Famille Rascalou-Montéty

1917 : janvier

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Sénas 4 Janvier 1917

Bien chers Parents,

J’ai reçu ce matin votre lettre du 2 janvier et hier celle de Louise, se soir une de Pierre. Comme demain nous faisons une marche de 32 kms et que je n’aurais pas le temps d’écrire je le fais se soir.
Pierre me dit qu’il est depuis quelques jours sans nouvelles de la maison et il se demande d’où provient le retard qu’on les lettres. Il pense être bientôt relevé pour aller au repos et il me demande se qu’on dit à l’intérieur, au sujet de la paix.
Dans ma dernière lettre je lui demandai se qu’ils en pensaient dans les tranchées, j’attends sa réponse. On voit que la paix préoccupe un peu tout le monde.
Ici il n’y a pas grand'chose d’anormal nous faisons de l’entraînement tant que nous pouvons, comme si nous étions de jeunes soldats. Hier nous avons fait une autre marche de nuit de 18 km, et demain nous allons apprendre à lancer des grenades, comme si après deux ans de campagne nous n’en avions pas encore appris. Dans toute la compagnie nous sommes une douzaine et nous allons à 16 km et autant pour revenir. Nous avons tous au moins 24 mois de front et nous avons des instructeurs qui ne sont jamais monté, et ils ont encore l’air d’en savoir plus nous. Enfin il faut se soumettre et ne rien dire.
Vendredi pour nous reposer nous allons manœuvrer du côté d’Oron, à 20 km de Sénas; nous y coucherons et rentrerons samedi. Dimanche ceux qui pourront aller en permission de 24 heures iront; et les autres s’ennuieront toute la journée. On ne peut se promener car le mistral souffle très fort et n’est pas chaud.
Comme nourriture on n’est pas trop mal ça pourrait aller mieux.
A la compagnie nous avons 2 lieutenants ils vont se disputer le commandement ils n’ont pas l’air de trop s’entendre. Un est brave comme un père de famille et vient du front, l’autre est une crapule qui ne vaut pas un liard, et n’a jamais vu le feu. Nous souhaitons tous que le premier reste, et que l’autre disparaisse au plus tôt.
Un soldat de Sénas, du 58e était ici chez lui en permission de quatre jours, sa permission finissait hier et comme il partait à la gare il a reçu une dépêche lui disant de rester encore deux jours de plus, car au régiment il y a quelque épidémie.
Ici on expédie beaucoup de foin pour l’armée tous les jours on voit fonctionner les botteleuses j’en ai vu une qui fonctionnait au moteur et qui faisaientt beaucoup de travail, elle faisait des bottes de 1m x 40 x 50 et qui n’avaient pas l’air trop lourdes.
Les olives se vendent de 7 à 8 fr le double et l’huile vierge garanti pure et presque impossible à trouver, et se vend 3 fr le kilo. Tout l’huile que l’on vend se trouve additionnée d’huile de graines. La meilleure huile se trouve dans les Alpes Maritimes car on la fait avec les olives complètement mûres, tandis qu’ici elles n’atteignent pas leur maturité complète.
J’ai un camarade, auxilliaire, qui presque toutes les nuits va à l’affût du sanglier, et toujours il en voit ou blesse quelqu’un jamais il n’a pas en tué un tout à fait pour nous le faire voir et pour en goûter. Comme il y va tout seul je crois qu’il nous monte un peu le cou, car il est dans le genre de Lavabrou. Il leur tire avec le fusil Lebel. Il chasse aussi le lapin ou les moineaux avec un fusil à piston à un coup qui doit dater au moins du temps de Philippe-Auguste.
Je vais me coucher de bonne heure, car la nuit dernière je n’ai pas trop dormi, il m’arrive cependant de faire le tour du cadran.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Sénas le 7 janvier 1916

Bien chers Parents,

Je voulais profiter de la soirée de dimanche pour aller me promener sur les bords de la Durance, mais le vent souffle si fort et il fait si froid que je suis resté dedans, c’est presque assez de sortir la semaine avec un temps pareil. Ce matin j’ai pu aller à la messe à 7 heures et demi, dimanche dernier j’y suis allé aussi ainsi qu’à vêpres; on ne s’est ou passer le temps et on s’ennuie beaucoup.
Pendant les trois derniers jours nous avons fait plus de 60 kilomètres de marche : il faut bien ca pour maintenir l’entraînement.
Je n’ai pas trop souffert des pieds n'y de la fatigue si on n’en voyait pas de plus dures ca irait bien. Cette semaine on en fera sans doute autant.
Depuis quelques jours je n’ai pas reçu de lettre de personne : je ne sais pas si les correspondances ont du retard, ca va sans doute arriver tout d’un coup.
J’ai entendu dire que les permissions pour la 30e division étaient suspendues mais je ne sais pas pourquoi, il paraît qu’il y aurait plusieurs motifs; j’ai écrit à Jean Collière et à quelques camarades du 58e, pour le premier de l’an et j’attends leurs réponses.
Depuis la Noël il n’y a pas eu de renfort demandé au dépôt, mais ca va venir tout d’un coup au moment où on y pense le moins. Il paraît que d’ici à la fin du mois il ne doit plus rester un homme disponible dans le dépôt. Je ne crois pas qu’on est de la peine pour les ramasser car il n’en reste pas beaucoup.
Je vais aussi écrire à Pierre pour voir ce qu’il dit, il paraît qu’il ne fait pas trop froid sur le front, mais qu’il y pleut beaucoup aussi il ne manque pas de boue. Il y a trois ou quatre jours qu’il ne m’a pas écrit aussi j’espère avoir quelque chose se soir ou demain matin. Dans la semaine j’ai vu des prisonniers allemands qui travaillent dans une ferme. J’ai entendu que le patron disait qu’il en était bien content. Eux aussi paraissent contents, ils sont bien nourris et font des travaux variés et pas trop pénibles.
Pour le moment je ne vois plus grand chose d’intéressant à vous dire, aussi je vous quitte en vous envoyant mon plus affectueux bonjour.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Sénas 11 Janvier 1917

Chers Parents,

Demain matin 12 je quitte de nouveau Sénas pour Avignon où je suis rappelé pour un renfort. Je m’attendais tous les jours à partir aussi je n’ai pas été surpris lorsqu’on m’a appris la nouvelle.
Je ne sais pas encore pour quel régiment ça sera, il faut pour ça attendre d’être à Avignon où nous pourrons nous renseigner. Je crains que se soit pour l’Armée d’Orient, car on demande beaucoup de monde; mais il n’y a rien de sûr.
L’autre jour j’ai reçu une lettre de mon ancien caporal du front, il me disait qu’il avait appris que j’étais à Sénas, et me priés d’aller me faire connaître chez ses amis, qui habitent ici, et de leur donner le bonjour de ma part. Hier j’y suis allé et on a été bien content de me voir. On m’a dit que la caporal était ici le jour de la Noël et comme lui n'y moi ne savions notre présence nous n’avons pu nous voir. Ca m’aurait bien fait plaisir de le voir, car nous étions bien d’accord, et nous aurions passé un moment bien agréable.
L’autre jour pendant l’exercice nous avons un cylindre à vapeur qui avait sauté le talus de la route et qui était sans dessus dessous. Nous avons en même temps repéré le charbon qui y était dessus nous promettant de ne pas le laisser perdu. Donc hier soir avec un de mes camarades nous sommes partis en bicyclette, et le sac vide sur le dos et nous avons rapporté chacun une briquette de 10 kilos. Ce qui fait qu’on en aura pour allumer le poêle pendant quelques jours, surtout à présent qu’il ne fait pas trop chaud. Pour la saison la température n’est pas rigoureuse et se supporte facilement.
Dès que je serais arrivé à Avignon je vous tiendrais au courant de la situation, en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Vous pouvez m’adresser les lettres à la 25e Cie Avignon.
J’apprends à la dernière heure que le renfort est pour la 35e qui est à Salonique. Donc sauf ordre contraire c’est pour partir là-bas.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Avignon 145 Janvier 1917

Chers Parents,

Ce matin je devais être habillé pour le 35e car le 40e devait fournir 10 hommes pour le renfort et il n’est venu qu’avec 7 ce qui fait que les trois hommes qui manquent devaient être fournis par le 58e et ce matin j’étais du nombre. Dans la journée il est venu un homme qui sortaientt de l’hôpital de Marseille, et comme son tour de départ était venu depuis longtemps, il part à ce renfort, on en a déniché un autre qui n’est encore jamais monté, et qui passe ainsi avant moi. Il ne manque que le 141e à venir, et s’il n’est pas complet je serai un des premiers à marcher. Si encore de ce coup-ci je ne part pas je demanderai si je ne peu pas aller au 58e. Pour aller à Salonique je préférai y aller avec le 58e qu’avec un autre régiment.
Si par cas je pars au 35e j’irai à Besançon où je resterai encore quelques jours, on fait emporter là-haut les effets de treillis et de dépôt, je ne sais pas à quoi ils peuvent bien servir.
De Besançon on part directement pour Brindisi en traversant l’Italie d’un bout à l’autre, puis on contourne la Grèce, sur mer, et on débarque à Salonique, puis on va vers Monastir en attendant d’aller plus loin.
Ce doit être un beau et émouvant voyage, et ca ne me déplairait pas du tout de le faire. Après tout que je sois à Salonique ou à Reims ou à Verdun c’est partout la guerre.
Il paraît que ce n’est pas si commode pour les permissions, puis je crois que dans le mois de février elles vont être supprimées ce qui fait que tout le monde sera content. On va tenter, je crois, un coup décisif et il faut que tout le monde soit là pour le coup final.
Un caporal qui se matin, revenait de permission m’a dit que chez lui il y avait des prisonniers boches travaillant dans les fermes. Un de ces prisonniers a reçu de chez lui un colis de noix. En mangeant de ces noix il en a trouvé une qui avait déjà été ouverte et vidé. Elle avait été recollée et contenait un papier où sa mère lui annonçait la mort de ses deux frères, et qu’en Allemagne on souffrait beaucoup du manque de vivres. Elle lui disait qu’elle avait beaucoup maigri, faute de soins et que probablement lorsque lui mangerait les noix elle serait morte de faim, tant la misère la fesait souffrir, et la privait du nécessaire. Est-ce vrai ce que disait la mère ? Il est vrai qu’elle a envoyé le papier et que le boche l’a reçu.
Le "radical" journal de Marseille parle d’une jeune fille des environs de Poitiers qui, aurait eu des visions et aurait entendu des voix. Comme Jeanne d’Arc. Elle disait que la guerre serait finie dans 3 mois au moins si on mettait sur les drapeaux l’image de S.C.
Vous devez sans doute en avoir entendu parler. Mon camarade avec lequel nous allions à la messe à Sénas, est venu aussi à Avignon et il m’a fait faire la connaissance d’un autre caporal qui est prêtre. Je le connaissait depuis longtemps mais j’ignorais ce qu’il était. Ce qui fait que dimanche matin nous avons pu assister à la messe. Ce caporal dit la messe tout les jours dans la chapelle d’un asile de vieillards, à 200 m de la caserne.
J’ai reçu dernièrement des nouvelles de Pierre et j’attends toujours des vôtres je pense que se sera pour demain matin.
A bientôt d’autres nouvelles. Joseph

J’ai écrit à Tonton et à Tata pour le premier janvier et je n’ai pas encore de réponse.
J’ai écrit à Jean Collière pour qu’il me dise lorsqu’il serait à Marseille et à quel endroit se trouve son bataillon. Car si je peux je tâcherai d’aller à Marseille pour le voir avant de partir, je verrai aussi mes anciens camarades. Demain matin j’aurai sans doute la réponse.
Je vois passer tous les jours des trains complet de matériel de guerre pour Salonique. On voit beaucoup de canons lourds, et des grandes caisses contenant des avions. Il passe aussi beaucoup d’Anglais avec leur matériel.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

17 Janvier 1917 Avignon.

Chers Parents,

Hier et aujourd’hui j’ai reçu 3 lettres, hier celles datées du 11 et du 14 et aujourd’hui celle datée du 16.
Pour cette fois encore je ne suis pas parti, mais encore je n’en avait été si près. Les hommes des autres régiments qui manquaient sont arrivés ce qui fait que du 58e il n’est parti personne.
Un de mes camarades avait tellement peur de partir pour Salonique, qu’il n’est pas rentré d’une permission de vingt quatre heures. Si ce soir il n’est pas rentré il sera porté déserteur, et passera en conseil de guerre, dès qu’il se fera prendre.
Hier matin nous avons eu la neige il y en avait 15 cent. dans la cour dans la journée elle a fondu en partie mais cette nuit il a gelé aussi se n’était pas commode de circuler sans risquer de glisser. Aujourd’hui au soleil elle fond mais à l’ombre il ne dégèle pas.
Je pense qu’avec ce temps le furet doit avoir du travail avec les lapins.
Je n’ai pas trouvé Calmes à l’infirmerie et ca ne m’étonne pas puisque vous me dites qu’il est en permission. Je le verrai lorsqu’il sera rentré.
Jean Collière ne m’a pas écrit et il doit être sur le point de s’embarquer s’il ne l’a déjà fait. J’ai demandé si je ne pourrais pas aller au 58e et on m’a répondu que non, ce qu'il fait qu’il faut attendre les événements et aller là où le destin voudra.
Vous m’apprenez le prochain mariage de Paulin ca m’étonne que c'est homme est de si drôles d’idées. Je croyais que lorsqu’il le disait il le faisait pour rire, mais je vois que c’est pour de bon.
Hier au soir je suis allé passer ma soirée au "foyer du soldat". On y est très bien, on a tout ce qu’il faut pour lire, écrire, et jouer, on n’est pas obligé de consommer. Les consommations sont bon marché. Ce que l’on paye en ville 6 ou 7 sous coûte ici 2 ou 3 sous et c’est de la meilleure marchandise. Hier je n’ai pu terminer ma lettre, et je continue aujourd’hui jeudi matin. Je suis revenu passer ma soirée au "foyer" et j’irai aussi souvent que je pourrais car c’est le meilleur endroit où l’on puisse passer son temps.
Le Radical de Marseille le roi des canards nous annonçait une sensationnelle nouvelle. D’après lui les Allemands devaient avoir évacué la France le 17-1-16 à minuit, par un miracle de la Ste Vierge. Il a consacré à cela une colonne de son journal. Inutile de dire que la religion y était tournée en dérision.
Il a de nouveau gelé assez fort cette nuit, et ce matin le temps est couvert comme s’il allait faire de la neige.
En attendant de vous donner d’autres nouvelles, je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Avignon 20 Janvier 1917

