne que j’attends.
Rien reçu de Ch. Caylus, je vais aussi lui écrire. Dites à Me Collière que j’ai remis le paquet à Jean il en a été très content. Je ne puis lui en donner des nouvelles il y a longtemps que je ne l’ai pas vu le régiment n’étant pas au même cantonnement. Cet avec plaisir que les soldats reçoivent les vêtements de toute sorte, que l’on envoie sur le front. Presque tous reçoivent des vêtements de chez eux et personne ne manque de rien grâce au dévouement de ceux qui ne peuvent aller au feu. J’apprends à la dernière heure que le 58è va partir mardi pour les tranchées où il passera probablement la fête de Noël. Rien n’est sûr de tout cela, personne n’en sait rien, ce ne sont que des «on dit». Je vous ai demandé une carte la plus détaillée, que vous pourrez trouver des environs de Verdun ou de l’Est. si vous pouvez en trouver une je la recevrai avec plaisir.
C’est de tout mon cœur que je vous embrasse tous. Votre fils Joseph

58è R.I. 4è Cie 15 Escouade

1914 : dans les tranchées

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS, dans le secteur côte de l'oie

Bois de Cumières (environs de Verdun) 30-12-14.

Chers Parents,

Je reçois et j’ai reçu toutes les lettres et cartes adressées à la 4è Cie. Je viens de recevoir dans la tranchée, la carte de Pierre, et la lettre de Mme Blin de Tours.
Je viens de faire un séjour de 7 nuits et 7 jours dans la tranchée, coupée par 2 jours de repos.
La 1ère fois nous avons été relevés dans la nuit du 24 au 25 décembre, ça fait que j’ai passé la veille de Noël et le jour de fête au cantonnement. Je ne sais pourquoi on ne nous a pas laissé libre un jour de fête comme ça. J’étais logé a 3 pas de l’église. J’ai vu les habitants aller aux offices et pas un soldat n’a pu y assister. Ca aurait été si beau une messe de Noël, dite par un camarade prêtre-soldat. Et malgré les fatigues de la tranchée l’église aurait été comble de soldats, venant prier l’Enfant Jésus. Le jour de la fête de l’Immaculée Conception j’ai assisté à une messe comme ça rien que des soldats, l’église ne pouvait les contenir. C’est un prêtre réserviste qui la chantée et un s-lieutenant tenait l’harmonium. Si vous saviez comme tous ensemble on prie avec fervent, au son du canon. Je croyais fêter la Noël ainsi, ça pas été ça. Nous sommes actuellement dans un bois, dans des cabanes faites en branches d’arbres, on peut y faire du feu. Nous sommes à portée de l’artillerie lourde allemande et nous n'avons peur que quelque marmite de 80 ou 90 kilos ne vienne nous aranger on les entend tomber à 400 ou 500 mètres.
La vie des tranchées n’est guère agréable surtout lorsqu’il pleut ce qui arrive très souvent. On est dans un long couloir de terre de 1m50 de profondeur sur 50 cent de large. C’est à peine si on peut s’asseoir ou se coucher. il faut toujours avoir l’œil en éveil et être prêt à faire feu. L’avant dernière nuit les Boches ont essayé de nous attaquer on était à 80 mètres les uns des autres. On les a laissé approcher afin que tous sortent de leur trou, ils font comme les lapins ils sortent lorsqu’il pleut, et lorsqu’ils nous croyaient tous endormis on leur a passé une belle fusillade et je vous assure qu’ils n’ont pas été long à faire demi-tour. La nuit ont peut sortir hors la tranchée sans faire de bruit, au risque de recevoir une balle car ils tirent à n’importe quoi. Je crois que s’ils osaient ils tireraient à la Lune. Lorsqu’il y a relève on a beau faire du bruit ou se faire voir ils se tiennent tranquilles car ils savent ce qui les attend quelques obus de 75 suffisent pour les maîtriser. Hier un boche s’est laissé faire prisonnier et nous dit que les hommes se faisaient rares dans leurs rangs. Quand les auront-nous tous et quand finira cette guerre ? on le trouve long déjà et on languit d’en finir.
Pierre m’apprend qu’il sera bientôt soldat il faut espérer que la guerre sera finie lorsqu’il sera capable de faire campagne.
C’est avec plaisir que j’apprends que vous m’envoyez un petit colis pour le 1er Janvier. Arrivera-t-il à destination, il faut l’espérer il sera le bienvenu. Dans votre prochaine lettre vous m’enverrez une petite toile émeri ou papier verre pour le fusil. Jusqu’ici je n’ai pas besoin de grand chose et dès que quelque chose me fera besoin je le demanderai.

Encore une fois bonne et heureuse année à toute la famille, souhaitez-la de ma part aux amis et voisins.

A bientôt d’autres nouvelles.
Votre fils Joseph

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