Bien chers Parents,

On est en train de faire une rafle au 58e pour le moment ce sont les gradés qui sont de la sauce. Dernièrement un général est passé au dépôt et a demandé à voir le contrôle des hommes et gradés. Il s’est aperçu qu’il y avait beaucoup de caporaux et de sergents de trop. Aujourd’hui il est arrivé une dépêche disant de les envoyer sur le front dans le plus bref délai. Il y en a les ¾ qui partent les autres seront pour une autre fois. Mon camarade est du nombre. Il y en a beaucoup qui ont été très surpris car ils ne s’attendaient pas de si tôt, à cette désagréable surprise. J’ai peur que l’on fasse bientôt pour les hommes se que l’on fait pour les gradés. Les hommes ne seront pas si surpris car depuis longtemps on s’attend à partir.
Ici on attend dire assez souvent que la guerre sera bientôt fini, il y en aurait pour 3 mois au plus. Quelques fournisseurs ou fabricants pour l’armée auraient déjà leurs commandes limitées. Il paraît qu’à Marseille une usine de munitions serait fermée, et une autre n’aurait qu’un nombre de tant d’obus à faire et puis fermerait. Tout ca en prévision de la fin prochaine de la guerre.
On dit aussi que les classes 88 et 89 vont être renvoyées dans leurs foyers.
On dit aussi que l’Angleterre prépare la démobilisation de son armée et prépare l’après-guerre.
On dit que l’Allemagne est à toute extrémité au point de vue de l’alimentation. On dit qu’elle veut la paix coûte que coûte, et que des négociations secrètes ont lieu. Enfin ont dit aussi que nous sommes plus près de la fin que ce que nous croyons.
Souhaitons que cela soit vrai que cette guerre finisse bientôt et que nous n’en entendions plus parler.
Pour le moment il ne faut pas trop croire à tout cela, il faut en prendre et en laisser; car nous pourrions encore être déçus. Continuons à patienter et à prier, et nous viendrons à bout de toutes nos souffrances.
Je viens de recevoir une carte de Riom, Tata me remercie de la lettre que je leur ai envoyé au 1er janvier et m’envoie ces meilleurs vœux de bonne année. Elle a joint à la carte un mandat de 10 f. J’ai reçu une carte de Paul Rendu, il languit d’en désosser un autre comme celui de Saliès, il aurait besoin de renouveler les quelques coups de fourchettes, à côté de Lavabrou, pour lui remettre les idées en place. Il n’en pas l’air de s’en faire, quoiqu’il soit dans la boue jusqu’au ventre.
En attendant de vous donner d’autres nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Je suis très mal placé pour écrire aussi ca laisse un peu à désirer.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Avignon 22 Janvier 1917

Bien chers Parents,

Il y a grand remue ménage en ce moment-ci au dépôt et surtout à la 25e Compagnie. On est en train de faire la levée en masse, surtout des gradés, et je vous assure qu’il n’en manque pas il y en avait la moitié d’embusqués d’un côté ou de l’autre et voilà que tout ca rentre pour poser le képi rouge et prendre le casque. Beaucoup d’entre eux verront le front pour la première fois. Les embusqués tremblent de tous leurs membres.
Ceux qui ne sont pas trop favorisé par le "piston" partiront mais les vrais "chevaliers de l’embusque" ceux, qui doivent leur place à un coupou plusieurs coups de "piston" ceux-là resteront.
Hier soir il est parti une douzaine de caporaux pour le 55e ils sont allés pour le moment à Pont-St-Esprit. Mon camarade était du nombre. Nous sommes allés à la messe à 7 heures. Les sœurs nous ont payé le café, et de 8 heures à midi nous avons causé. Il a fallu recoudre tous les boutons, coudre les galons et les écussons, et comme nous ne sommes pas de forts tailleurs il nous a fallu un bon moment. J’ai aidé aussi à 2 autres caporaux à monter le sac et à coudre, car ils étaient pressés et n’avaient pas de temps à perdre. A midi nous sommes allé dîner dans un petit restaurant et les 3 caporaux m’on payé le dîner.
Nous sommes allé nous promener un peu en ville et à 3 heures nous sommes allé à Vêpres, a la sortie nous sommes allé prendre un chocolat au foyer et nous sommes rentré à la caserne. Pendant le souper le détachement est parti, je suis allé à la gare de Pont d’Avignon pour leur faire mes adieux, et à 8 heures j’étais couché.
Samedi soir je suis allé au théâtre, pour profiter d’un billet de faveur que l’on m’avait offert.
Se soir part un détachement pour le 118e territorial. Le caporal prêtre part dans ce convoi. Il a été blessé, et a une épaule à moitié démoli, il faut qu’il parte quand même.
Il paraît que d’ici à la fin du mois il ne reste plus un homme apte au dépôt. Attendons les événements.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

26 Janvier 1917

Bien chers Parents,

Je suis de nouveau aujourd’hui en plein travail. Cette fois c’est pour moi que je travaille car je viens d’être habillé et équipé de neuf. Je viens d’être désigné pour un renfort, pour le 155e régt. d’inf. Ce coup-ci je ne suis pas surnombre, mais il ne s’en manque pas de beaucoup. Le renfort pour le 58e est de 38 hommes et je suis le 38e. Ce qui m’avait ainsi reculé se sont les hommes du 58e qui sont venus de Toulouse, où ils ont été reconnus inaptes pour l’Armée d’Orient.
En temps de paix le 155 a son dépôt à Commercy, dans la Meuse, et je crois qu’actuellement il est à St Brieux dans les Côtes du Nord.
Je vais donc faire partie d’un régiment de l’Est, et je reverrai les "gars" de la Meuse qui savent tant critiquer les troupes du Midi.
On aura l’occasion de leur faire voir réellement ce que l’on est.
Je ne sais pas encore quel jour on partira, c’est probable qu’on ne restera pas longtemps, car il n’y a pas beaucoup de détachements à rentrer.
D’ici on va au dépôt divisionnaire où s’établit un tour de départ comme ici, ce qui fait qu’il peut y avoir encore pour quelques jours avant qu’on aille aux tranchées.
Je crois que tous les régiments actifs sont au repos à l’arrière en train de se reformer, et être prêts pour donner le coup final.
Je n’ai pas sur moi l’insigne du St.C. vous pourriez me l’envoyer le plus tôt possible, car d’un jour à l’autre il faut s’attendre à partir. Vous pourriez aussi m’envoyer un colis pour manger en route car, avec ce qu’on nous donne on en a pas de reste. Dès que je saurais exactement le jour du départ je vous l’enverrai tout de suite.
Je monte toujours bien contents, il y en a qui ont le caffard en se voyant en tenue du front, moi je ne m’en fais pas car il n’y a pas de quoi.
Pour aujourd’hui je vous quitte et à bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Nelle : (adresse)
Rascalou 58e Infie 25 Cie
renfort du 155e
Avignon (Vaucluse)

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Avignon le 30 Janvier 1917

Bien chers Parents,

Je crois que le départ sera pour mercredi soir. Le détachement n’étant pas encore complet on ne peut pas partir, mais dès que tout le monde sera arrivé on ne tardera pas à partir. Nous avons tout touché et nous sommes prêts. A la gare régulatrice nous recevrons les effets d’hiver et je crois que nous en aurons besoin car il fait rudement froid. Pour le moment je n’ai besoin de rien, car on nous donne tout ce qu’il nous faut, et nous sommes obligé de le recevoir, bien que l’on ai des effets personnel à soi.
Ce matin j’ai reçu votre lettre, le colis n’est pas encore arrivé ce sera sans doute pour se soir ou pour demain matin, ce qu'il fait qu’il tombera juste à point pour faire la route.
Nous ne savons pas encore dans quel secteur nous irons, on disait que ce régiment était en Argonne, mais il aurait été relevé dernièrement pour aller au Mort-Homme et à la cote 304. Car ca y barde en ce moment-ci. Il paraît que ce régiment a la fourragère, mais on n’en ai pas sûr, en tout cas il est cité à l’ordre de l’armée, et nous saurons décrocher la fourragère à la première occasion.
Parmi les hommes du renfort, tous ne sont pas des Méridionaux, il y a des Bretons, des Auvergnats, des Savoyards, des Lorrains, etc c’est tout mêlé il y en a qui font déjà le 5 ou 6e régiment.
Il y a aussi deux matelots relevés de la marine pour punitions. L’un d’eux est Breton et a 8 ans de service sur mer il a été puni à Salonique il était détaché à l’armée Serbe, et comme il aime bien le vin il lui ait arrivé d’en boire un coup de trop ce qui lui a fait faire quelque bêtise. Puis il a un nom qui n’est guère rassurant, il s’appelle Lebrigand.
Le deuxième est d’Alger, il a été puni pour avoir eu 24h d’absence. Il a fait 6 mois dans les fusilliers marins. Il ait rescapé d’un cuirassé coulé dernièrement et a servi à bord des sous-marins. Il a aussi 3 citations à l’ordre de l’armée navale. Ils sont versé dans l’infanterie pour se réabiliter, et à la première citation ils seront renvoyé dans la marine.
Souvent ils nous parlent de leurs voyages et des combats auxquels ils ont assisté.
Ils reconnaissent que les Alliés ont la maîtrise des mers, mais que leurs flottes ne peuvent rien faire, car la flotte allemande se tient toujours bloquée. Nous avons voulu leur dire que les Boches avaient plus de sous-marins que nous. Ils nous ont répondu que c’était une erreur, car les Français seuls en auraient 270 environ ils nous ont cité le nom de 25 s.m. affectés à un seul port de la Méditerranée. Mais ils ne peuvent rien torpiller car rien ne sort tandis que notre flotte marchande va comme d’habitude.
Ici il court le bruit que que le bateau portant le 58 et le 40 aurait été coulé. Je n’ose pas le croire, car on en dit tellement. Il faut espérer que ce sera un faux bruit, et que nous aurons bientôt des nouvelles de ceux qui sont partis là-bas. Vous en avez peut-être déjà reçu.
Pour le moment je ne vois plus rien à vous dire, avant de partir je vous écrirai encore. Ne vous faites pas de mauvais sang pour moi. Je pars content et je ne m’en fais pas. Je suis heureux d’aller reprendre ma place de combat, et j’ai le bon espoir, que nous reviendront bientôt tous, avec la victoire et la paix que nous désirons tant.
Toujours courage et confiance, et prions car la prière est la seule arme qui nous donnera la victoire.
Le bonjour aux amis et voisins, je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Il fait ici un froid terrible, hier le mistral était glacé et soufflait très fort. La nuit il gèle dans nos chambres, et nous n’avons pas de feu. Il faut bien un peu s’habituer car là-haut il ne doit pas faire chaud non plus.

1917 : février

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Vendredi 2 Février 1916

Chers Parents,
Ce matin je suis arrivé à Troyes après un long voyage. Nous sommes arrivés à 9h du matin et nous étions partis d’Avignon mercredi à 9 heures du soir. Ce qui rend le voyage pénible c’est le froid.
Pendant la première nuit nous n’avons pas eu trop froid car les wagons étaient chauffés mais à la nuit suivante ont avait mis des wagons de marchandises entre nos wagons et la machine ce qui fait que le chauffage n’a pas marché du tout. De plus nous avons passé cette nuit dans une gare et le train n’a fait que manœuvrer et nous rendait tout sommeil impossible par suite des coups des tampons.
Nous sommes donc arrivés à Troyes complètement gelés. Heureusement que nous avons toute la journée de vendredi à passer ici. Sitôt arrivés nous avons touché les effets d’hiver et une 2e couverture, et tout ca alourdit le sac. Nous prenons 2 repas commode à la caserne, avec vin et dessert, et cigarettes. C’est dommage qu’on ne soit que de passage, car on s’abonnerait vite à cet ordinaire. Une cantine tenue par des dames anglaises de la Croix Rouge, nous sert du café et des cigarettes à volonté et gratis. Dans l’après-midi je suis allé voir la ville afin de faire une connaissance de plus. C’est une jolie ville, assez grande. A présent je suis dans une salle de lecture qui naturellement est comple. Un soldat chante une chanson pendant qu’un autre l’accompagne au piano.
Nous partons se soir à 10 heures pour destination inconnue. Nous n’avons pu deviner où se trouvait le régiment. Nous avons rencontré des permissionnaires ils n’en savent pas plus que nous. Le régiment a été relevé et on ne sait pas où il a passé.
Je vous ai envoyé une carte de Lyon, je pense que vous l’avez reçue.
J’avais oublié de dire que j’avais reçu le colis juste au moment de partir, et j’ai trouvé que le fricandeau et le friton n’était pas mauvais. Ne m’écrivez pas avant que je vous ai envoyé une adresse définitive car les lettre ne pourraient pas suivre, en changeant si souvent. Dès que je serai arrivé à Destination, je vous écrirez plus longuement.
A bientôt
Joseph

Le pain que nous mangeons est complètement gelé, et nous n’avons pas besoin de mettre le vin au frais avant de le boire.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

4 Février 1917

Chers Parents,

Me voilà donc arrivé sur le front depuis ce matin dimanche. Ca a été bien long et surtout pénible car nous avons beaucoup souffert du froid qui est exessif. Il y en a qui ont eu les pieds gelés dans le train, et ils sont déjà évacués. Cette nuit il devait y avoir 15 ou 18 degrés au-dessous de zéro.
Avant d’arriver à destination il m’est arrivé avec plusieurs camarades, un petit incident, qui nous a un peu allongé le voyage. Nous devions changer de train à Châlons s. Marne et comme nous n’en savions rien et que nous n’avons pas entendu lorsqu’on disait qu’il fallait descendre nous avions continué notre route vers Ste Menehould. A St Hilaire nous avons voulu nous renseigner, et on nous a dit que le 155e était descendu à Châlons. Alors il a fallu attendre que le train retourne sur Châlons. Pendant ce temps nous sommes allé prendre le café, et 2 heures après nous reprenions le train pour Châlons et puis pour Epernay, où nous arrivions à 9h, et à 5h du soir nous reprenions encore le train pour Momtmort. Toujours à la recherche du renfort. Nous arrivons à Montmort à 9 au soir et le détachement était passé à 4h et se trouvait à 6 km. Nous trouvons une grange pour coucher mais le froid nous empêche de dormir. Le lendemain après nous être renseignés nous repartons, un automobiliste nous prend dans son camion et nous arrivons enfin avec les camarades, et on nous apprend que nous ne sommes pas les seuls en retard il en manque encore une quinzaine et ont ne sait pas où ils sont.
Je crois que nous allons occuper les tranchées du côté du Berry au Bac, sans doute là où était Pierre il y a quelques jours.
On entend dire encore qu’il va y avoir un coup à donner. Souhaitons que ce soit le bon et le dernier.
A bientôt d’autres nouvelles.
Je embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lorsque vous m’écrirez vous me mettrez une feuille et une enveloppe car il ne m’en reste que 2 ou 3 et il n’y pas moyen de rien acheter.
Nouvelle adresse :
Rascalou Hilarion
155e Régt d’Infie
12e Compagnie
Dépôt divisionnaire (s.p.206)

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 12-2-17

Bien chers Parents,

Depuis deux jours ils commence à ne pas faire si froid. La nuit il ne gèle pas si fort et le jour il dégèle au soleil. Ce n’est pas malheureux que le temps se radoucisse un peu, car ce froid était un peu trop rude. Le pain et les p. de t. sont encore gelés, et la viande est frigorifié naturellement.
Pour la nourriture ce n’est pas tout à fait comme au 58e nous n’avons qu’une fois par jour de la soupe et du rata, et 2 fois de la viande. Le matin nous avons le rata, et le soir la soupe.
Comme boissons nous avons 1 quart de café le matin, 2 quarts de vin le matin à la soupe, 1 quart de thé et un quart de café à la soupe du soir. Pour ca il n’y a rien à dire. Le soir nous allons à l’exercice de 11h½ à 4h du soir avec le chargement complet. Le matin le réveil est à 7 heures et une corvée de bois et épluchage de pommes de terre.
Je croyais être seul aveyronnais et je viens d’en trouver un de Peyreleau et un autre de Millau ou des environs. Chacun de nous croyait être seul et voilà qu’on se trouve sans se chercher. Celui de Peyreleau s’appelle Cartayrade, son père est à Veyrac et il a un frère loué à Saliès. Au 58e il était à la 3e compagnie. Je ne connait pas encore celui de Millau. Ca ne fait qu’on ne sera jamais si isolé et qu’on pourra parler du pays de temps en temps.
Depuis que je suis ici je n’ai pas encore reçu de lettres de personne, tous ceux qui sont venus en renfort n’en ont pas encore reçu, ça viendra sans doute tout à la fois.
Je ne sais pas si l’on restera dans se secteur il paraît qu’on irait sur un autre point du front.
Dès que vous aurez des nouvelles de Jean Collière vous voudrez bien m’en donner, ainsi que sa nouvelle adresse.
Nous sommes à l’arrière c’est à peine si on entend le canon et nous ne trouvons rien à acheter pas même un journal, pour savoir ce qui se passe.
En attendant de vous donner de mes nouvelles et de recevoir des vôtres je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph.

Adresse : Rascalou Hilarion
155e Régiment d’Infanterie
12e Compagnie Dépôt divisionnaire
Secteur postal 206

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 21-2-17

Bien chers Parents,

Je viens de recevoir aujourd’hui votre lettre du 16, elle aurait dû m’être donnée hier mais, je ne sais pas pourquoi, hier il n’y a pas eu de distribution.
J’ai reçu aussi en même temps une lettre de Pierre, il me dit qu’il est toujours dans la Somme, et qu’ils attendent les Anglais pour les relever. Il me donne aussi l’adresse de Léonce Andrieu, qui est au 9e génie et qui a le même secteur postal. S’il est aussi dans les environs je ferai mon possible pour le voir.
Depuis dimanche nous avons changé de cantonnement, nous sommes dans une ferme. Tous les jours nous allons couper du bois dans une forêt. Nous partons le matin à 8h pour rentrer le soir à 5h et à 11h la roulante nous porte la soupe sur place.
Le bois que nous coupons sert à faire des piquets et des fascines. Les fascines sont des fagots de 30 cent. de diam. et de 4 m de long et doivent servir à l’artillerie pour passer les boyaux et tranchées lorsque nous ferons de l’avant.
Nous sommes en tout 500 environ, et plus de 300 marchent de front en abattant les arbres, les autres sont derrière pour scier et lier les fascines. Le bois est très épais aussi les arbres sont minces et très longs. Je vous assure qu’on ne serait pas en peine pour faire des piquets pour la vigne. Presque tous sont des hêtres, on laisse tous les chênes et les bouleaux. Le premier jour nous avons eu la pluie tout le temps aussi on est rentré tous mouillé, aujourd’hui il y avait du brouillard et dans la soirée il a fait un peu soleil.
Dans la ferme que nous sommes nous ne sommes pas trop mal logés. Mon escouade est logée dans les "castres" d’une écurie de porcs. Nous sommes deux par case, et c’est de là que je vous écris, pendant que mon camarade lit le journal. Un "castre" est occupé par un porc à l’engrais, et nous sert de compagnon. Un 2e sert de prison on vient d’y mettre deux soldats, qui y sont fermé avec le verrou et un homme baïonnette au canon devant la porte.
Nous nous sommes rapprochés d’un village où l’on peut se procurer se que l’on veut. On est autorisé à y aller de 6h à 8h du soir et comme il est à 2 km ½, ce n’est pas commode. Aussi on fait des économies, ainsi le 15 j’ai touché 3f75 de prêt et c’est à peine si j’ai dépensé 20 sous pour des bougies ou des allumettes.
La nourriture va un peu mieux mais ca ne vaut pas encore le 58e.
Depuis dimanche nous sommes sous le commandement du colonel du 155e et il tient à nous faire prendre le pli du régiment. Aussi on trouve un peu de changement avec le 58e. La discipline est stricte et l’entraînement intense.
Je fais partie de la 165e division, division d’élite, et le régiment est de fer. Nous sommes obligés d’apprendre par cœur le serment suivant "A tous nos frères morts pour la Patrie, à tous nos vieillards, à toutes nos femmes, à tous nos enfants, outragés par l’ennemi, nous promettons de lutter bravement, jusqu’à la mort s’il le faut, pour délivrer la France. »
Pendant que je suis en train d’écrire je reçois le colis, je ne l’ai pas encore ouvert ca sera pour demain et la cuissette ne sera pas mauvaise pour déjeuner dans la forêt.
Nous avons le temps doux et pluvieux aussi nous avons beaucoup de boue et il y a de l’eau partout par suite du dégel et de la pluie. J’ai vu une mare où il y avait encore une couche de glace de 30 centimètres ca avait gelé tellement fort, qu’il faut longtemps pour que cela dégèle.
Il est 8 heures et je vais me coucher ce qui est vite fait, je dors bien et je n’ai pas froid, pendant que les rats courent sur la capote et les couvertures.
Je suis en bonne santé pas même le moindre rhume, et j’ai bon appétit aussi je fais honneur au rata.

En attendant de vous donner d’autres nouvelles recevez, chers Parents mon plus affectueux bonjour.
Joseph

Le colonel donne des permissions de 24 heures et de la journée à tous ceux qui ont des parents dans les environs. On peut aller à Paris.
On retire tous les mineurs à partir de la classe 1906 et plus anciennes. J’ai un camarade qui vient de partir d’ici pour travailler chez lui. Figurez-vous ça joie !
La lettre part demain lundi 22-2-17

1917 : mars

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 12 Mars 1917

Bien chers Parents,

Je viens de recevoir votre lettre du 8, et je vous fais réponse tout de suite.
La neige qui était tombée le 7 et le 8 est tout à fait fondue grâce au vent du midi qui a remplacé le vent du nord.
Aussi touts les chemins et les ruisseaux débordent, est c’est presque impossible de passer dans les champs sans s’enfoncer jusqu’à mi-jambe.
Je n’ai pas eu de nouvelles de Pierre depuis quelques jours. Je pense qu’il aura sa permission, mais je ne peux pas savoir encore s'il l’on pourra se rencontrer. Ici les permissionnaires partent régulièrement à mesure qu’il en rentre il en part autant.
Je ne crois pas pouvoir aller en permission à Paris, car les permissions de 24 heures sont très limitées, et elles durent 3 jours le délai de route n’est pas compris, et je ne sais pas trop ce que je ferais tout seul pendant tout ce temps. Lorsque je viendrai en permission je passerai à Paris et j’aurais sans doute quelques heures d’arrêt. Je pourrais alors aller voir le caporal Pineau, après l’avoir averti. Comme peut-être aussi d’ici, au jour que je partirai on peut changer de secteur et passer ailleurs.
Si la bas il passe beaucoup de grives ici on voit beaucoup de canards, et d’oies sauvages on voit aussi beaucoup d’étourneaux.
Vous me disez que Paulin et Yvonnette sont rentrés de leur voyage de noces. Je ne me figure pas encore qu'elle est cette Yvonette, elle ne doit pas être d’Aguessac, car je la connaîtrez. Mais si elle a 17 ans, je crois, ca doit faire un joli couple.
Nous languissons nous aussi le beau temps car on commence d’être fatigué de tants d’humidité, et c’est contraire au bien être du poilu.
Dans mon escouade nous sommes 13, et de 13 départements différents, deux sont des pays envahis. Vous voyez qu’on est beaucoup mélangés. Dans la compagnie il y a beaucoup de Parisiens et de Bretons.
En attendant d’autres nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 19 Mars 1917

Bien chers Parents

Je me suis mis en retard pour vous donner de mes nouvelles. C’est que depuis jeudi soir je marche vers le front, et je n’ai pas eu le temps d’écrire.
J’ai aussi changé de régiment je suis affecté au 287e de ligne. Je ne sais pas encore si c’est à titre définitif ou bien temporairement, pour remplacer comme travailleur des hommes qui sont allés faire un stage de fusilliers mitrailleurs.
Ca ne me fait rien de rester dans ce régiment car ça a l’air d’aller mieux qu’au 155e, on y est toujours mieux nourris.
Pour faire le changement nous avons fait plus de 80 kilom en 3 jours, et toujours avec tout le barda sur les dos, et pour être plus souples à la marche on nous a donné un quart de vin, une ration de pain et un morceau de viande crue. Voilà ce qu’on nous a donné pour 3 jours de marche. Aussi il a fallu employer le système D et grâce aux artilleurs ou aux tringlots on a pu manger.
En route j’ai pu acheter 1 litre de vin, 30 sous, et un litre de lait cinq sous. On ne trouve plus de vin à moins de 45 sous le litre, on préfère s’en passer que de mettre ce prix.
Pour le moment je suis logé dans des baraquements et je suis séparé de tous mes camarades, nous avons été dispersés un peu partout. Dans ma nouvelle escouade j’ai trouvé des soldats du Lot et du Tarn et Garonne ce qui fait que j’entends encore un peu parler patois.
Nous sommes là pour faire des travaux de terrassements. Aujourd’hui il y a repos, et puis travail toute la semaine.
Je vais rester encore quelques jours sans recevoir de vos nouvelles. Je ne crois pas que rien se perdre car on fera tout suivre.
Je languis bien d’avoir des nouvelles de Pierre car il y a quelques jours que je n’en ai pas eues.
Nous venons d’apprendre la victoire anglaise. Peut-être que la division de Pierre y a participé.
J’espère que ma lettre vous arrivera bientôt, et que j’aurai sous peu de vos bonnes nouvelles.
En attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

PS. Je suis dans la zone dangereuse et les obus ne tombent pas bien loin. Fini d’être embusqué !
Adresse : Rascalou Hilarion
287e Régt d’Inf 19e Compagnie
s.p.206.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 26 Mars 1917

Bien chers Parents,

Je viens d’avoir une visite à laquelle je ne m’attendais pas beaucoup. C’est Léonce Andrieu qui est venu me voir.
Je lui avais écrit il y a huit jours, sitot après mon changement, et il n’a reçu ma lettre qu’aujourd’hui, sitôt qu’il a eu reçue il s’est mis en route, car il n’est qu’à demi-heure de mon cantonnement. J’ai été bien content de le voir, car ca fait toujours plaisir de rencontrer quelqu’un du pays et de causer un peu. Nous sommes restés une heure ensemble. Il est en bonne santé et m’a dit de vous donner le bonjour.
Probablement qu’on se verra encore car on n’est pas éloigné.
Hier dimanche nous avons eu une journée émuvante. Il était à peine jour, que 4 avions boches passaient au-dessus des baraquements, et nous lâchaient en passant six bombes, et ils rentraient tranquillement dans leurs lignes sans être inquiétés par nos canons, n'y par nos aviateurs. Sitôt arrivés au travail nous avions à peine commencé que les boches nous envoient une douzaine d’obus. Heureusement un seul a éclaté blessant 2 artilleurs qui étaient à côté de nous. Puis à l’heure de la soupe, on mangeait tranquillement lorsque la séance a recommencé on a vite laissé tout en plan pour se mettre à l’abri.
Pendant toute la journée les avions boches nous survolaient, sans que l’on voit trop des nôtres.
En arrivant au cantonnement on nous apprend qu’un aviateur ennemi a été obligé d’atterir sous le feu d’un de nos chasseur et a été fait prisonnier.
Peu de temps a peu près un autre avion boche était pris en chasse par un des notres. J’ai très bien vu le combat et j’ai eu le plaisir de voir piquer le boche verticalement dans nos lignes.
Enfin dans la soirée un troisième appareil touché par nos obus tombait à son tour.
Ca fait 3 avions ennemis abattus dans peu de temps et presque au même endroit.
Dans la nuit nous avons eu alerte. Vers 2 ou 3 heures du matin le canttonnement a été bombardé par les obus. Il en est tombé 5 dans 7 ou 8 minutes. Dès que le premier est tombé tout le monde a été éveillé mais on ne savait pas bien se que c’était, mais au deuxième on ne se l’ai fait pas dire deux fois pour évacuer les baraques. Ca été un sauve qui peut général, tout le monde partait en pleine nuit vers les abris de bombardement. Malheureusement il y en a qui ont payé de leur vie. Un obus est tombé sur le poste de secours et il y a eu 4 ou 5 tués, presque tous étaient père de quatre enfants, et avaient un emploi peu exposés et voilà que ça tombe juste sur eux. Il y a eu 40 ou 45 blessés, plusieurs grièvement.
Je crois que les nuits prochaines on ne dormira pas tranquilles car on a peur de se réveiller dans l’autre monde.
Je n’ai pas encore reçu de nouvelles de Pierre. J’espère en avoir d’ici quelques jours.
Nous avons aujourd’hui la pluie, et hier il a fait beau toute la journée, le temps change bien vite, et ne s’échauffe pas du tout.
A bientôt de nouvelles en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

1917 : avril

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 12 Avril 1917

Bien chers Parents,

J’ai enfin reçu de vos nouvelles et de Pierre, hier au soir j’en ai eu une des vôtres du 2 et une de Pierre datée du 3, aujourd’hui deux des votres du 28 et du 26. J’ai reçu aussi il y a quelques jours un colis contenant du fricandeau, de la saucisse et du chocolat. Petit à petit tout arrivera mais avec ces changements ca toujours du retard. Je languissais surtout de savoir quelque chose de Pierre car je le savais en danger. Il me dit qu’il ne m’avait pas écrit parce qu’il n’avait pas de papier. Enfin l’essentiel est qu’il est en bonne santé, et qu’il ne s’en fait pas. Il me dit qu’il a pris deux lapins aux lacets.
Je viens de passer quelques mauvaises journées et surtout quelques mauvaises nuits. Pendant toute la semaine sainte et cette semaine-ci je suis monté en première ligne faire le ravitaillement en torpilles et je vous assure que ce n’était pas le filon.
Nous avons 15 kilom à faire aller et retour pour aller aux positions. Dans les boyaux il y avait de la boue jusqu’aux genoux, et il fallait marcher là-dedans avec une torpille de 18k. sur l’épaule, quand les boches ne tiraient pas trop ca pouvait encore aller, mais ca ne leur arrivait pas souvent. Le 3e soir que nous montions nous allions arriver au dépôt de m. lorsqu’on nous apprend que les boches ont avancé et qu’ils sont à l’endroit où l’on portait les torpilles, il a fallu se retourner et passer 2 fois sous le tir de barrage. Si nous étions partis une heure plus tot on était fait prisonnier car nous n’avions pas d’armes pour nous défendre et on n’aurait pas pu se sauver. Le lendemain nous avons voulu y revenir mais comme nous faisions la contre-attaque nous n’avons pu passer sous le tir de barrage. Je ne crois pas qu’on y revienne et tout le monde en est bien content, car c’est trop fatiguant et les obus pètent un peu trop près. Hier au soir il en a éclaté un à moins d’un mètre de moi, je me suis vu dans le feu, et en ai été quitte pour une peur.
Le samedi saint nous avons eu une petite surprise qui aurait pu avoir des suites fâcheuses. Après la soupe du soir on se préparait à partir au travail, le temps était couvert et il faisait beaucoup de vent, tout à coup on voit un avion qui se levait, vers l’arrière, et venait vers nous à moins de 100m de hauteur, se dirigeant sur les tranchées. On croyait un des nôtres, mais on s’est vite aperçu que c’était un boche. On remarquait parfaitement les croix noire et le pilote. Il passait si vite qu’on a eu juste le temps de lui tirer quelques balles, heureusement il en a reçu car il balançait beaucoup, et partait quand même chez lui. En route il a croisé deux avions français de chasse qui l’on obligé à faire demi-tour et à atterrir chez nous. L’aviateur a été fait prisonnier, et l’avion a été brulé par lui avant de se rendre. Nos aviateurs l’ont forcé à atterrir sans lui tirer un coup de feu. Si par malheur il avait rentré chez lui, il nous faisait tous démolir car il avait bien du nous repérer.
Je ne suis plus avec Léonce il est parti d’un autre côté. Je ne suis plus non plus avec Cartayrade, je ne sais pas où il est.
Nous avons toujours le mauvais temps, et nous couchons sous la toile de tente. A bientôt d’autres nouvelles. Le bonjour aux voisins.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Reçu la lettre contenant l’insigne du S.C.

Lettre de JOSEPH à sa soeur LOUISE

Aux Armées le 18-4-17

Bien chère Louise

Je viens de recevoir ta lettre datée du 3 avec celle de Maman expédiée le 10, je les ai reçu toutes les deux à la fois.
J’ai reçu aussi la sarcelle dimanche dernier, mais Léonce n’était pas là pour m’aider à la manger. Elle est arrivée à bon port, elle était bien faisandée aussi elle en a été que meilleure et j’en ai laissé que les os.
Tu fais bien de me donner l’adresse de Gabriel Rayal, car on n’est pas bien loin l’un de l’autre et peut-être nous pourrons nous voir. Pendant la première quinzaine d’avril j’étais constamment au millieu des batteries du 155, je ne souviens pas en avoir vu du 117.
Je suis à Jonchery, occupé à décharger les wagons d’obus, il te faudrait voir lorsqu’un train de munitions vient d’être déchargé, s’il y en a des cigares et des pains de sucre (pour les Boches). Puis les autos et les artilleurs se chargent de la livraison à domicile, malheureusement ils (les boches) sont exigeant et se font payer souvent assez cher.
Nous venons de faire une bonne avance, et de nombreux prisonniers, espérons que cela continuera. Les prisonniers passent tous les jours, je n’ai pas pu réussir à en voir passer.
Ce matin il y en a un qui a ramassé une poignée d’avoine dans la boue, et la mangée il y a dit qu’il y avait cinq jours qu’il n’avait rien mangé.
Dernièrement nos avons pris une tranchée boche, et dans un abri on a retrouvé un prisonnier français blessé au millieu de boches également blessés, il a dit que les boches ne pouvaient pas ramener à l’arrière leurs blessés tant le feu de l’artillerie française était intense, c’est tout juste si leur nourriture pouvait arriver. Pendant les 5 jours qu’il est resté là les boches ne lui ont rien donné à manger. Eux n’avaient qu’un peu de bouillon, de café et de pain noir. Pas de viande n'y de légumes.
Le jour de Pâques je n’ai pu aller à la messe tant j’étais fatigué, et j’envie le bonheur de Pierre qui a pu gagner ses Pâques.
Pour les permissions ca ne marchent pas très bien, il faut espérer que ca ne durera pas.
Je continue ma lettre aujourd’hui 19. Tout aujourd’hui ont a entendu le roulement du canon. Ca doit être l’attaque qui continue.
J’ai reçu aujourd’hui une lettre d’un camarade qui est à Salonique il me donne des nouvelles de tous les anciens camarades qui sont là-bas.
Je n’en ai pas de Jean Collière j’espère que chez lui on doit en avoir.
Pour le moment je ne vois plus rien à te dire aussi je te quitte en t’embrassant de tout mon cœur.
Ton frère
Joseph.

Je viens de recevoir aujourd’hui la lettre de Maman datée du 16.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 24 Avril 1917

Bien chers Parents,

Je suis revenu définitivement au dépot divisionnaire depuis hier dimanche, je suis à la 8e Cie au lieu de la 12e.
Je ne sais pas si j’y resterai longtemps car la division a eu des pertes et il faudra des hommes, pour boucher les trous. Pour le moment nous sommes à l’arrière, et nous attendons des ordres (et surtout les permissions) nous logeons dans un bois sous la toile de tente. Les boches ont bombardé la nuit dernière à côté de nous et je n’ai rien entendu tant je dormai de bon cœur.
Le beau temps a l’air d’être revenu nous avons le vent du nord, et il y 4 jours qu’il n’a pas plu.
Hier j’ai reçu des nouvelles de Pierre, datée du 7, la lettre était adressée au 287e et a passé par plusieurs compagnie avant de m’arriver aussi elle a eu du retard.
J’ai vu un groupe de prisonniers au travail, ils n’avaient pas l’air contents, et faisaient mauvaise figure; je ne sais pas si on va en faire d’autres dans la région ca n’a pas marché comme l’on aurait cru. Chaque fois c’est la même chose, il y a toujours un imprévu qui fait rater le coup ou du moins le retarde. Depuis Pâques les troupes franco-anglaises ont fait du bon travail, il faut espérer que cela ne s’arrêtera pas là. Des troupes russes sont campés à côté de nous tous les soirs nous les entendons chanter, ils chantent souvent l’hymme national, naturellement on ne comprend rien à ce qu’ils disent.
Depuis 3 ou 4 jours, les totos ont fait leur apparition, tant qu’on n’en a pas beaucoup on peut s’en débarrasser, car ils ne sont pas agréables quand vous m’enverrez un colis vous pourriez y mettre quelque chose qui les fasse partir.
J’ai perdu mon couteau depuis 8 jours et n’ai pu en trouver un autre. Vous pourrez m’en mettre un aussi, mais pas bien cher car on les perd trop facilement.
Les permissions sont toujours au 3%, aussi ca ne va pas vite et je ne peux savoir quand je viendrai.
En attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 25 Avril 1917

Bien chers Parents,

Depuis hier je suis au régiment, affecté à la 10e Cie. Presque tous les hommes du dépôt divisionnaire ont été envoyé en renfort pour remplacer les pertes que le régiment a eu pendant la dernière attaque.
J’ai vu Cartayrade il est à la 5e Cie, et était au régiment depuis quelque temps. Il a participé à l’attaque et s’en est bien tiré.
Je crois que le régiment monte se soir en ligne, naturellement je monterai aussi, je ne sais pas se qu’on va faire. Enfin je monte avec bon courage et bon espoir. Pour tant qu’il y est des pertes il y en a toujours qui revienne et je serai de ceux-là.
Il ne faut pas penser à venir encore en permission. Pour la division elles sont supprimées, et on ne sait pas quand elles reprendront.
J’ai eu des nouvelles de Pierre dernièrement, j’espère en avoir d’ici peu. J’ai peur que les lettres n’arrivent encore avec du retard, par suite du changement de compagnie. Je vais lui écrire aujourd’hui, vous pourrez lui donner mon adresse en cas qu’il tarde à recevoir mes lettres.
Je vous recommande de bien prier pour moi, et d’avoir toujours confiance, le bon Dieu aura pitié de nous, et mettra fin à cette terrible guerre. On languit beaucoup que ça finisse bientot car on trouve que ca se fait trop long et on en a assez.
En attendant de recevoir de vos nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Le bonjour aux amis et voisins.
Rascalou 155e Regt inf 10e Cie
s.p.206.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 26 Avril 1917

Bien chers Parents,

Enfin, vos lettres commencent à m’arriver à peu près régulièrement.
Hier au soir j’ai reçu le colis, il est arrivé à bon port. Il me rendra bien service car ici on ne peut rien acheter, et ce que l’on peut trouver coûte très cher. Une boîte de beurre qui pèse 190 grammes coûte 30 sous. On ne trouve pas de vin à moins de 3 ou 4 fr. la bouteille. Avant-hier j’ai reçu une lettre du 8 avril adressée au 287.
Aujourd’hui je viens de recevoir une lettre de Louise datée du 21, et une carte datée du 19. Ne m’adressez plus les lettres au d.d. mais à la 10e Cie du 155e. Le numéro du secteur n’a pas changé.
On croyait monter en ligne hier au soir; mais on n’a pas reçu d’ordres et nous attendons. Nous sommes un peu à l’arrière mais pas hors de portée des canons. Il tombe quelques obus à droite et à gauche, ce n’est pas grand-chose. On loge dans des baraques à côté d’un petit village. Ce soir on nous a envoyé à l’exercice, histoire de passer le temps.
Le beau temps paraît être revenu le vent du nord est froid mais aux abris il commence à faire chaud lorsqu’il y a le soleil. A la boue des jours derniers la poussière a pris place.
L’autre jour nous avons vu une "saucisse" boche qui avait son câble cassé et qui s’en allait vers l’intérieur emportée par le vent. Les aviateurs ennemis ont essayé de l’incendier mais n’ont pu y réussir. Le lendemain on apprenait par les journaux qu’elle avait survolé la banlieue est de Paris.
Je continue ma lettre ce matin vendredi; hier soir j’ai profité d’un peu de beau temps pour aller me promener avec deux camarades. La nuit dernière les boches ont lancé des bombes par avions, dans les environs. Ils cherchaient sans doute à atteindre les emplacements de nos ballons captifs. Aujourd’hui il a l’air de faire une belle journée. On entend les obus qui éclatent vers les lignes, le secteur ne doit pas être encore bien calme.
Depuis qu’on est au régiment on est mieux nourris. A chaque repas nous avons bouillon, légumes, presque toujours des haricots, viande, et un supplément soit sardines, confitures, fromage. On touche régulièrement les 2 quarts de vin, la ration de pain a été diminuée, aussi on n’en a pas de reste. Nous mangeons rarement des pommes de terre, il paraît qu’on n’en trouve plus à acheter. On mange toujours mieux qu’au dépôt divisionnaire. Pendant 2 ou 3 fois on ne nous a pas donné de pain, on nous l’a remplacé par des biscuits. Dernièrement j’ai mangé du pain noir, fait sans doute avec du seigle, c’est le pain que l’on donne aux Russes; il n’a pas le même goût que le notre, mais il n’est pas mauvais.
Je pense avoir ce soir des nouvelles de Pierre, il me disait dans sa dernière lettre qu’il était remonté en ligne, alors qu’il s’attendait à aller au repos, et être relevé du secteur. Je n’ai pas encore pu voir des artilleurs du régiment de Gabriel R. pourtant ont n’est qu’à 12 ou 15 kilom l’un de l’autre. Je n’ai pas revu Léonce et je ne sais pas où est sa compagnie.
Au moment où j’écris un boche vole au dessus de moi, le 75 tire dessus et on entend très bien tomber les éclats il vient d’en tomber un à 4 m. de moi. Je viens de me mettre à l’abri.
On m’apprend à l’instant qu’on monte en ligne se soir ou demain.
En attendant de vous donner d’autres nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur. Le bonjour aux voisins.
Joseph

1917 : mai

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 3 Mai 1917

Bien chers Parents,

J’ai reçu hier au soir votre lettre du 28 elle n’a mis que 4 jours pour venir, et elle m’a trouvé en première ligne. Je l’ai reçu à 10 heures du soir et je l’ai lu au clair de lune.
Depuis 6 jours je suis aux tranchées en 1ere ligne aux positions nouvellement conquises on organise le terrain et ce n’est pas trop le filon. Lorsque nous sommes arrivés il n’y avait pas du tout de tranchées. On s’abritait dans les trous d’obus que l’on avait un peu aménagé. Les 3 premiers jours je suis resté dans un trou, tout seul, tout le temps couché sans même pouvoir se mettre à genoux sans se faire voir, les obus tapaient toute la journée autour de moi. Je me figurais être dans une tombe attendant à chaque instant qu’un obus me tue et m’enterre à la fois. Dans ce trou j’ai subi 3 fois un tir de barrage, de plus d’une heure, je me demande comment je m’en suis sorti. Depuis le lever du jour jusqu’à la tombée de la nuit il faut rester là, aussi on a le temps d’en penser quelqu’unes. La nuit on allait travailler à la construction de la tranchée. Mais la terre est très dure et on n’en avance pas. Enfin nous commençons à avoir quelque chose de potable par bonheur ils ne la bombardent pas trop. C’est surtout à l’arrière que tombent les obus, sur les boyaux, sur les réserves, sur le ravitaillement. Ca ne cesse pas de tirer tant le jour comme la nuit.
Comme nourriture c’est le régime de Verdun. Un repas par jour pris à 2 heures du matin. Des haricots ou p. de terre en salade, viande, un quart de vin, le 2e se volatilise en route, un quart de café froid, on ne peut pas en porter plus, un ou deux quarts d’eau, une boîte de sardines pour casser la croûte dans la journée et une goutte de gnole. Avec ce régime-là on ne risque pas d’engraisser, mais ca ne durera pas longtemps et au repos on se rattrapera.
L’autre nuit en venant du ravitaillement et dans le boyau j’ai rencontré Léonce Andrieu. Le boyau était si étroit qu’on "s’esquichait" le ventre pour passer et nous ne nous reconnaissions pas. On ne pouvait pas être plus près. Le prem l’ai reconnu le premier, aussi il a été très surpris de me trouver là, il m’a dit qu’il écrirait qu’il m’a vu. C’est tout ce qu’on a pu se dire car ce n’était pas le moment de faire la causette. Hier au soir j’ai cru le reconnaître au clair de lune, il allait travailler à côté de nous. Je crois que toutes les nuits il vient au travail et je tâcherai de le voir pour lui donner ma lettre, car il passe la journée un peu en arrière.
Depuis que je suis ici, aujourd’hui seulement j’ai pu dormir un peu. Il y a 6 jours et six nuits que je n’avait pas fermé l’œil.
Je ne sais pas si on nous revelera bientôt on commence à en avoir "marre" et puis si on y reste encore longtemps je crois qu’il ne restera plus personne dans les compagnies, il y a beaucoup de blessés.
Le colonel nous a dit que dès que l’on serait au repos les permissions reprendraient et qu’il nous ferait rattraper le temps perdu. Qu’il se dépêche de nous faire relever et de nous envoyer en permission, car je languis bien de venir faire un petit tour. Encore quelques jours d’attente et ca viendra.
L’autre jour j’ai reçu une lettre de Pierre, il me parle du secteur où il était avant d’aller dans la Somme. J’ai passé aux mêmes endroits que lui. En ce moment-ci nous devons être dans le même département, lui à un bout moi à l’autre. Adrien Beluel doit être par là aussi. Je ne sais pas à quel régiment il est.
Je n’ai rien reçu de Jean, je voudrais bien lui écrire ainsi qu’à Eugène, c’est souvent le manque de papier qui me gêne. Je pense que tous les deux doivent être bien occupés à travailler avec Papa, car le beau temps a l’air d’être revenu.
Qu’ils travaillent toujours avec bon courage c’est leur manière de défendre la France, et qu’ils n’oublient pas de prier pour nous qui sommes au danger pour que le bon Dieu nous protège et nous ramène tous en bonne santé.
Je vous quitte pour aujourd’hui toujours courage et confiance. Le bonjour aux amis et voisins. Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 8 Mai 1917

Bien chers Parents,

Enfin je crois que les correspondances commencent à marcher régulièrement. Hier matin j’ai reçu votre dernière lettre datée du 4 reçue le 7 à 2h du matin elle était donc arrivée le 6, ce qui fait qu’elle n’a mis que deux jours pour faire le voyage. Le 7 au soir j’ai aussi reçu le colis, il est arrivé à bon port. Avant hier j’ai reçu 3 lettres à la fois dont une de Louise, et une autre adressée à Pierre, c’est moi qui l’ai reçue, il y avait une feuille de papier verre, sans doute Pierre vous l’avait demandée pour nettoyer son fusil, et voilà qu’elle va servir à nettoyer le mien, surtout qu’il en a besoin, car nous avons la pluie, ce qui le fait rouiller.
Hier au soir nous avons été relevés de 1ere ligne pour aller un peu à l’arrière en réserve. Nous sommes dans les anciennes tranchées boches il y reste encore de bons abris, mais il n’y en a pas pour tout le monde. On languissait bien d’être relevés de là car ce n’était pas trop agréable. Les boches ne nous laissaient pas une minute tranquille, ils nous bombardaient continuellement, là où nous sommes les obus tombent bien aussi, mais pas tant qu’en ligne. La nuit nous irons sans doute faire des travaux ou des corvées en première ligne car le secteur a besoin d’être organisé.
Jusqu’ici nous avons eu la chance d’avoir le beau temps, aussi à ce point de vue on n’a pas à se plaindre. Avant-hier il a fait un orage et a plus toute la nuit, la nuit dernière il a plu aussi toute la journée aussi ont est tous mouillé. Le soleil a l’air de se faire voir mais il n’est pas bien fort.
Nous ne sommes pas trop bien nourris mais vu les circonstances il ne faut pas se plaindre on a été plus mal que ca. Ici le ravitaillement vient sur place ce qui fait qu’on aura une corvée de moins à faire, et qu’on pourra manger à minuit au lieu de deux heures. Naturellement on mange tout froid, il y a 10 ou 12 jours qu’on n’a rien pris de chaud pas même un quart de café. Nous avons encore l’avantage d’avoir de l’eau, aussi on n’aura pas à souffrir de la soif comme en ligne.
Je n’ai pas revu Léonce Andrieu, s’il est encore dans le secteur on finira bien par se rencontrer. Le caporal de mon escouade a été à Millau, à l’hôpital du collège de jeunes filles, il y était au commencement de l’année 1915. Lorsque je viendrai en permission il veut me donner une commission pour des personnes dont il a fait la connaissance.
Je n’ai pas eu de lettres de Pierre depuis quelques jours, il doit être sans doute en déplacement car il s’attendait à quitter le secteur. Je vais lui écrire se soir.
Les permissions n’ont pas encore repris je ne sais pas pour quand ca sera. Je ne crois pas qu’on tarde longtemps à les rétablir surtout pour les corps qui seront au repos. Nous nous attendons aussi à changer de secteur, je ne sais pas pour quand ca sera n'y ou on ira.
Sur l’éclair qui était dans le colis, j’ai vu que les tancks avaient été cités à l’ordre du jour. J’ai eu l’occasion de voir ces engins là, mais de loin : on dirait une batteuse. Ils sont tous restés sur le champ de bataille, et on les a abandonné après y avoir mis le feu.
L’autre jour j’ai vu Cartayrade juste le temps de se toucher la main il était monté en ligne pour une corvée.
Il y a une quinzaine de jours qu’on n’a pas vu de journaux, aussi on n’est pas bien au courant de la situation.
Pour aujourd’hui je ne vois plus rien à vous dire, aussi je vous quitte en vous embrassant de tout mon coeur.
Le bonjour aux voisins.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 12 Mai 1917

Bien chers Parents,

Nous ne sommes pas encore au repos, nous sommes en réserve, et nous occupons les anciennes positions allemandes. Les boches ont construits de grands et profonds souterrains où ils étaient à l’abri de nos obus. A présent c’est nous qui les occupons. Le souterrain dans lequel je me trouve a 4 ou 5 kilomètres de long et est très bien aménagé, rien n’y manque eau et électricité, chambres pour officiers, lavabos, cuisines, cabinets, chambres de repos pour les hommes, téléphone, etc ils se figuraient sans doute rester là longtemps encore pour avoir fait des choses pareilles. A tous les croisements de couloirs sur toutes les portes se trouvent des inscriptions permettant de se retrouver facilement. Nous sommes tout un bataillon logé là-dedans. Tous les boches qui étaient là ont été faits prisonniers au moment de l’attaque. On en a gardé un, qui parle très bien le français, pour faire le concierge, et nous guider dans ces catacombes. Notre artillerie n’a rien démoli tant c'est solide et profond il n’y a que les entrées qui sont un peu endommagées. L’électricité ne fonctionne plus, il y a les fils et les lampes, la dynamo a été démoli. Au dehors les tranchées n’existent plus tout a été défoncé et le sol est recouvert d’effets, d’armes, et d’équipements.
Je ne sais pas si l’on va rester longtemps encore, tout le monde est bien fatigué, et a besoin d’un peu de repos. Nous avons des pertes tous les jours aussi les compagnies n’ont pas un fort effectif. Plusieurs de mes camarades qui étaient partis avec moi d’Avignon ont été tués. Dans la nuit du 8 au 9 j’ai failli y passer, un 130 a éclaté à 2 mètres de moi, j’ai été tout recouvert de terre, et j’ai cru avoir les oreilles crevées, de toute le nuit je n’entendais pas de l’oreille gauche c'a c’est passé comme ça. Hier un de mes camarades a été blessé à côté de moi il est tombé dans mes bras. Des 2 sergents de ma sections un a été tué et l’autre blessé par le même obus.
Avant-hier j’ai assisté à un émouvant combat d’avions, un des nos avions de reconnaissance a été attaqué par un chasseur boche, c’était impressionnant de les voir tourner sur place cherchant à s’éviter l’un l’autre, et les mitrailleuses tiraient continuellement, tout à coup on a vu l’avion français tourner de côté et piquer vers la terre, il était touché, il a descendu assez bien, mais en arrivant à terre il a capoté et a pris feu tout de suite. Il paraît qu’un des deux aviateurs a été sauvé. Le lendemain on a vu descendre en flammes deux avions boches.
Hier au soir j’ai reçu le colis, il est arrivé à bon port, je pense que se soir il y aura une lettre; tout m’arrive régulièrement.
Comme je ne dors pas de toute la nuit je vais faire la sieste, aussi je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Je viens de recevoir la lettre datée du 8 et m’annonçant l’envoi du colis. Je n’en ai pas reçu de Pierre, se sera sans doute pour demain.

Hier je n’ai plus pensé à donner ma lettre aux hommes qui allaient au ravitaillement, aussi elle est restée dans ma poche, et vous arrivera un jour en retard. Ce soir c’est moi qui vais toucher le ravit. aussi je ne l’oublierai pas. On pense être relevé demain ou après demain au soir pour aller au grand repos. En venant en permis. je tâcherai de porter quelque chose ayant appartenu aux Boches.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 17 Mai 1917

Bien chers Parents

Nous voilà enfin relevés des tranchées depuis ce matin. Pour les derniers jours nous avons eu le mauvais temps, aussi je vous assure que nous sommes arrivés au cantonnement dans un joli état. Jamais je ne m’étais vu aussi sale que cette fois-ci, et heureusement je n’étais pas le seul. Il y a 20 jours que je ne m’étais pas débarbouillé puis pendant les cinq derniers nous avons logé dans les souterrains boches qui étaient dans l’obscurité la plus complète, pour s’éclairer on a employé de l’essence : a fabrique des lampes de fortune, qui fumaient beaucoup, on brulaient aussi des fils téléphonique, c’est le caoutchouc qui brûlaient, tout ca faisait de la fumée qui ne pouvait s’échapper, et on a vécu cinq jours là dedans aussi on semblait de vrais ramoneurs, puis pendant la relève il a plu, on a sué, on s’est rempli de boue, enfin on n’était plus reconnaissable, tout ceux qui nous voyaient passer ce demandait d’où nous venions pour être dans un état pareil.
On est parti des tranchées à 2h du matin sans avoir mangé aussi on n’avait pas grand courage, bien que l’on aille vers l’arrière. A 6 heures nous sommes arrivés à l’emplacement des cuisines. Nous avons touché 2 quarts de jus bien chaud, un litre de vin, une demi boule de pain, demi livre de fromage de gruyère, et une soupe, et une bonne goutte de gnole, on a fait un bon déjeuner, car on a tout mangé et tout bu dans un coup, aussi ca nous a remonté le moral, et donné des forces pour continuer la route. A 8 heures nous sommes repartis tout le monde était content de venir au repos et surtout de s’en être tiré. Le colonel est venu nous attendre, et il a bien ri en nous voyant si noirs. Le l' j’ai entendu qu'il disait en riant qu’il ne nous avait jamais vus si beaux. Du coup il a fait sortir la musique, et nous a fait rentrer au village au pas cadencé et en musique. Malgré la fatigue qui nous accablait nous avons défilé devant le colonel, à une bonne allure, et nous sommes rentrés au cantonnement.
En arrivant au cantonnement on m’appris que Cartayrade était parti en permission, vous devez sans doute l’avoir déjà vu. Ne lui donnez rien pour moi, car je serais peut-être parti lorsqu’il arrivera. Les permissions on l’air de reprendre,on parle du 15 pour %, on irait même jusqu’au 25 p. % comme il y a cinq mois que je suis rentrer je pense que mon tour n’est pas loin. Encore je ne puis rien dire de sur. Je pense que Pierre est à la veille de venir s’il n’est déjà au milieu de vous.
J’ai rapporté des tranchées quelques effets boches : un morceau de bande de mitrailleuse avec 12 cart. un masque à gaz complet, 2 pattes d’épaules, un paquet de pansements, des boutons, une cartouchière, etc, si ce n’était qu’il faille porter tout ca sur le dos j’aurai pu porter de quoi monter un musée. Nous étions dans les souterrains où on était pris les 1 300 prisonniers dont a parlé le communiqué il y a un mois. Ils ont été pris là dedans comme un rat dans une ratière.
A présent que nous sommes au repos ce n’est pas la peine que vous m’envoyé de colis, car je n’ai besoin de rien pour le moment, puis j’espère que l’on me fera le plaisir de m’envoyer en perm.
A bientôt d’autres nouvelles en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 19 Mai 1917

Bien chers Parents,

J’ai reçu hier une lettre de Pierre il me dit qu’il a changé de secteur et du fait c’est rapproché de moi. Il est à Révillon au nord de Fismes, moi je suis à Bouvancourt sur la droite de Fismes il doit y avoir sans doute 20 ou 25 kilom. ce n’est pas bien loin. Ce l’est quand même assez pour y aller à pied, il faudrait pouvoir profiter d’une auto ou de quelques voitures. J’ai écrit tout de suite à Pierre pour lui dire où j’étais, et qu’il tâche de venir me voir, si c’était plus facile à lui qu’à moi. Il me dit qu’il va bientôt partir en permission, peut-être qu’en partant il pourra faire un détour et venir à ma rencontre. Je vous assure que ce serait avec plaisir si l’on pouvait se voir ne serait-ce qu’un instant.
Vous devez sans doute avoir vu Léonce Andrieu, car ici, on m’a dit qu’il est en permission, pour le moment sa Cie est à côté de la mienne, et s’il était là on se verrait tous les jours. Je ne pense pas qu’on reste là encore bientot longtemps. Ce soir deux bataillons remontent pour quelques jours pour faire des travaux.
Le Colonel a félicité le 3e bataillon, où je suis, pour sa belle entrée dans le cantonnement. Pendant le défilé chacun a fait appel à tout son courage, et à toute sa volonté pour marcher crânement, malgré la fatigue, devant le colonel, il a été si touché de nous voir qu’il en avait les larmes aux yeux.
J’apprends à l’instant que nous quittons le cantonnement pour aller un peu plus en avant, sans doute pour faire des travaux. Lorsque nous serons complètement relevés et au repos, le colonel va envoyer tout le monde en permission. Qu’il se dépêche donc de nous envoyer au repos et je serais bientôt au milieu de vous.
Le jour où nous avons été relevés, nous avons trouvé beaucoup de changement en arrivant vers l’arrière. Lorsque nous sommes monté la végétation n’avait pas encore bougé et voilà qu’à présent tout est vert et en fleurs. Des tranchées on ne s’était pas aperçu du changement car la haut les obus retournent tout le sol et déchiquètent tous les arbres. La côte 108 notamment est entièrement défoncée elle est toute blanche, on dirait un coin du front de Verdun, à pareille époque de l’an dernier.
Hier j’ai reçu le colis et avant-hier la lettre de Louise, elle n’a mis que deux jours pour venir, le colis a mis un jour de plus.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

1917 : juin

Lettre de PIERRE à ses PARENTS

Des armées le 18-6-17

Bien Chers Parents,

Me voila déjà dans la zone dangereuse. Hier j'étais déjà salué par les obus ennemis. Si nous mettons assez longtemps pour descendre je vous assure que nous sommes bien vite montés. Enfin le voyage c'est assez bien passé. A Quenaguet j'ai trouvé l'entrepreneur des écoles et un Aldias. Nous avons fait presque tout le chemin ensemble. Avec Jonquet nous sommes venus jusqu'à Crépy et j'ai accompagné Aldias jusqu'à Finnes. Nous ne nous sommes pas languis tout le long du chemin. De Rodez à Orléans nous sommes resté rien que nous quatre dans un compartiment ce qui nous a permis de dormir un peu. De Brives a Orléans nous étions tout quatre dans un bon compartiment de seconde. Je n'ai pu passer à Riom. Ayant trouvé ces trois pays j'ai préféré faire voyage avec eux que de le faire seul par Riom. Les aviez-vous avertis de mon passage ?
A Séverac j'ai vu un Fagon. J'ai eu de la peine à le reconnaitre tant il est devenu gris. Il était armé d'une ligne et de la valise. Tout de l'embusqué. Il m'a demandé des nouvelles du trident. Hélas il se doutait de l'affaire.
Je ne suis encore qu'au TC mais ce soir je vais rejoindre ma compagnie en ligne. Ils pensent être relevés sous peu pour aller au grand repos.
Il faudra que dans le premier colis vous me metiez un crayon que j'ai oublié, et un couteau car j'ai oublié l'autre dans le train.
Je ne vous en dis pas plus long pour aujourd'hui.
Le bonjour aux voisins et au fils Alric. Qu'il ne se presse pas pour remonter.
Je vous embrasse tous
Pierre

Je n'ai pas encore digéré la trippe. Je n'ai presque rien mangé pendant tout le voyage.

Lettre de LEON BARAU à son camarade JOSEPH

Le Pirée le 22 Juin 1917

Mon cher ami

Je fait réponse à ta lettre que j’ai reçue aveque plesir da prendre que tu été en bonne santé car de puis quelques temp je langisait de tes nouvelles comme de puis tas dernière lettre tu me disait que tu montes aux tranchés du cotés de Bery au Bac et comme je set qu'il a bardés de set côté-là sa me tardes de resevoir de tes nouvelles, il y a quelques jour que nous an parlion de toi avec Bouer et Bèrtrand et Abbat avec abbat nous somme ensemble et Bouer son avec Bèrtrand à la compagnie des mitrailleusses nous somme tous près des un au sautre la santé et bonne ainsi que tous les camarades de la 15 escouade den il me charge de faire bien des compliments de sa par. Je vet te parler un peu de la vie dorient nous somme raités deux moi en position sur les frontièrre de Serbie ou nous sommes raités praique tous le temp da la neige en fin can nous somme party le 20 Mais il y en navet en corre sur la siseme des Montagne nous avon fait une ataque le 10 Mais la taque des gradi lesgain que tu doi avoir vue sur les journaux mai le régiment été en réserve puisque nous étions rien que le régiment et nous étion à la 122e Division le 61eme le 40eme et le 19arti étai aller à Monastir pour lataque générale mai nous lavon eu dan le cu de partous a près nous avont été relevet et nous avont marcher 10 jours an san inversses du fron on se demandes où nous alion mais arrivet a une ville que lon apelle Catarina nous somme raités 4 jour et nous avont fait demi-tour en chemin de fèr et nous somme venue a Salonique en barquet en bataux et nous somme raités 4 jour sur l’eau ses ta dire que nous avon eu que 48 heure de traverset et nous somme raités 48 heure en rade à Salamine et puis nous avont desbarquet au pirée mai les troupe on débarquet par des chaloupe a bor de mer et une fois setre enparet de la ville nous autre nous avon des barquet aveque les mulet au port nous étion plus de 40 navires
Cuirassés ou trasport de troupes tous sa setai pour faire obliquet le roi Constatin la foule setadire les partisans du roi sétai resemblé pour nou anpeches de desbarquet mai camp il nous on veu an donbre il on tu peur et il se son débinet les un en retour athènne les autre se son caches dan le pirée il net raiter dehor que les veniselistte des femme ou des enfant qu'il étai a cablés de la fain car de puis plus six mois les ouvriers ne touches que 90 gramme de pain et les autre personne en tous ches 60 gramme et les enfant 40 gr et de puis 8 jour il an navet plus du tous aussi baucou des personne son morte de fain ses onteux de voir une chosses pareille a près avoir débarquet nous marchion sur athenne mai arrivet à 2 ou 3 kmetre de la ville le roi se voyens perdu il a envoyer un colonel de son éta magor en nous supliant de saretes que le roi alles partir et de puis nous somme la pour maintenir l’ordre je croix que dant quelques jour nous seron dan athenne se son des baux pays
je ten dit pas plus lon car le papier me manquerait je termine ma lettre en te donnant une bonne poigner de main ainsi que tous les poilus de la 15 Ec.
Ton ami Devoué Barau Léon
ecri moi souvent tu me feras plesir

J’ai oublié de dire que le commandant de maintenant avet eu une jambe coupet dan la taque des cra di lesgain

1917 : juillet

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 9 Juillet 1917

Bien chers Parents,

Je viens de recevoir votre lettre du 4 juillet, et je vous fais réponse tout de suite, car se soir nous partons à Verdun.
Il paraît qu’on va faire des travaux comme on en faisait avant l’attaque du 16. D’autres disent qu’on va prendre un secteur.
Ce que soit pour l’un ou pour l’autre on monte aux tranchées et une fois là-haut on verra ce qu’il y a à faire.
Dans les derniers renforts qui sont venus il y a des jeunes de la classe 17 et des récupérés qui étaient dans les formations sanitaires et qui n’ont jamais vu les tranchées. Aussi à présent ils ne rigolent pas trop; surtout en montant leur sac, pour aller à Verdun.
Nous avons la pluie, depuis 2 ou 3 jours aussi il y a de la boue ce qui ne vas pas être commode pour marcher.
Le fils Alric a de la chance d’avoir 12 jours de perm. pour avoir pris un boche. Je voudrais bien en prendre une douzaine et avoir 12 jours pour chacun d’eux. En allant au pays où l’on fait les prisonniers cela peut m’arriver aussi bien qu’à un autre.
Je vous envoie la lettre de mon camarade qui est à Salonique, vous verrez ce qu’il dit, (ne faites pas attention à l’orthographe ).
Le drapeau du régiment va à Paris pour la revue du 14 juillet, une section de 30 hommes pris dans le régiment l’accompagne. Un soldat de mon escouade fait partie de cette section. Les hommes sont choisis parmi les plus braves et les plus anciens au régiment.
J’ai trouvé à acheter du papier à lettre et des enveloppes aussi ce n’est pas la peine que vous en mettiez dans les lettres, comme je vous l’avez demandé.
Pour le moment je ne vois plus rien à vous dire en attendant de recevoir de vos nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur;
Joseph

Mes meilleurs souhaits de bonne fête à Eugène.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 13-14 Juillet 1917

Bien chers Parents,
En attendant l’heure de la soupe je profite d’un moment pour vous écrire. Car se soir j’ai envie d’aller assister à l’atterrissage d’une de nos saucisses qui est en position à côté de notre logement. Ce matin à 4 heures j’ai vu passer une saucisse boche qui s’était débiné, elle était à demi dégonflé et ne volait pas bien haut, nos artilleurs y ont tiré des obus incendiaires sans pouvoir l’atteindre. Elle venait de la droite de Verdun, elle est rentrée dans nos lignes, et le vent l’a reconduite chez les boches car le front fait le fer à cheval, elle doit avoir passé vers le Mort Homme.
Pour le moment nous sommes logés dans de profondes sapes, très bien aménagées, éclairées à l’électricité, je suis à 600 m du fort St Michel, où je me trouvais à pareille époque l’an dernier. Avant de venir ici nous avons passé 24 heures aux casernes Miribel dans les faubourgs de Verdun.
Ces casernes ne sont pas trop démolies et peuvent encore loger de la troupe.
Tous les jours on se lève 3 heures et à 4 h on part au travail, on travaille à la construction et à l’aménagement de routes que l’on a fait depuis les dernières attaques. On rentre à midi.
Sur le terrain qui a été si bouleversé par le bombardement et où se sont livré tant de durs combats circulent à présent les trains et les autos qui portent le ravitaillement le matériel, les munitions presque jusqu en première ligne.
(9h du soir) La saucisse est parti a un autre endroit ce qui fait que je n’ai pu la voir. Demain 14 juillet nous irons au travail comme d’habitude. Il paraît que l’ordinaire sera un peu amélioré, et qu’on aura du champagne, une bouteille a six et un cigare à deux. Peut-être les boches nous en enverrons quelqu'un des leurs. Jusqu’ici ils ne tirent pas trop mais de temps en temps, ils envoient quelques obus, pour ne pas en perdre l’habitude.
(14 j) Voilà qu’encore je n’ai pas terminé ma lettre, je voulais la finir après-midi pour quelle parte se soir. J’ai fait la sieste après la soupe et je ne me suis réveillé qu’à 5 heures heures de la soupe, et le vaguemestre était parti.
J’ai reçu se soir une carte de Paul Rendu, il me dit qu’il est au repos, je le croyais encore au Mort Homme et je pensais à lui ce matin, car on entendait le roulement du canon de ce côté-là.
Il m’envoie la photo de son escouade, elle est très bien tirée, je connais son caporal qui est à côté de lui, c’est celui qui portait les dépêches à Millau.
J’ai reçu aussi une lettre de Pierre et il me dit qu’il est toujours au repos et qu’il ne s’en fait pas, car il trouve tout ce dont il a besoin.
Avant de monter j’ai rencontré Cartayrade et il m’a dit qu’il partait le soir même en permission, peut-être que vous l’avez déjà vu. Je n’ai pas revu Léonce, son tour ne doit pas être loin, s’il n’est pas déjà parti.
Au moment où je vous écris 14 au soir on entend toujours le roulement d’un tir de barrage, vers le Mort Homme ceux qui sont là-bas n’ont pas trop le filon.
Je pense qu’on montera bientôt en ligne, vous pourriez m’envoyer un colis, car là-haut on ne trouve rien.
A bientôt d’autres nouvelles.

Joseph

1917 : août

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 6 Août 1917

Bien chers Parents,

Je viens d’avoir une pénible déception, j’étais à la veille de vous offrir une agréable surprise, en venant en permission, mais voilà que les permissions sont momentanément suspendues. J’étais le 3e à partir, et sans ça je serai au milieu de vous ou surement j’aurais rencontré Pierre car il croit être en perm. le 15 août. Qu'elle belle fête si nous avions pu la passer tous ensemble, toute la famille réunie.
Mais pour des raisons militaires il faudra que je la passe ici.
Ce sera un autre genre que celles passées au pays. On vient de nous distribuer des effets neufs, j’ai touché un pantalon en échange des vieux, tous les jours nous avons exercice, et nous faisons répétition pour la grande pièce que nous allons jouer un de ces jours. Tout le monde soigne sa tenue, fait un peu de fantaisie, pour paraître devant les boches, car c’est à eux que l’on va avoir à faire.
Je vais être du nombre de ceux qui vont faire reculer l’ennemi et délivrer un coin du territoire français. Vous avez sans doute compris qu’il va y avoir attaque, et bien sûr on va attaquer d’ici quelques jours.
Je fais partir de la première vague, on marchera derrière un feu roulant d’obus brisants, inoffensifs pour nous, et notre tâche terminée nous serons relevés, ca ne sera pas long, j’aurais la meilleure place, belle occasion pour rapporter des souvenirs pris aux boches, car il va en rester sur le terrain.
Je ne sais pas pour quel jour ca sera, enfin je suis toujours bien content, et c’est avec courage, et confiance, que je monterais sur la parapet pour m’élancer à l’assaut. J’ai la certitude d’en revenir car les premières vagues ont le moins de pertes, et puis il y a l’espoir de la fine blessure.
Autant que possible je vous tiendrai au courant de la situation, naturellement pendant l’action je ne pourrais pas vous écrire, mais ne vous en faites pas pour ça, je vous recommande seulement de bien prier pour le 15 août, afin que ca réussisse et que je revienne sain et sauf.
Ce soir nous avons représentation théatrale, les artiste sont de choix et l’ont va passer une belle après-midi.
Le moral est excellent, on trouve du pinart à volonté, un peu cher mais on vient de nous payer le prêt j’ai touché 13 francs, indemnité de tranché comprise et on ne veut pas monter avec de l’argent en poche car il ne sert à rien là-haut, puis on en touchera d’autre en descendant. Aussi il y en a qui en abuse, et il y a des soulographes, je crois que les brancardiers ont plus de travail ici qu’en ligne, j’en ai déjà vu deux portés sur des brancards. Gare la veille du départ ca va être général.
A bientôt d’autres nouvelles et le plaisir d’en recevoir des votres, hier, j’ai reçu votre carte.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 12 Août

Bien chers Parents,

Nous avons eu repos aujourd’hui toute la journée, ce matin je suis allé à la messe, ce soir j’irai à la prière. Pendant l’après-midi je suis allé avec un camarade me promener à Vassincourt. Comme on ne connaissait pas le chemin on a fait 6 ou 7 kilom. de trop au milieu des bois. Dans un de ces bois nous sommes tombés sur deux chasseurs qui étaient à l’affut du sanglier. Nous sommes enfin arrivé au village qui est complètement brûlé et démoli. Il est en voie de reconstruction, des prisonniers boche sont employés au déblaiment. Les civiles habitent des baraques en planches, et attendent que des jours meilleurs voient la reconstruction complète de leur village. L’église a été totalement restaurée. Dans les champs on voit des tombes de soldats français, ce sont surtout des soldats du 373e. Car le quinzième corps s’est battu par là vers le 10 septembre 1914. Dans le village il y a un bistrot où l’on sert à boire et à manger. Nous avons bu une cannette. Le soir j’irai encore à la prière et demain lundi, je ferai la communion. C’est le dernier jour que nous passons ici. La petite fête a été fixée pour le 17, et durera pour nous 3 ou 4 jours. Demain nous allons faire les préparatifs du départ. On nous allège le plus possible. Nous ne porterons que le strict nécessaire en vivres et en munitions. Les derniers préparatifs se feront le soir avant de monter. Je tâcherai de vous écrire, peut-être qu’une carte, mais ca vous rassurera.
D’ailleurs il est inutile de vous en faire, car ca marchera très bien et les pertes seront minimes. Ne ne craignons que le bombardement qui précèdera la contre-attaque, car surement il faut s’attendre à ça de la part de MM. les boches. La tranchée boche qui est désignée comme objectif possède de bons abris, qui nous servirons. J’ai vu le plan précis et exact des organisations ennemies que nous avons devant nous et que nous devons enlever.
Pour cette fête il y aura bal et musique, nous danserons surtout la valse des fils de fer barbelés, et la polka des marmites. (Les dames ne sont pas admises).
Je monte donc avec la ferme résolutions de faire mon devoir, et de revenir sain et sauf, car j’ai confiance en la protection divine.
Si par cas un jour vous apprenez que je suis tué, (car il faut tout prévoir) souvenez-vous que je serai mort en chrétien, et qu’un jour nous nous retrouverons dans le Ciel, pour vivre éternellement heureux.
Je vous recommande surtout de bien prier pour moi surtout lorsque vous aurez reçu cette lettre, car elle vous arrivera sans doute au moment de l’action.
En attendant de recevoir de vos nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux armées le 29 août

Bien chers Parents,

Nous voilas enfin relevés et au repos à l’arrière. Vous avez vu sur les journaux la 2e attaque du 26, j’en ai fait partie. C’est le 155 qui a pris Beaumont dimanche dernier, la lutte a été rude mais nous les avons eu quand même.
Je vous assure que ce jour la je me suis bien amusé.
Avant l’attaque, j’été logé dans des abris boches on est sorti a une heure du matin, l’artillerie boche ne tirait pas trop.
Avant de partir il arrive une corvée portant du vin, de la gnole, du fromage et du pain.
Aussi on a pu casser la croûte, et on a bu une bonne goutte.
En allant à la position de départ nous sommes pris sous le feu de barrage, j’ai juste eu le temps de m’enfiler dans une sape, qui d’ailleurs était bondé de soldats. C’est la que je perds mon sac. Le tir fini on prend position, on nous averti que ça va être l’heure, toutes nos pièces se mettent à tirer, c’est un roulement effroyable, il faut crier de toutes ses forces pour se faire entendre à 3 pas de soi.
Ce coup-ci je ne suis pas en première vague, mais dès que l’on c’est mis en marche je me suis efforcé de gagner la première vague, parce que c’est moins dangereux et c’est plus intéressant.
Nous arrivons à Beaumont, ou plutôt à l’endroit où était le village, les mitrailleuses commencent à tirer on marche toujours on trouve des sapes remplies de boches ils essayaient de résister, il leur a falu une distribution de grenades pour les décider à se rendre. C’est aux cris unanimes de Kamarade qu’ils sortaient de leur trous, les mains en l’air, plus morts que vifs.
On les dirige vers l’arrière après les avoir sommairement fouillés et gratifiés d’un bon coup de pied au derrière pour les dégourdir.
Presque tous étaient abrutis par notre bombardement, ils ne savaient plus où ils avaient la tête. J’en ai vu qui pleuraient comme des enfants, d’autres qui riaient comme des fous. On leur demandait des souvenirs qu’ils donnaient volontiers d’autres ne se débarrassaient de leurs menus objets que sous la menace du révolver que l’on plaçait sous leur nez. Je rapporte une montre, et une lampe électrique que j’ai prise à un officier boche. Je rapportai beaucoup d’autres choses, mais je me suis trouvé dans la journée dans une situation si critique que j’ai jugé prudent de me débarrasser, car j’ai failli être fait prisonnier.
Après avoir dépassé le village, on s’est arreté dans un trou d’obus, et a tout à coup on a vu les boches derrière nous, ils venaient de déclancher une contre attaque et essayaient de nous encercler. Je me suis replié un peu à l’ arrière.
Je leur ai tiré plus 80 coups de fusils, quelques uns étaient à moins de 25 mètres. Je suis sur de deux que j’ai vu tomber sous mes coups de fusils.
Le dimanche soir on s’est un peu replié car on était trop en avant, et dans la nuit on a été relevé pour aller en réserve. Le lendemain matin on était relevé et à 8 h on arrivait à Verdun, pour repartir à midi prendre les autos qui nous conduisaient au repos à Possesse où je suis actuellement.
Vous voyez que je m’en suis tiré, malheureusement beaucoup de mes camarades sont tombés. Ma section a été bien éprouvée. Nous sommes montés 33 et nous revenons 12 dont 9 tués 3 disparus, les autres blessés. Avant l’attaque nous avons eu des pertes par les gaz, j’ai été légèrement intoxiqué, mais ce n’est rien. Les officiers ont été bien éprouvés. Sur 44 qui sont montés 32 sont tombés. Mon commandement de compagnie a été mortellement blessé, un capitaine vient le remplacer, il est blessé le lendemain.
A Verdun le colonel nous a remerciés de ce que nous avions fait. Je crois que le régiment va avoir la fourragère, ce qui donnera deux jours de permission de plus.
Nous allons être équipés et habillé de neuf, et les permissions vont reprendre, ce qui est le plus intéressant.
L’autre jour j’ai reçu une lettre où vous me disiez que vous alliez m’envoyer un colis, je ne l’ai pas encore reçu.
Je pense que Pierre a terminé sa permission et qu’elle s’est bien passé, je vais lui écrire pour lui donner de mes nouvelles. Je pense en avoir bientôt des siennes.
J’ai vu des artilleurs du régiment de G. Raynal, mais je n’ai pas vu sa batterie. Je n’ai pas pu voir Léonce, j’ai vu un de ces camarades, et je lui ai dit qu’il lui donne le bonjour de ma part c’était la veille de la 1ère attaque.
Pour aujourd’hui je ne vous en dit pas plus long en attendant d’avoir de vos nouvelles et d’être au milieu de vous je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

1917 : septembre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 17 Sept. 1917

Bien chers Parents,

Me voilà rendu à ma compagnie, ou plutôt pas encore, car le régiment est en ligne et je pars ce soir le rejoindre aux tranchées. Vous voyez que le repos n’a pas été long et qu’au lieu de rejoindre à St Dizier je rejoins aux Eparges. Mon voyage s’est effectué dans de bonnes conditions, j’ai pu m’arreter 24h. à Riom. Je n’ai pas eu à sauter la grille, toutes les portes étant ouvertes je suis passé comme j’ai voulu. J’ai un peu cherché pour trouver la maison, et à minuit je sonné à la porte mettant tout le monde en éveil. Tonton est venu m’ouvrir et Tata et Marguerite se sont levées pour me recevoir. Après avoir mangé un morceau et causé pendant un bon moment je suis allé me coucher dans un bon lit et ne me suis levé qu’à 11 heures. Dans l’après-midi je suis allé avec Marguerite me promener à Châtel Guyon. Tonton était occupé et n’a pu venir avec nous. Le soir à 11h, je repartais content d ’avoir passé une si bonne journée. Tous les trois et surtout Marguerite ont été contents de me voir et voulaient me retenir une journée de plus. J’ai renouvelé à Marguerite l’invitation de venir passer quelques jours à Aguessac. Je crois qu’elle serait bientôt décidée mais il lui faut le consentement de Tonton et de Tata qui eux n’avaient pas l’air bien décidés.
En route j’ai rencontré plusieurs de mes camarades, et nous avons fait chemin ensemble, à Landrecourt j’air rencontré un prêtre soldat que j’avais connu à Avignon. J’ai été bien content de le revoir et de causer un moment avec lui.
Ce soir je vais écrire à Pierre pour lui annoncer mon retour de permission.
Tous les permissionnaires sont un peu déçus car ils croyaient trouver le régiment au repos, et il faut monter en ligne le soir même, surtout qu’il commence à pleuvoir.
A bientôt d’autres nouvelles en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 26-9-17

Bien chers Parents,

J’ai reçu aujourd’hui votre carte et je m’empresse de vous faire réponse car je m’aperçois qu’il y a quelques jours que je ne vous ai pas écrit. Je vois Léonce tous les 2 jours et quand j’ai reçu la carte nous étions en train de casser la croûte pour arroser ses premiers galons qu’il vient de gagner. Nous avons mangé la boîte de civet, j’avais peur qu’elle soit péri parce qu’elle s’était gonflée comme si elle allait éclater. Enfin elle a été bien bonne, il lui manquait un peu d’assaisonnement, et elle n’était pas salée. Heureusement que j’ai trouvé de la moutarde et ca un peu relevé le gout. Nous avons aussi mangé du saucisson, et un fromage de camembert, et bu chacun notre litre et une bonne goutte de gnole de Mme Lacaze. Ca c’est passé dans une petite villa que j’habite au milieu d’un bois à 600 m des boches.
Léonce avait déjà bien diné chez lui, aussi lorsqu’il m’a quitté il m’a dit que la tête lui tournait, et j’ai vue que le petit sentier du bois n’était pas trop large pour lui. Enfin nous avons passé un bon moment on en passe de si mauvais !
Nous sommes donc dans un bois près des lignes. Je loge dans une petite cagna pleine de rats, et des gros, ils ont goûté au saucisson qui était dans le sac.
Tous les jours je monte en ligne pour le ravitaillement ou pour porter des fils de fer. Aujourd’hui je ravitaille une Cie de «saoulards» car ils ont commandé 63 litres à la coopé. et il leur faudra monter tout ça sans compter celui de l’ordinaire. Cela va assez bien car le secteur n’est pas trop mauvais et ont ne s’en fait pas trop. Il ne tombe presque pas d’obus. Il n’y a que les sales engins de la famille des crapouillots. J’ai reçu des nouvelles de Pierre il y a quelques jours. Aujourd’hui j’ai aussi reçu des nouvelles de Gustave il me dit qu’il est toujours en Argonne et qu’il s’attend à être bientôt relevés. Je crois être dans le secteur où était Pierre l’an dernier et où a été tué Henri Brouillet. J’ai vu beaucoup de tombes pour voir si par hasard je trouvais la sienne. Mais il faudrait savoir exactement où il est tombé. Beaucoup de tombes portent seulement l’inscription «Inconnu».
D’après les derniers ont dit, il paraît qu’on remonterait en ligne sous peu avant d’aller complètement au repos. A bientôt le plaisir de vous donner de plus longues nouvelles.
Joseph

1917 : octobre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 7-8 Octobre

Bien chers Parents,

Je voulais attendre d’être descendu des tranchées pour vous écrire, mais je vois qu’on doit nous avoir donné quelques jours de prolongation car encore on ne parle pas de relève. Jusqu’ici on nous avons eu le beau temps, mais depuis quelques jours le vent du midi, s’est mis à souffler et nous a ammené la pluie. Après ça été le vent du nord, et je vous assure qu’il n’est pas chaud.
Toutes les nuits je prends 6 heures de garde consécutives et on commence à sentir le froid surtout aux pieds. J’ai l’avantage de ne pas prendre la garde au petit poste, je suis dans la tranchée et je peux me promener de temps en temps pour me réchauffer.
Pendant la nuit de la relève les boches nous ont payé une séance de «crapouillotage» qui a duré près d’une heure. Lorsqu’ils ont eu fini nous autres nous avons commencé la notre. Le 75 a commencé à tirer sur les p.p. boches; les canons de tranchées se sont mis de la partie et n’ont cessé le feu qu’au lever du jour; après avoir rendu aux boches le centuple de ce qu’ils nous avaient envoyé. Depuis ils n’ont plus tiré. Depuis quelques jours ils nous tirent quelques obus quelques uns ne tombent pas bien loin. Il parait que de nouvelles troupes seraient venues dans le secteur et les artilleurs feraient leurs tirs de réglage.
Je n’ai pas reçu de nouvelles de Pierre depuis quelques jours je pense qu’il doit être bien occupé, car on doit toujours les faire travailler. Je lui ai écrit avant de monter, je vais lui écrire ce soir ou demain pour le féliciter d’avoir gagné ses premiers galons, car dans votre dernière lettre vous me dites qu’il vient d’être nommé soldat de 1ère classe. Je continue ma lettre aujourd’hui lundi car hier j’ai été plusieurs fois interrompu. Dans la nuit de dimanche à lundi j’ai pris la garde de 6h à minuit, de 8h à 10h le vent du midi s’est mis à souffler avec violence et il s’est mis à pleuvoir à torrents, la nuit était si noire qu’on ne voyait rien à un mètre devant soi. Les boches se montraient prodigues de fusées éclairantes, ils avaient sans doute peur qu’on vienne leur rende visite avec ce temps-là.
Une fois ma faction finie, je suis rentré dans la cagna pour me reposer, le sergent était justement de ronde et il a voulu que je le remplace pour veiller dans l’abri ce qui fait que je me suis couché à 3h et je m’étais levé la veille à minuit, je suis resté 27 heures debout vous voyez que quelquefois on remplit bien ses journées. Hier matin le lieutenant commandant la compagnie en faisant sa ronde, à fait suivre un bidon de gnole et en a payé une goutte à tous les guetteurs Comme à ce moment là j’étais du nombre j’en ai profité.
Notre petit poste est à 35 mètres des boches, et souvent on les entends, car n’y étant pas de faction, j’y vais souvent faire un petit tour, on les entend parler, rire, chanter ils n’ont pas l’air de s’en faire, eux aussi sont dans le bon secteur. Nous avons un microphone en communication chez eux et avec ça on suit beaucoup de conversation, et l’on peut surprendre beaucoup de choses intéressantes. Des hommes du 8e G connaissant l’allemand font les écoutes jour et nuit.
Pour aujourd’hui je ne vois plus rien d’intéressant à vous dire, on va attendre patiemment la relève et le repos.
En attendant de vous donner d’autres nouvelles je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph
Le bonjour aux amis et aux voisins.

En prenant la garde j’ai trouvé un anneau de montre, en argent, je l’ai gardé pour pouvoir le faire mettre à la montre que j’ai apporté.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 24 Octobre 1917

Bien chers Parents,

Je voulais vous écrire hier mais comme j’ai été de garde toute la journée je n’ai pas pu le faire.
Il faut que je vous demande d’abord si vous n’avez pas eu la visite de quelque zepplin en ballade. A leur retour d’Angleterre il paraît qu’ils ont été un peu désorienté, aussi je suppose que quelqu’un a peut être survolé le Tarn en croyant retourner à sa base de départ. Toujours est il que cinq n’ont pas eu de chance et que notre défense contre avions a fait du bon travail. A la prochaine promenade.
J’ai reçu le colis contenant la poulette farcie elle est arrivée à bon port et a été excellente. Je viens de recevoir une lettre de Pierre datée du 19 il me dit que les préparatifs se font et que le coup approche. Je vois aujourd’hui sur le journal que l’attaque a eu lieu, et que nous avons été victorieux au chemin des Dames. C’est sûrement là que se trouve Pierre, je languissais d’avoir de ces nouvelles. Hier j’ai reçu une de ces lettres du 13 (lettre égarée) il me disait qu’il avait gagnée au tir une boussole portant l’inscription «Souvenir du Général Pétain» et qu’il avait l’intention de vous l’envoyer.
J’ai des nouvelles de Paul Rendu, il me dit qu’il est remonté en ligne après 25 jours de repos. Le secteur n’est pas mauvais et ça ne barde pas plus qu’au Pra fouquet. Il ne me dit pas l’endroit où il se trouve. J’ai espoir de voir Charles Caylus d’après les derniers "on dit" on passerai à côté du pays où il habite.
Demain ou après demain nous allons avoir une grande revue passée par le Général Pétain. Et à cette occasion le régiment recevra la fourragère. Il paraît que la revue aura lieu à Domrémy. Je voudrais que ce fut vrai, ce serait plus intéressant. J’ai acheté 12 vues de Domrémy, que j’apporterais en venant en perm. Je tâcherai d’avoir quelques souvenirs de ce beau pays devenu si célèbre.
Nous avons eu 2 ou 3 jours de pluie, le temps s’est mis sur le vif aujourd’hui et il ne fait pas chaud. Tous les jours je vois passer quelques Américains ils sont cantonnés par là.
Je pense voir Léonce à son retour de perm. aussi j’aurai de vos nouvelles toutes fraîches. Le vaguemestre va partir aussi je termine en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Le bonjour aux amis et voisins.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 29 Octobre 1917

Bien chers Parents,

Je reviens à l’instant du tir de grenades et en rentrant au cantonnement je reçois votre lettre. Je croyais en avoir une de Pierre, mais encore il n’y a rien eu. Il doit encore être très occupé et ne doit pas avoir le temps d’écrire. J’ai bon espoir qu’il s’en sera bien sorti, mais j’aimerais savoir quelque chose de lui.
Hier j’ai reçu indirectement de vos nouvelles par Léonce qui rentrait de permission. Il est passé au village où j’étais et il a rencontré un de mes camarades qui a fait la commission. Il devait sans doute être pressé de rentrer car il faisait un temps affreux. J’espère le voir un de ces jours. Hier dimanche et dimanche dernier j’ai pu assister à la messe dite par un soldat-prêtre du régiment. Vendredi dernier, on a dit une messe pour les camarades du 3e bataillon morts aux dernières attaques. Il y avait beaucoup de soldats. Presque tous les soirs je vais à la prière, où l’on donne la bénédiction et on fait une petite conférence très intéressante.
Nous n’avons pas encore passé la revue du général en chef, celui-ci est retenu pour les affaires du chemin des Dames.
Je ne me souviens pas si je vous l’ai dit que le lieutenant commandant ma Cie, venait d’être fait Chevalier de la Légion d’Honneur. Et je vous assure qu’il est content c’était ca seule ambition et il est content d’avoir réussi. Celui-là au moins ne la pas volée et il peut être fier de la porter.
Il a remis à la Cie 50 francs pour pouvoir boire un coup à sa santé.
J’ai vu passer aujourd’hui un autre convoi Américain il va en passer tous les jours on monte des baraques dans les environs pour pouvoir les loger.
Jeudi 1er novembre nous quittons le pays pour aller à un autre endroit je pense qu’on ne tardera pas à remonter en ligne. Je vais me rapprocher de l’endroit où est Charles, et peut-être nous pourrons nous voir. Je lui ai écrit pour l’avertir de ma présence dans les environs.
Pour le moment et depuis 15 jours nous sommes très bien nourris à cause des permissionnaires on n’est pas si nombreux et on mange le boni qu’on avait fait étant en ligne. Je joint le menu que nous avons eu un de ces jours. Tous les jours il est à peu près pareil. Nous avons généralement le mauvais temps hier il a fait de la neige elle restait sur les hauteurs. La Meuse déborde. On voit passer des oies et des canards sauvages. Nous avons touché des effets d’hiver et une deuxième couverture ca suffit pour le moment.
A bientôt d’autres nouvelles, en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Menu : Matin au réveil Jus – Camembert
à 10h 1/4 Soupe aux légumes Bœuf à la vinaigrette Purée de p. de terre Œufs sauce blanche Vin Café
Soir Soupe aux légumes Bœuf Haricots blancs (Vin)

1917 : novembre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 1er Novembre 1917

Bien chers Parents,

On croyait partir aujourd’hui, et on nous annonce que ce n’est que pour demain. Nous ferons le trajet en camions-auto. Nous allons prendre un secteur au Grand Couronné de Nancy. Là où en septembre 1914 l’effort allemand se brisa contre l’armée française sur les ordres de notre compatriote le Général de Castelnau. Je ne sais pas encore la route que l’on suivra je voudrais bien que l’on passe au pays où est Charles car on pourrait se voir, nous marcherons de jour et il aurait été prévenu par le passage des bataillons partis avant nous. Puis je lui ai écrit pour le prévenir. Hier le colonel a passé le régiment en revue, il a décoré de la légion d’honneur mon commandant de compagnie, et a remis des croix de guerre à quelques soldats. Puis il nous a rassemblé autour de lui et nous a adressé quelques paroles.
Je n’ai encore rien reçu de Pierre, aujourd’hui nous n’avons pas eu de journaux, il paraît que les trains ne circulent pas normalement, ils sont réquisitionnés par l’autorité militaire pour des besoins urgents.
Les deux aumoniers militaires qui étaient au 2e bataillon sont partis ce matin ce qui fait qu’il n’y a pas eu de messe militaire. J’ai pu quand même assister à la grand’messe paroissiale l’église était pleine entre civils et soldats comme j’étais arrivé un peu tard je n’ai pas pu trouver une place et j'ai resté debout tout le temps.
Nous avons de nouveau le beau temps le matin il y a le brouillard mais dès que le soleil parait, il ne fait plus si froid.
Nous avons été un peu surpris des succès que les Austro-Allemands viennent de remporter sur nos alliés les Italiens. Les Italiens ont subi là une grave défaite, mais il ne faut pas s’alarmer outre mesure. Nous allons leur envoyer des renforts, et tous ensemble nous arrêtons l’envahisseur qui vient de tenter, peut être, son dernier coup pour essayer d’avoir un succès afin de nous faire de nouvelles offres de paix, car ils ne veulent plus s’enfoncer davantage dans le pétrin.
Je n’ai pas encore vu Léonce. Je croyais qu’il était passé au village où je suis, mais mon camarade m’a dit ensuite qu’il l’avait rencontré dans un village voisin. Je vais attendre la distribution des lettres pour voir s’il y a quelque chose.
La distribution a eu lieu et je n’ai encore rien eu. De plus il n’y a pas eu de départ de lettres à cause du changement ce qui fait que je continue la lettre aujourd’hui 2 novembre. Nous avons fait notre voyage ce matin, il s’est bien passé, l’auto ou j’étais a eu une panne ce qui a nécessité une réparation et un peu de retard. On n’est pas passé là où je croyais que l’on passerait je ne sais pas encore exactement où nous sommes. Je termine en vous embrassant de tout mon cœur et à bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Le bonjour aux voisins et amis.

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 4-11-17

Bien chers Parents,

C’est avec plaisir que j’ai reçu votre lettre me donnant des nouvelles de Pierre.
Je n’ai encore rien reçu de lui depuis le 19 mais je pense qu’il n’a n'y le temps n'y les moyens d’écrire, puisqu’il a du se servir d’une carte boche pour vous écrire.
Je pense que de cette heure-ci il est relevé et je vais avoir de ses nouvelles.
Nous voilà donc installés dans un autre village. Pour le moment nous sommes en réserve, et nous monterons sans doute en ligne d’ici quelques jours. Le secteur est assez tranquille on n’entend presque pas le canon. On est aux environs de Pont à Mousson, on voit très bien la ville avec ses hautes cheminées d’usine.
Je n’ai pas encore vu Léonce, lui aussi doit avoir changé et si nous ne sommes pas bien loin l’un de l’autre nous pourrons nous voir.
Pour le moment je n’ai besoin de rien, ici on trouve tout ce qu’on veut. Puis on est très bien nourri ce qui fait qu’on n’a pas besoin d’acheter grand-chose.
A mon grand regret je n’ai pas pu aller à Domremy, voir la maison où naquit Jeanne d’Arc. J’ai seulement traversé Vaucouleur le matin du jour des mMrts.
J’ai un de mes camarades qui vient de partir en permission et comme il allait à Tours je lui ai donné un bout de papier pour remettre à Madame Blin si par cas elle y était encore. Je pense que ca lui fera plaisir d’avoir de mes nouvelles, et de voir que celui qu’elle a si bien soigné ne l’a pas encore oubliée. Si mon camarade peut la voir et lui remettre ma lettre il me le fera savoir tout de suite.
Ici nous avons un temps brumeux et doux, il est vrai qu’il change souvent et qu’un jour il pleut et le lendemain il fait un soleil magnifique.
Les cultivateurs finissent d’arracher les betteraves, et sèment le blé. Il doit y avoir beaucoup d’houblonnières car dans les champs on voit beaucoup de perches qui servent à faire grimper le houblon.
Pour aujourd’hui je ne vois plus grand chose à vous dire aussi je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de PIERRE à son frère JOSEPH

Aux Armées 5-11-17

Bien Cher Joseph

Je crois que je pourrez enfin trouver un moment de tranquilité pour t'adresser ces quelques mots et te raconter un peu notre dernière victoire. Par les journaux tu as du déjà voir les beaux résultats que nous avons obtenus et tu as pu voir aussi que mon régiment avec le trentième sont de ceux qui ce sont les mieux distingués.
L'affaire c'est assez bien passée et avec heureusement très peu de pertes. Le jour de l'attaque nous n'avons eu que quinze hommes hors de combat à la compagnie dont deux tués.
Les revanches des boches avaient quelquechose.
Nous sommes donc sortis le 23 à cinq heures quinze du matin de la tranchée du moulin de laffaux. D'un seul élan nous avons atteint nos objectifs et même dépassés. Notre artillerie tappait tellement que les boches n'ont presque pas répondus. C'est là que j'ai eu l'occasion de zigouiller un officier boche qui ne voulait pas se rendre. Pour le contenter je lui ai logé une balle dans la peau.
Le lendemain nous avions une nouvelle préparation et le 25 au matin nous partions à une nouvelle attaque et nous emparont de Pinon et ses parages. Là nous avons été arétés par l'ailette peuplée de nombreux canards sauvages. Ce jour là nous avons attaqué demi heure avant une contre attaque boche. C'est ce qui fait que nous avons fait tant de prisonniers. Etant pris sous un bombardement d'une violence inouïe ils n'ont pas été longtemps à faire Kamarades. Nous avons donc pris la forêt de pinon ou nous avons trouvé un grand nombre de mitrailleuses et de canons de tout calibre. Il y avait aussi beaucoup de cadavres boches marquant ainsi les affreux résultats de notre artillerie. Nous sommes donc restés là en ligne et nous y sommes encore pour organiser le secteur alors que nous nous attendions à un bon repos.
C'est domage que je n'ai pu partir en perme en descendant car j'aurai pu emporter un nombreux matériel comme souvenir. Il y en avait en rabio. Il est parti douze permissionnaire par Cie je crois que chacun avait un fusil boche pour emporter.
Pour le moment j'ai toujours, une belle musette un quart et une baïonette. Vivement la perme et je l'emporte à la maison.
Pour le moment nous sommes en réserve. Nous ne savons guère ce que l'on va faire de nous.
Je te quitte en t'embrassant.
Ton frère
Pierre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 20-11-17.

Bien chers Parents,

Ce matin, j’ai vu passer un convoi américain. Il y avait beaucoup de voiturettes de mitrailleuses traînées par un mulet. Toutes les autres voitures plus ou moins chargées étaient attelées à 4 mulets, tous avec des harnais tout neufs. Tous les soldats étaient rasés, généralement grands et maigres; ils avaient un grand chapeau de feutre qui doit se mettre à n’importe quelle forme. Leur casque est le même que le casque anglais. Quelques-uns parlaient français et nous ont dit qu’ils seraient en ligne vers la fin du mois. Ils nous ont fait l’effet d’être bien équipés et de ne s’être pas mis en campagne comment que se soit.
Il paraît qu’il y a dans les environs des troupes qui sont à l’entraînement avec les troupes françaises. Qu’ils se dépêchent de se mettre en état de se battre, et puis tous ensemble nous donnerons le coup final et mortels à nos ennemis.
Je ne suis pas loin du pays natal de Jeanne d’Arc. J’aurai peut être l’occasion de passer dans son village en allant aux exercices ou manœuvre. En tout cas je tâcherai d’avoir une permission pour aller voir le pays ou naquit celle qui, jadis sauva la France.
Aujourd’hui nous avons eu tir le lieutenant de la compagnie a donné 10 sous à tous les bons tireurs j’ai été du nombre.
Le lieutenant de ma cie est celui qui commandait la section franche. C’est un type peu ordinaire.
Dans le civil il était chasseur de gros gibier, il se vante d’avoir tué 150 cerfs, autant que l’empereur d’Allemagne. Il a tiré son premier à l’âge de 11 ans.
Il est très bon tireur et excellent cavalier. Au début de la guerre il était lieutenant de cavalerie et comme cette arme est devenue par la suite presque inactive il a demandé à servir dans l’infanterie. Avec lui on est bien nourri, et on n’a à ce plaindre de rien.
Je ne crois pas être bien loin de Nancy, et de l’endroit où est Charles. J’ai peur que se soit quand même trop loin pour y aller dans une journée car je pourrais obtenir une permission pour aller le voir. Il pourrait se faire que si l’on fesait quelque mouvement je passe à proximité de son patelin alors on pourrait peut-être se voir.
Avant-hier j’ai touché une veste et une capote toute neuve aussi j’ai du travail pour coudre les boutons et raccourcir les manches, qui sont trop longues.
Je viens de recevoir votre lettre du 16 aussi je profite de l’occasion pour vous en accuser réception. Vous me dites que vous avez vu Léonce, je ne le croyais pas encore en permission et je m’apprêtai à aller le voir, car sa compagnie est dans les environs.
Ce matin j’ai vu par le communiqué que l’on avait attaqué du côté de Laffaux, ca doit être là où est Pierre, et ca doit être le coup dont il parlait à moins que se ne soit que les préliminaires.
Je termine en vous embrassant de tout mon cœur.
Joseph

Le bonjour aux voisins et amis.

1917 : décembre

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 8-12-17.

Bien chers Parents,

Me voilà donc arrivé à destination je suis arrivé à ma compagnie ce matin samedi vers 8 ou 9 heures. Je suis descendu du train ce matin à 5 heures moins le quart, aussi depuis mercredi 3 heures, je commençais à trouver le voyage un peu long. Je vous ai écrit une carte d’Avignon, vous disant que j’avais manqué le train de perm. à Béziers ce qui me retardait de 24 h. car si j’étais parti jeudi (sans manquer le train bien entendu) je serais arrivé samedi.
Heureusement je n’étais pas seul et parmi les permissionnaires j’ai rencontré un mommé Daines de Peyrelade et nous avons fait route jusqu’à Chalon s/ Saône, il allait du côté de Toul et a du prendre une autre direction.
A Avignon je suis sorti en ville je suis allé voir mon ancienne caserne et j’ai fait un tour en ville.
J’ai du passer la nuit à la gare de Lyon, où heureusement il y avait une cantine où l’on pouvait s’approvisionner et se reposer. Le lendemain il y avait dehors une gêlée blanche comme s’il avait neigé et la glace avait au moins 15 cent. d’épaisseur. Je suis donc arrivé à 8 h à ma Cie et j’ai retrouvé tous mes camarades en bonne santé, après la soupe je leur ai servi la goutte et l’ont trouvé excellente. J’en garde un peu pour les tranchées car j’espère voir Léonce. Nous montons en ligne ce soir, je tombe donc à point; il paraît que le secteur n’est pas trop mauvais, il y a beaucoup de patrouilles à faire, enfin je verrais ça lorsque j’y serai.
Pendant la perme il m’était arrivé plusieurs lettres 2 de la maison, une de Pierre, une de Jean Collière, et une d’un camarade du 58è. Jean m’écrit de Toulon, il vient de recevoir une lettre que je lui avais écrit au mois de septembre. Je n’ai rien reçu de Mme Blin.
Aujourd’hui le temps n’est pas trop froid, et couvert comme s’il allait faire de la neige.
Sitôt arrivé à la Cie on m’a donné la fourragère, car tous les camarades l’avaient reçu pendant mon absence.
Pour le moment je ne vois plus rien à vous dire je fais mes préparatifs pour se soir.
Je pense que Pierre doit être enfin arrivé je lui souhaite de passer une bonne permission.
A bientôt d’autres nouvelles.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 22-12-17
6 h du soir

Bien chers Parents,
Le tour de faire les patrouilles est revenu à ma section, aussi demain matin réveil à deux et demi pour la promenade entre les lignes. Ce coup-ci on ne traverse pas la rivière mais il y a toujours les réseaux de fil de fer à passer. Depuis quelques jours il fait très froid quoi que le temps soit couvert. Aujourd’hui le temps vient de se mettre au beau et se soir il fait un joli clair de lune, et il va geler bien fort.
Hier au soir nous avons eu alerte. Nous avons monté nos sacs et fait nos préparatifs pour partir en cas d’attaque. Nous ne sommes pas sortis de la cave tandis que d’autres sont allés à leurs emplacements de combats, et ils n’ont pas eu trop chaud.
Le secteur est toujours tranquille, depuis que nous sommes ici je n’ai entendu que deux bombardements ennemis sur un village à côté de nous. Lorsque j’étais en permission, vous avez vu sur le communiqué qu’on avait fait des prisonniers dans un coup de main en Lorraine. C’est la section franche de mon régiment qui les a fait, un de mes camarades, un ancien du 58, qui est sergent à la s.f. a été pour ca cité à l’ordre du corps d’armée.
Aujourd’hui notre colonel nous a annoncé son départ et nous a fait ses adieux, il quitte le 155 pour prendre un autre commandement.
Dans quelques jours nous allons être à notre 4e Noël de guerre, nous ne serons pas encore relevés, ce qui fait qu’on ne pourra pas passer cette belle fête comme l’on voudrait. Je pense que ma lettre vous arrivera avant le 25 aussi je vous souhaite une bonne fête de Noël, et vous recommande de ne pas m’oublier dans vos prières.
Je pense que Pierre doit avoir terminé sa perm. j’aurai sans doute de ses nouvelles dès sa rentrée à la Cie.
J’ai acheté du papier à lettre aussi ne m’en envoyez plus dans vos lettres. Pour le moment tout va très bien à tous les points de vue.
A bientôt d’autres nouvelles.
Joseph

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 23-12-17

Chers Parents,

Hier au soir j’ai reçu votre lettre du 19, comme j’ai le temps et que je ne sais trop que faire je vous réponds tout de suite. Je suis toujours dans la cave du château, nous y logeons une section de 30 hommes. On y a fait des espèces de plancher sur lesquels on couche, on a une paillasse habitée par quelques totos; on peut faire du feu, car on a un poêle et le bois ne manque pas. Aujourd’hui, le camion-bazar est venu alors on a pu un peu s’approvisionner, lorsqu’on est en ligne comme ici, chacun fait une commande de ce qu'il a besoin; et un gradé avec plusieurs poilus vont faire les achats.
J’ai acheté une demi-livre de beurre 44 sous, aussi je vais faire quelques bonnes tartines grillées; une bougie de 30 cent. de long, 12 sous ce n’est pas trop cher et c’est indispensable car l’électricité du château ne marche plus. Au moment où je vous écris nous sommes au moins 20 à écrire chacun à sa place et chacun sa bougie, 4 joue aux cartes, tandis que d’autres se préparent à partir en patrouille. Cette nuit je n’y vais pas, aussi je vais pouvoir dormir jusqu’à demain 6 heures.
Il fait toujours très froid, ce matin je n’ai pas eu trop chaud pour patrouiller on ne prend pas la capote, n'y équipement, on a le fusil des cart. et des grenades à la poche, nous nous sommes perdus dans la plaine, ce qui fait qu’on est resté une heure de plus dehors.
Je suis content d’apprendre que Pierre passe une bonne permission surtout si le temps est favorable à la chasse et aux promenades nocturnes. C’est dommage qu’il ne soit pas là pour la fête de Noël.
Moi j’ai repris mes anciennes habitudes, sans avoir trop le cafard, c’est une des fois où je l’ai eu le moins. J’ai toujours bon courage et confiance, et je ne m’en fais pas du tout, je prends les choses comme ca vient. Lorsqu’on a un bon moment on le passe du mieux que l’on peut lorsqu’on en a un mauvais ont fait appel à tout son courage, à toute sa volonté et ca passe comme le reste, plus ça été dur plus on est content après.
A la section nous avons des jeunes récupérés de la classe 17, ils n’étaient jamais montés aux tranchées et n’ont pas encore entendu péter les obus trop près. Aujourd’hui au travail j’en avais un pour travailler avec moi, c’est un parisien, qui n’a jamais touché une pioche, aussi je lui donne une leçon, en lui faisant voir comment on construisais un boyau.
Je pense qu’Augustine et Emile Roques vont mieux et que vous me donnerez bientôt de leurs bonnes nouvelles. Je vous quitte pour aujourd’hui en vous embrassant de tout mon cœur.
Le bonjour aux amis et voisins.
Joseph

Il nous est défendu désormais de mettre notre adresse sur l’enveloppe.
Rascalou 155è Infie 10 Cie s.p. 206

Lettre de JOSEPH à ses PARENTS

Aux Armées le 24 Décembre 1917

Bien chers Parents,

Nous voilà donc arrivés à la veillée de Noël. Et à minuit dans le monde entier on va célébrer l’anniversaire de la naissance de Celui qui vint au monde pour racheter le genre humain.
A minuit toutes les cloches annonceront l’heure solennelle : des chants et des cantiques pleins de joie et d’allégresse, chanteront les louanges de l’Enfant Dieu qui vient de naître. Dans les belles cathédrales des grandes villes comme dans la plus humble église des campagnes, le monde catholique recueilli va prier et invoquer Celui qui vint porter la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.
Encore cette année-ci, je vais être privé du bonheur de passer cette belle fête au milieu de vous. Cette nuit je suis de repos à moins d’alerte imprévue, et la fête va passer complètement inaperçue. Pas le moindre son de cloche, pas un cantique rien ne nous dit que c’est Noël, et demain nous irons au travail comme si rien n’était c’est la guerre.
Et pendant que je monterai ma garde vigilante devant l’ennemi, je penserai à ceux qui prient là bas, et comme eux je prirai. Que nos prières montent vers Dieu et qu’il daigne les exaucer, en nous accordant la paix. Prions toujours et ayons confiance Dieu ne nous abandonnera pas.
Au moment où je vous écris il neige à gros flocons, déjà la terre est toute blanche et demain il y aura une bonne couche de neige. Cette nuis j’ai fait la patrouille habituelle il faisait très froid; nous avons tous les glaçons aux moustaches et le bout du nez gelés. Nous sommes restés 3 heures dehors de 1h à 4h du matin.
Je n’ai pas vu Léonce, et je ne crois pas le voir de quelques jours, on n’est pas bien au même endroit.
Je pense que Pierre doit être arrivé à destination et que j’aurai bientôt de ses nouvelles.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Joseph